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roit obligé indispensablement, s'il n'y avoit pas un Dieu, qui ne laisse aucun crime sans châtiment, ni aucune bonne action sans récompense.

PH. Il faut donc que les idées d'un Dieu et d'une vie à venir soyent aussi innées.

TH. J'en demeure d'accord dans le sens que j'ai expliqué. ab. b, v.

PH. Mais ces idées sont si éloignées d'être gravées naturellement dans l'esprit de tous les hommes, qu'elles ne paroissent pas même fort claires et fort distinctes dans l'esprit de plusieurs hommes d'étude, et qui font profession d'examiner les choses avec quelque exactitude: tant il s'en faut, qu'elle soyent connues de toute créature humaine,

donner son consentement. Mais nos amis disent, qu'il s'en faut beaucoup que ce ne soient autant d'impressions innées. Et si ces cinq propositions sont des notions communes, gravées dans nos ames par le doigt de Dieu, il y en a beaucoup d'autres qu'on doit aussi mettre de ce rang.

TH. J'en demeure d'accord, Monsieur, car je prends toutes les vérités néces aires pour innées, et j'y joins même les instincts. Mais je vous avoue que ces cinq propositions ne sont point des principes innés; car je tiens qu'on peut et qu'on doit les prouver.

§. 18. PH. Dans la proposition troisième, que la vertu est le culte le plus agréable à Dieu, il est

TH. C'est encore revenir à la même supposition, 15 obscur ce qu'on entend par la vertu. Si on l'enqui prétend que ce qui n'est point connu n'est point inné, que j'ai pourtant réfutée tant de fois. Ce qui est inné n'est pas d'abord connu clairement et distinctement pour cela: il faut souvent beaucoup d'attention et d'ordre pour s'en appercevoir, les gens d'étude n'en apportent pas toujours et toute créature humaine encore moins.

tend dans le sens, qu'on lui donne le plus communement, je veux dire de ce qui passe pour louable selon les différentes opinions, qui régnent en divers pays, tant s'en faut que cette proposition soit évidente, qu'elle n'est pas même véritable. Que si on appelle vertu les actions, qui sont conformes à la volonté de Dieu, ce sera presque idem per idem, et la proposition ne nous apprendra pas grande chose; car elle voudra dire seulement,

§. 13, PH. Mais si les hommes peuvent ignorer ou révoquer en doute ce qui est inné, c'est envain qu'on nous parle de principes innés, et qu'on 25 que Dieu a pour agréable ce qui est conforme à sa

en prétend faire voir la nécessité; bien loin qu'ils puissent servir à nons instruire de la vérité et de la certitude des choses, comme on le prétend, nous nous trouverions dans le même état d'incertitude avec ces principes, que s'ils n'étoient point en nous.

TH. On ne peut point révoquer en doute tous les principes innés. Vous en êtes demeuré d'accord, Monsieur, à l'égard des identiques ou du principe de contradiction, avouant qu'il y a des principes incontestables, quoique vous ne les reconnoissiez point alors comme innés; mais il ne s'en suit point, que tout ce qui est inné et lié nécessairement avec ces principes innés soit aussi d'abord d'une évidence indubitable.

PH. Personne n'a encore entrepris, que je sache, de nous donner un catalogue exact de ces principes.

TH. Mais nous a-t-on donné jusqu'ici un catalogue plein et exact des axiomes de Géométrie? §. 15. PH. Mylord Herbert a voulû marquer 45 quelquesuns de ces principes, qui sont: 1. qu'il y a un Dieu suprême. 2. qu'il doit être servi. 3. que la vertu jointe avec la pieté est le meilleur culte. 4. qu'il faut se repentir de ses péchés. 5. qu'il y a des peines et des recompenses après cette vie. Je tombe d'accord que ce sont là des vérités évidentes et d'une telle nature qu'étant bien expliquées une creature raisonnable ne peut guères éviter d'y

volonté. Il en est de même de la notion du péché dans la quatrième proposition.

Th. Je ne me souviens pas d'avoir remarqué, qu'on prenne communement la vertu pour quelque chose qui dépende des opinions; au moins les Philosophes ne le font pas. Il est vrai que le nom de vertu dépend de l'opinion de ceux qui le donnent à de différentes habitudes ou actions, selon qu'ils jugent bien ou mal, et font usage de leur raison; mais tous conviennent assez de la notion de la vertu en général, quoiqu'ils diffèrent dans l'application. Selon Aristote et plusieurs autres la vertu est une habitude de modérer les passions par la raison, et encore plus simplement une habitude d'agir suivant la raison. Et cela ne peut manquer d'être agréable à celui qui est la suprème et dernière raison des choses, à qui rien n'est indifférent et les actions des créatures raisonnables moins que toutes les autres.

§. 20. PH. On a coutume de dire, que les coutumes, l'éducation et les opinions générales de ceux, avec qui on converse, peuvent obscurcir ces principes de morale, qu'on suppose innés. Mais si cette réponse est bonne, elle anéantit la preuve qu'on prétend tirer du consentement universel. Le raisonnement de bien des gens se réduit à ceci: Les Principes que les gens de bon sens reconnoissent, sont innés: Nous et ceux de notre parti som

innés. Plaisante manière de raisonner, qui va tout droit à l'infallibilité!

mes des gens de bon sens: donc nos principes sont si ces principes peuvent ou ne peuvent pas être effacés par l'éducation et la coûtume. S'ils ne peuvent l'être, nous devons les trouver dans tous les hommes, et il faut qu'ils paroissent clairement dans l'esprit de chaque homme en particulier. S'ils peuvent être altérés par des notions étrangères, ils doivent paroître plus distinctement et avec plus d'éclat lorsqu'ils sont plus près de leur source, je veux dire dans les enfans et les ignorans, sur qui les opinions étrangères ont fait le moins d'impression. Qu'ils prennent tel parti qu'ils voudront, ils verront clairement, dit-il, qu'il est démenti par des faits constans et par une continuelle expérience.

TH. Pour moi je me sers du consentement universel, non pas comme d'une preuve principale, mais comme d'une confirmation: car les vérités innées, prises pour la lumière naturelle de la raison, portent leurs caractères avec elles comme la Géométrie, car elles sont envelopées dans les principes immédiats, que vous reconnoissez vous mêmes pour incontestables. Mais j'avoue qu'il est plus difficile de démêler les instincts, et quelques autres habitudes naturelles d'avec les coutumes, quoique cela se puisse pourtant, ce semble, le plus souvent. Au reste il me paroit que les peuples, qui ont cultivé leur esprit, ont quelque sujet de s'attribuer l'usage du bon sens préférablement aux barbares, puisqu'en les domptant si aisément presque comme des bêtes ils montrent assez leur supériorité. Si on n'en peut pas toujours venir à bout, c'est qu'encore comme les bêtes ils se sauvent dans les épaisses forêts, où il est difficile de les forcer et le jeu ne vaut pas la chandelle. C'est un avantage sans doute d'avoir cultivé l'esprit, et s'il est permis de parler pour la barbarie contre la culture, on aura aussi le droit d'attaquer la raison en faveur des bêtes et de prendre sérieusement les saillies spirituelles de Mr. Despreaux dans une de ses Satyres, où, pour contester à l'homme sa prérogative sur les animaux, il demande, si

L'ours a peur du passant ou le passant de l'ours? Et si par un édit de pastres des Lybie Les Lions vuideroient les parcs de Numidie. etc. Cependent il faut avouer, qu'il y a des points importans, où les barbares nous passent, sour-tout à l'égard de la vigueur du corps; et à l'égard de l'ame même on peut dire qu'à certaines égards leur morale pratique est meilleure que la nôtre, parcequ'ils n'ont point l'avarice d'amasser, ni l'ambition de dominer. Et on peut même ajouter que la conversation des Chrêtiens les a rendûs pires en bien des choses. On leur a appris l'ivrognerie (en leur apportant de l'eau de vie) les juremens, les blasphèmes et d'autres vices, qui leur étoient peu connus. Il y a chez uous plus de bien et plus de mal que chez eux: Un méchant Européen est plus méchant qu'un sauvage: il rafine sur le mal. pendant rien n'empêcheroit les hommes d'unir les avantages que la nature donne à ces peuples, avec ceux que nous donne la raison.

Ce

PH. Mais que répondrez vous, Monsieur à ce dilemme d'un de mes amis? Je voudrois bien, dit-il, que les partisans des idées innées me dissent

TH. Je m'étonne que votre habile ami ait confondû obscurcir et effacer, comme on confond dans votre parti n'être point et ne point paroître. Les idées et vérités innées ne sauroient être effacées, mais elles sont obscurcies dans tous les hommes (comme ils sont présentement) par leur penchant vers les besoins du corps, et souvent encore plus par les mauvaises coutumes survenues. Ces caractères de lumière interne seroient toujours éclatans dans l'entendement et donneroient de la chaleur dans la volonté, si les perceptions confuses des sens ne s'emparoient de notre attention. C'est le combat, dont la Sainte Ecriture ne parle pas moins que la Philosophie ancienne et moderne.

PH. Ainsi donc nous nous trouvons dans des tenèbres aussi épaisses et dans une aussi grande incertitude que s'il n'y avoit point de semblables lumières.

TH. A Dieu ne plaise; nous n'aurions ni scienni lois, et nous n'aurions pas même de la

ces,
raison.

§. 21. 22. etc. PH. J'espère que vous conviendrez au moins de la force des préjugés, qui font souvent passer pour naturel, ce qui est venu des mauvais enseignemens ou les enfans ont été exposés, et des mauvaises coutumes, que l'éducation et la conversation leur ont données.

TH. J'avoue que l'excellent Auteur que vous suivez dit de fort belles choses là-dessus et qui ont leur prix si on les prend comme il faut; mais je ne crois pas qu'elles soient contraires à la doctrine bien prise du naturel ou des vérités innées. Et je m'assure qu'il ne voudra pas étendre ses remarques trop loin; car je suis également persuadé, et que bien des opinions passent pour des vérités qui ne sont que des effets de la coutume et de la crédulité, et qu'il y en a bien aussi, que certains Philosophes voudroient faire passer pour des préjugés, qui sont pourtant fondées dans la droite raison et

dans la nature. Il y a autant ou plus de sujet de se garder de ceux, qui par ambition le plus souvent prétendent innover, que de se défier des impressions anciennes. Et après avoir assez médité sur l'ancien et sur le nouveau, j'ai trouvé que la plupart des doctrines reçues peuvent souffrir un bon sens. De sorte que je voudrois que les hommes d'esprit cherchassent de quoi satisfaire à leur ambition, en s'occupant plutôt à bâtir et à avancer qu'à reculer et à détruire. Et je souhaiterois qu'on ressemblât plutôt aux Romains qui faisoient des beaux ouvrages publics, qu'à ce Roi Vandale, à qui sa mère recommanda que ne pouvant pas espérer la gloire d'égaler ces grands bâtimens, il en cherchât à les detruire.

PH. Le but des habiles gens qui ont combattu les vérités innées, a été d'empêcher que sous ce beau nom on ne fasse passer des préjugés et cherche à couvrir sa paresse.

TH. Nous sommes d'accord sur ce point, car bien loin que j'approuve qu'on se fasse des principes douteux, je voudrois moi qu'on cherchât jusqu'à la démonstration des Axiomes d'Euclide, comme quelques Anciens ont fait aussi. Et lorsqu'on demande le moyen de connoître et d'examiner les principes innés, je répond suivant ce que j'ai dit ci-dessus, qu'excepté les instincts dont la raison est inconnue, il faut tacher de les réduire aux premiers principes, c'est à dire, aux Axiomes identiques ou immédiats par le moyen des définitions, qui ne font autre chose qu' une exposition distincte des idées. Je ne doute pas même que vos amis, contraires jusqu'ici aux vérités innées n'approuvent cette méthode, qui paroit conforme à leur but principal. 78223,25

CHAPITRE III.

Autres considérations touchant les principes innés, tant ceux qui regardent la spéculation, que ceux qui appartiennent à la pratique.

§. 3. PH. Vous voulez qu'on réduise les vérités aux premiers principes, et je vous avoue que s'il y a quelque principe, c'est sans contredit celuici: il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même tems. Cependant il paroit difficile de soutenir qu'il est inné, puisqu'il fant se persuader en même tems que les idées d'impossibilité et d'identité sont innées.

PH. Il faut bien que ceux, qui sont pour les vérités innécs, soutiennent et soient persuadés, que ces idées le sont aussi; et j'avoue que je suis de leur avis. L'idée de l'être, du possible, du même, sont si bien innées, qu'elles entrent dans toutes nos pensées et raisonnemens, et je les regarde comme des choses essentielles à notre esprit; mais j'ai déja dit, qu'on n'y fait pas toujours une attention particulière et qu'on ne les démêle qu'avec le tems. J'ai dit encore que nous sommes, pour ainsi dire, innés à nous mêmes, et puisque nous sommes des êtres, l'être nous est inné; et la connoissance de l'être est enveloppée dans celle que nous avons de nous mêmes. Il y a quelque chose d'approchant en d'autres notions générales.

§. 4. PH. Si l'idée de l'identité est naturelle, et par conséquent si évidente et si présente à l'esprit que nous devions la connoître dès le berceau, je voudrois bien, qu'un enfant de sept ans et même un homme de soixante et dix ans me dit, si un homme, qui est une créature composée de corps et d'ame, est le même, lorsque son corps est changé, et si, supposé la Métempsychose, Euphorbe seroit le même que Pythagore.

TH. J'ai assez dit que ce qui nous est naturel, ne nous est pas connu pour cela dès le berceau; et même une idée nous peut être connue, sans que nous puissions décider d'abord toutes les questions qu'on peut former là-dessus. C'est comme si quelqu'un prétendoit qu'un enfant ne sauroit connoître ce que c'est que le quarré et sa diagonale, parcequ'il aura de la peine à connoître que la diagonale est incommensurable avec le côté du quarré. Pour ce qui est de la question en elle même, elle me paroit démonstrativement résolue par la doctrine des Monades, que j'ai mise ailleurs dans son jour, et nous parlerons plus amplement de cette matière dans la suite.

§. 6. PH. Je vois bien que je vous objecterois en vain, que l'Axiome qui porte que le tout est plus grand que sa partie n'est point inné, sous prétexte que les idées du tout et de la partie sont rélatives, dépendant de celles du nombre et de l'étendue: puisque vous soutiendrez apparemment, qu'il y a des idées innées respectives et que celles des nombres et de l'étendue sont innées aussi.

TH. Vous avez raison, et même je crois plutôt que l'idée de l'étendue est postérieure à celle du tout et de la partie.

§. 7. PH. Que dites vous de la vérité que Dicu doit être adoré; est elle innée?

TH. Je crois que le devoir d'adorer Dieu porte, que dans les occasions on doit marquer qu'on l'ho

nore au delà de tout autre objet, et que c'est une conséquence nécessaire de son idée et de son existence; ce qui signifie chez moi, que cette vérité est innée.

§. 8. PH. Mais les Athées semblent prouver par leur exemple, que l'Idée de Dieu n'est point innée. Et sans parler de ceux dont les anciens ont fait mention, n'a-t-on pas découvert des nations entières, qui n'avoient aucune idée de Dieu, ni des noms pour marquer Dieu et l'ame; comme à la Baye de Soldanie, dans le Brésil, dans les Isles Caribes, dans le Paraguay.

TH. Feu Mr. Fabricius, Théologien célèbre de Heidelberg, a fait une Apologie du genre humain, pour le purger de l'imputation de l'Ahéisme. C'étoit un auteur de beaucoup d'exactitude et fort au dessus de bien de préjugés; cependant je ne prétens point entrer dans cette discussion des faits. Je veux que des peuples entiers n'ayent jamais pensé à la substance suprême, ni à ce que c'est que l'ame. Et je me souviens, que lorsqu'on voulut à ma prière, favorisée par illustre Mr. Witsen, m'obtenir en Hollande une version de l'oraison dominicale dans la langue de Barantola, on fut arrêté à cet endroit: ton nom soit sanctifié, parcequ'on ne pouvoit point faire entendre aux Barantolois ce que vouloit dire saint. Je me souviens aussi que dans le crédo, fait pour les Hotentots, on fut obligé d'exprimer le Saint Esprit par des mots du pays, qui signifient un vent doux et agréable (ce qui n'étoit pas sans raison) car nos mots Grecs et Latins veчua, anima, spiritus, ne signifient originairement que l'air ou vent, qu'on respire, comme une des plus subtiles choses, qui nous soit connue par les sens: et on commence par les sens pour mener peu à peu les hommes à ce qui est au dessus des sens. Cependant toute cette difficulté qu'on trouve à parvenir aux connoissances abstraites ne fait rien contre les connoissances innées. Il y a des peuples, qui n'ont aucun mot, qui réponde à celui d'Etre; est ce qu'on doute qu'ils ne savent pas ce que c'est que d'Etre, quoiqu'ils n'y pensent guères à part? Au reste je trouve si beau et si à mon gré ce que j'ai lû chez notre excellent Auteur sur l'idée de Dieu (Essai sur l'entendement livr. 1. ch. 3. §. 9.) que je ne sauroit m'empêcher de le rapporter. Le voici: » Les » hommes ne sauroient guères éviter, d'avoir quel» que espèce d'idée des choses, dont ceux avec qui » ils conversent ont souvent occasion de les entre» tenir sous certains noms, et si c'est une chose » qui emporte avec elle l'idée d'excellence, de grandeur, ou de quelque qualité extraordinaire, qui interesse par quelque endroit et qui s'imprime

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» dans l'esprit sous l'idée d'une puissance absolue » et irrésistible, qu'on ne puisse s'empêcher de craindre (j'ajoute: et sous l'idee d'une grandissime bonté, qu'on ne sauroit s'empêcher d'aimer) » une telkidée doit suivant toutes les apparences faire de plus fortes impressions et se repandre plus loin qu'aucune autre: surtout, si c'est une » idée qui s'accorde avec les plus simples lumières » de la raison et qui découle naturellement » de chaque partie de nos connoissances. Or telle » est l'idée de Dieu, car les marques éclatantes » d'une sagesse et d'une puissance extraordinaire » paroissent si visiblement dans tous les ouvrages de la >>création, que toute créature raisonnable, qui voudra y » faire réflexion, ne sauroit manquer de découvrir l'au>>teur de toutes ces merveilles : et l'impression, que la » decouverte d'un tel être doit faire naturellement » sur l'ame de tous ceux qui en ont entendu parler » une seule fois, est si grande et entraine avec elle des pensées d'un si grand poids et si propres à » se répandre dans le monde, qu'il me paroit tout » a fait étrange qu'il se puisse trouver sur la terre >> une nation entère d'hommes assez stupides pour n'avoir aucune idée de Dieu. Cela dis-je me » semble aussi surprenant que d'imaginer des hom» mes, qui n'auroient aucune idée des nombres ou >> du feu. << Je voudrois qu'il me fut toujours permis de copier mot à mot quantité d'autre excellens endroits de notre auteur, que nous sommes obligés de passer. Je dirai seulement ici, que cet auteur, parlant des plus simples lumières de la raison, qui s'accordent avec l'idée de Dieu, et de ce qui en decoule naturellement, ne paroit guè res s'éloigner de mon sens sur les vérités innées; et sur ce, qu'il lui paroit aussi étrange, qu'il y ait des hommes sans aucune idée de Dieu, qu'il seroit surprenant de trouver des hommes, qui n'auroient aucune idée des nombres ou du feu, je remarquerai que les habitans des Isles Marianes, à qui on a donné le nom de la Reine d'Espagne, qui y a favorisé les missions, n'avoient aucune connoissance du feu lorsqu'on les découvrit, comme il paroit par la relation que le R. P. Gobien Jésuite! François, chargé du soin des missions éloignées, a donnée au public et m'a envoyée.

§. 16. PH. Si l'on a droit de conclure, que l'idée de Dieu est innée, de ce que tous les gens sages ont eu cette idée, la vertu doit aussi être innée parceque les gens sages en ont toujours eu une véritable idée.

TH. Non pas la vertu, mais l'idée de la vertu est innée, et peut-être ne voulez vous que cela.

PH. Il est aussi certain qu'il y a un Dieu, qu'il est certain que les angles opposés, qui se font par

l'intersection de deux lignes droites, sont égaux. Et il n'y eût jamais de créature raisonnable, qui se soit appliquée sincèrement à examiner la vérité de ces deux propositions, qui ait manqué d'y donner son consentement. Cependant il est hors de doute, qu'il y a bien des hommes, qui n'ayant point tourné leurs pensées de ce coté -la, ignorent également ces deux vérités.

TH. Je l'avoue, mais cela n'empêche point qu'elles soyent innées, c'est à dire qu'on ne les puisse trouver en soi.

§. 18. PH. Il seroit encore avantageux d'avoir une idée innée de la substance; mais il se trouve que nous ne l'avons, ni innée, ni acquise, puisque nous ne l'avons ni par la sensation, ni par la réflexion.

TH. Je suis d'opinion, que la reflexion suffit, pour trouver l'idée de la substance en nous mêmes, qui sommes des substances. Et cette notion est des plus importantes. Mais nous en parlerons peut-être plus amplement dans la suite de notre conférence.

PH. S'il y a des idées innées, qui soyent dans l'esprit, sans que l'esprit y pense actuellement, il faut du moins qu'elles soyent dans la memoire, d'où elles devoient être tirées par voie de Réminiscence, c'est à dire, être connues lorqu'on en rappelle le souvenir, comme autant de perceptions, qui ont été auparavant l'ame, à moins que la réminiscence ne puisse subsister sans réminiscence. Car cette persuasion, où l'on est intérieurement sûr, qu'une telle idée a été auparavant dans notre esprit, est proprement ce qui distingue la réminiscence de de toute autre voie de penser.

TH. Pour que les connoissances, idées ou vérités soyent dans notre esprit, il n'est point nécessaire que nous y ayons jamais pensé actuellement; ce ne sont que des habitudes naturelles, c'est à dire des dispositions et attitudes actives et passives et plus que Tabula rasa. Il est vrai cependant, que les Platoniciens croyoient que nous avions déjà pensé actuellement à ce que nous retrouvons en nous; et pour les réfuter, il ne suffit pas de dire que nous ne nous en souvenons point, car il est sur qu'une infinité de pensées nous revient, que nous avons oublié d'avoir eues. Il est arrivé, qu'un homme a cru faire un vers nouveau, qu'il s'est trouvé avoir lû mot pour mot long tems auparavant dans quelque ancien Poëte. Et souvent Dous avons une facilité non commune, de concevoir certaines choses, parceque nous les avons conçues autrefois, sans que nous nous en souvenions. Il se peut qu'un enfant, devenu aveugle, oublie d'avoir jamais vû la lumière et les couleurs, comme

il arriva à l'âge de deux ans et demi par la petite verole au célèbre Ulric Schönberg, natif de Weide au haut Palatinat, qui mourut à Königsberg en Prusse en 1649. où il avoit enseigné la Philosophie et les Mathématiques avec l'admiration de tout le monde. Il se peut aussi qu'il reste à un tel homme des effets des anciennes impressions, sans qu'il s'en souvienne. Je crois que les songes nous renouvellent souvent ainsi d'anciennes pensées. Jules Scaliger, ayant célébré en vers les hommes illustres de Verone, un certain soi-disant Brugnolus, Bavarois d'origine mais depuis établi à Verone, lui parût en songe et se plaignit d'avoir été oublié. Jules Scaliger ne se souvenant pas d'en avoir ouï parler auparavant, ne laissa point de faire des vers Elégiaques à son honneur sur ce songe. Enfin le fils Joseph Scaliger, passant en Italie, apprit plus particulièrement, qu'il y avoit eu autrefois à Verone un célèbre Grammairien ou Critique savant de ce nom, qui avoit contribué au rétablissement des belles lettres en Italie. Cette histoire se trouve dans les Poesies de Scaliger le père avec l'Elégie, et dans les lettres du fils. On les rapporte aussi dans les Scaligerana, qu'on à recueilli des conversations de Joseph Scaliger. Il y a bien de l'apparence, que Jules Scaliger avoit sû quelque chose de Brugnol, dont il ne se souvenoit plus, et que le songe fût en partie le renouvellement d'une ancienne idée, quoiqu'il n'y ait pas eu cette réminiscence proprement appellée ainsi, qui nous fait connoitre que nous avons déja eu cette même idée; du moins je ne vois aucune nécessité, qui nous oblige d'assurer, qu'il ne reste aucune trace d'une perception quand il n'y en a pas assez pour se souvenir qu'on l'a eûe.

§. 24. PH. Il faut que je reconnoisse que vous répondez assez naturellement aux difficultés, que nous avons formées contre les vérités innées. Peutêtre aussi que nos auteurs ne les combattent point dans le sens, que vous les soutenez. Ainsi je reviens seulement à vous dire, Monsieur, qu'on a eu quelque sujet de craindre, que l'opinion des vérités innées ne servit de prétexte aux parresseux, de s'exemter de la peine des recherches, et donnât la commodité aux docteurs et aux maîtres, de poser pour principe, que les principes ne doivent pas être mis en question.

TH. J'ai déja dit, que si c'est là le dessein de vos amis, de conseiller qu'on cherche les preuves des vérités, qui en peuvent recevoir, sans distinguer si elles sont innées ou non, nous sommes entièrement d'accord; et l'opinion des vérités innées, de la manière que je les prend, n'en doit détourner personne, car outre qu'on fait bien, de chercher la

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