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lement une Substance ne sauroit être sans Action, et qu'il n'y a même jamais de corps sans mouvement. L'expérience me favorise déja, et on n'a qu'à consulter le livre de l'illustre M. Boyle contre le repos absolû, pour en être persuadé. Mais je crois, que la raison y est encore. Et c'est une des preuves, que j'ai pour détruire les Atomes. D'ailleurs il y a mille marques, qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans Apperception et sans Réflexion, c'est à dire des changements dans l'Ame même, dont nous ne nous appercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effèt, et de se faire sentir dans l'assemblage, ou moins confusément. C'est ainsi que la coûtume fait, que nous ne prenons pas garde au mouvement d'un moulin ou à une chûte d'eau, quand nous avons habité tout au près depuis quelque temps. Ce n'est pas, que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'ame qui y reponde à cause de l'harmonie de l'ame et du corps; mais les impressions, qui sont dans l'ame et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s'attirer notre attention et notre mémoire, qui ne s'attachent qu'à des objets plus occupans. Toute attention demande de la mémoire et quand nous ne sommes point avertis, pour ainsi dire, de prendre garde à quelques unes de nos propres perceptions présentes, noas les laissons passer sans réflexion et même sans les remarquer; mais si quelqu'un nous en avertit incontinent et nous fait remarquer par exemple quelque bruit, qu'on vient d'entendre, nous nous en souvenons et nous nous appercevons d'en avoir eû tantôt quelque sentiment. Ainsi c'étoient des perceptions, dont nous ne nous étions pas apperçus incontinent, l'apperception ne venant dans ce cas d'avertissemeut, qu'après quelque intervalle tout petit qu'il soit. Pour juger encore mieux des petites percéptions, que nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai coûtume de me servir de l'exemple du mugissement, ou du bruit de la mer, dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit, comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les parties, qui composent ce tout, c'est à dire le bruit de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connoitre que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, et qu'il

ne se remarqueroit pas, si cette vague, qui le fait, étoit seule. Car il faut qu'on soit affecté un peu par le mouvement de cette vague, et qu'on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelques petits qu'ils soyent; autrement on n'auroit pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauroient faire quelque chose. D'ailleurs on ne dort jamais si profondement, qu'on n'ait quelque sentiment foible et confus; et on ne seroit jamais éveillé par le plus grand bruit du monde, si on n'avoit quelque perception de son commencement, qui est petit, comme on ne romproit jamais une corde par le plus grand effort du monde, si elle n'étoit tendue et allongée un peu par de moindres efforts, quoique cette petite extension, qu'ils font, ne paroisse pas.

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Ces petites perceptions sont donc de plus grande efficace qu'on ne pense. Ce sont elles, qui forment ce je ne sai quoi, ces gouts, ces images des qualités des sens, claires dans l'assemblage, mais confuses dans les parties; ces impressions que les corps, qui nous environnent, font sur nous et qui enveloppent l'infini; cette liaison que chaque être a avec tout le reste de l'univers. On peut même dire qu'en conséquence de ces petites perceptions le présent est plein de l'avenir et chargé du passé, que tout est conspirant (σύμπνοια πάντα comme disoit Hippo | 7 crate), et que dans la moindre des substances, des yeux aussi perçans, que ceux de Dieu, pourroient lire toute la suite des choses de l'univers.

Quae sint, quae fuerint, quae mox futura trahantur. Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le même individu, qui est caractérisé, par les traces, qu'elles conservent des états précédens de cet individu, en faisant la connexion avec son état présent; et elles se peuvent connoître par un esprit superieur, quand même cet individu ne les sentiroit pas, c'est à dire lorsque le souvenir exprès n'y seroit plus. Elles donnent même le moyen de retrouver le souvenir au besoin par des développemens périodiques, qui peuvent arriver un jour. C'est pour cela que la mort ne sauroit être qu'un sommeil, et même ne sauroit en demeurer un, les perceptions cessant seulement à être assez distinguées et se reduisant à un état de confusion dans les animaux, qui suspend l'apperception, mais qui ne sauroit durer toujours.

C'est aussi par les perceptions insensibles que j'explique cette admirable harmonie préétablie de l'ame et du corps, et même de toutes les Mo

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nades ou Substances simples, qui supplée à l'influence insoutenable des uns sur les autres, et qui, au jugement de l'auteur du plus beau des Dictionnaires, exalte la grandeur des perfections divines au delà de ce qu'on en a jamais conçû. Après celà je dois encore ajouter, que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien de rencontres sans qu'on y pense, et qui trompent le vulgaire par l'apparence d'une indifférence d'équilibre, comme si nous étions indifférens de tourner par exemple à droite ou à gauche. I n'est pas nécessaire que je fasse aussi remarquer ici, comme j'ai fait dans le livre même, qu'elles causent cette inquiétude, que je montre consister en quelque chose, qui ne diffère de la douleur, que comme le petit diffère du grand et qui fait pourtant souvent nôtre désir et même notre plaisir, en lui donnant comme un sel qui pique. Ce sont les mêmes parties insensibles de nos perceptions sensibles, qui font, qu'il y a un rapport entre ces perceptions des couleurs, des chaleurs, et autres qualités sensibles, et entre les mouvemens dans les corps, qui y répondent; au lieu que les Cartésiens avec nôtre Auteur, tout pénétrant qu'il est, conçoivent les perceptions, que nous avons de ces qualités, comme arbitraires, c'est à dire, comme si Dieu les avoit données à l'ame suivant son bon plaisir, sans avoir égard à aucun rapport, essentiel entre les perceptions et leurs objets: sentiment qui me surprend et qui me paroit peu digne de la sagesse de l'Auteur des choses, qui ne fait rien sans harmonie et sans raison.

En un mot les perceptions insensibles 225, sont d'un aussi grand usage dans la Pneumatique, que les corpuscules dans la Physique; et il est également déraisonnable de rejetter les uns et les autres, sous prétexte qu'elles sont hors de la portée de nos sens. Rien ne se fait tout d'un coup, et c'est une de mes grandes maximes et des plus vérifiées, que la nature ne fait jamais des sauts. J'appellois cela la loi de la continuité, lorsque j'en parlois autre fois dans les nouvelles de la république des lettres; et l'usage de cette loi est très-considérable dans la Physique. Elle porte qu'on passe toujours du petit au grand et à rebours par le médiocre, dans les dégrés comme dans les parties; et que jamais un mouvement ne nait immédiatement du repos, ni ne s'y réduit que par un mouvement plus petit, comme on n'achève jamais de parcourir aucune ligne ou longueur avant que d'avoir achevé une ligne plus petite, quoique jusques ici ceux, qui ont donné les loix du mouvement n'ayent point observé cette loi, croyant qu'un corps peut recevoir en un mo

ment un mouvement contraire au précédent. Tout cela fait bien juger, que les perceptions remarquables viennent par dégrés de celles, qui sont trop petites pour être remarquées. En juger autrement c'est peu connoître l'immense subtilité des choses, qui enveloppe toujours et partout un infini 383, ◄ actuel.

J'ai aussi remarqué, qu'en vertu des variations insensibles, deux choses individuelles ne sauroient être parfaitement semblables, et qu'elles doivent toujours différer plus que numero, ce qui détruit les tablettes vuides de l'ame, une ame sans pensée, une substance sans action, le vuide de l'espace, les atomes, et même des parcelles non actuellement divisées dans la matière, l'uniformité entière dans une partie du temps, du lieu, ou de la matière, les globes parfaits du second élément, nés des cubes parfaits originaires, et mille autres fictions des Philosophes, qui viennent de leurs notions incomplettes, que la nature des choses ne souffre point, et que nôtre ignorance et le peu d'attention, que nous avons à l'insensible, fait passer, mais qu'on ne sauroit rendre tolérables, à moins qu'on ne les borne à des abstractions de l'esprit, qui proteste de ne point nier ce qu'il met à quartier, et qu'il juge ne devoir point entrer en quelque considération présente. Autrement si on l'entendoit tout de bon, savoir, que les choses, dont on ne s'apperçoit pas, ne sont point dans l'ame ou dans le corps, on manqueroit en Philosophie comme en Politique, en négligeant To puzoov, les progrès insensibles; au lieu qu'une abstraction n'est pas une erreur, pourvû qu'on sache que ce, qu'on dissimule, y est. C'est comme les Mathémaciens en usent quand ils parlent des lignes parfaites, qu'ils nous proposent, des mouvemens uniformes et d'autres effèts réglés, quoique la matière (c'est à dire le mélange des effets de l'infini, qui nous environne) fasse toujours quelque exception. Pour distinguer les considérations, pour réduire les effets aux raisons, autant qu'il nous est possible, et pour en prévoir quelques suites, on procède ainsi: car plus on est attentif à ne rien négliger des considérations, que nous pouvons régler, plus la pratique répond à la théorie. Mais il n'appartient qu'à la suprème raison, à qui rien n'échappe, de comprendre distinctement tout l'infini, toutes les raisons et toutes les suites. Tout ce que nous pouvons sur les infinités, c'est de les connoitre confusément, et de savoir au moins distinctement, qu'elles y sont; autrement nous jugeons fort mal de la beauté et de la grandeur de l'univers, comme aussi nous ne saurions avoir une bonne Physique, qui explique la nature des cho

ses en général, et encore moins une bonne Pneumatique, qui comprenne la connoissance de Dien, des ames, et des Substances simples en général.

Cette connoissance des perceptions insensibles sert aussi à expliquer pourquoi et comment deux ames humaines ou deux choses d'une même espèce, ne sortent jamais parfaitement semblables des mains du Créateur, et ont toujours chacune son rapport originaire aux points de vue, qu'elles auront dans l'univers. Mais c'est ce qui suit déja de ce, que j'avois remarqué de deux individus; savoir, que leur différence est toujours plus que numérique. Il y a encore un autre point de conséquence, où je suis obligé de m'éloigner non seulement des sentimens de notre auteur, mais aussi de ceux de la plupart des modernes ; c'est que je crois avec la plupart des anciens, que tous les génies, toutes les ames, toutes les substances simples crées, sont toujours à un corps, et qu'il n'y a jamais des ames qui en soient entièrement séparées. J'en ai des raisons à priori. Mais on trouvera encore, qu'il y a cela d'avantageux dans ce dogme, qu'il ressout toutes les difficultés philosophiques sur l'état des ames, sur leur conservation perpetuelle, sur leur immortalité, et sur leur opération, la différence d'un de leur états à l'autre n'étant jamais, ou n'ayant jamais été que du plus au moins sensible, du plus parfait au moins parfait, ou à rebours, ce qui rend leur état passé ou à ve-36 nir aussi explicable que celui d'à présent. On sent assez en faisant tant soit peu de réflexion, que cela est raissonnable, et qu'un saut d'un état à un autre, infiniment différent, ne sauroit être naturel. Je m'étonne qu'en quittant la nature sans sujet, les écoles ayent voulu s'enfoncer exprès dans des difficultés très-grandes, et fournir matière aux triomphes apparens des esprits forts, dont toutes les raisons tombent tout d'un coup par cette explication des choses, où il n'y a pas plus de difficulté à concevoir la conservation des ames (ou plutôt selon moi de l'animal,) que celle qu'il y a dans le changement de la chenille en papillon, et dans la conservation de la pensée dans le sommeil, auquel JésusChrist a divinement bien comparé la mort. ai-je déja dit, qu'aucun sommeil ne sauroit durer toujours; et il durera moins ou presque point du tout aux ames raisonnables, qui sont toujours destinées à conserver le personnage et la souvenance, qui leur à été donné dans la Cité de Dieu, et cela pour être mieux susceptibles des recompenses et des chatiments. J'ajoute encore qu'en général aucun dérangement des organes visibles n'est capable de porter les choses à une entière confusion dans

Aussi

l'animal, ou de détruire tous les organes, et priver l'ame de tout son corps organique, et des restes inéffaçables de toutes les traces précédentes. Mais la facilité, qu'on a eue, de quitter l'ancienne doctrine des corps subtils, joints aux Anges, (qu'on confondoit avec la corporalité des anges même) et l'introduction de prétenduës intelligences séparées dans les créatures (à quoi celles, qui font rouler les cieux d'Aristote, ont contribué beaucoup) et enfin l'opinion mal entenduë, où l'on a été, qu'on ne pouvoit conserver les ames des bêtes sans tomber dans la métempsychose, ont fait, à mon avis, qu'on a négligé la manière naturelle d'expliquer la conservation de l'ame. Ce qui a fait bien du tort à la religion naturelle, et a fait croire à plusieurs, que notre immoralité n'étoit qu'une grace miracu-† leuse de Dieu, dont encore notre célébre Auteur parle avec quelque doute, comme je dirai tantôt. Mais il seroit à souhaiter, que tous ceux, qui sont de ce sentiment, en eussent parlé aussi sagement et d'aussi bonne foi que lui; car il est à craindre, que plusieurs, qui parlent de l'immortalité par grace, ne le font que pour sauver les apparences, et approchent dans le fonds de ces Averroistes, et de 5 quelques mauvais Quietistes, qui s'imaginent une absorption et réunion de l'ame à l'océan de la divinité, notion dont peut-être mon système seul fait bien voir l'impossibilité.

Il semble aussi, que nous différons encore par rapport à la matière, en ce que l'Auteur juge que le vuide est nécessaire pour le mouvement, parce qu'il croit que les petites parties de la matière sont roides. J'avoue que si la matière étoit composée de telles parties, le mouvement dans le plein seroit impossible, comme si une chambre étoit pleine d'une quantité de petits cailloux, sans qu'il y eut la moindre place vuide. Mais on n'accorde point cette supposition, dont il ne paroit pas aussi qu'il y ait aucune raison; quoique cet habile Auteur aille jusqu'à croire, que la roideur ou la cohésion des petites parties fait l'essence du corps. Il faut plutôt concevoir l'espace_comme plein d'une matière ori- 224.12 ginairement fluide, susceptible de toutes les divisions, et assujettie même actuellement à des divisions et subdivisions à l'infini; mais avec cette différence pourtant, qu'elle est divisible et divisée inégalement en differens endroits à cause des mouvemens qui y sont déja plus ou moins conspirans; ce qui fait qu'elle a partout un dégré de roideur aussi bien que de fluidité et qu'il n'y a aucun corps, qui soit dur ou fluide au suprème dégré, c'est à dire, qu'on n'y trouve aucun atome d'une dureté insurmontable, ni aucune masse entièrement indifférente à la division. Aussi l'ordre de la nature, et parti

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culièrement la loi de la continuité détruit également | »trement que les corps agissent les uns sur les autres, l'un et l'autre.

J'ai fait voir aussi que la Cohésion, qui ne seroit pas elle même l'effet de l'impulsion ou du mouvement, causeroit une traction prise à la rigueur. Car s'il y avoit un corps originairement roide, par exemple un atome d'Epicure, qui auroit une partie avancée en forme de crochet (puisqu'on peut se figurer des atomes de toute sorte de figures) ce crochet poussé tireroit avec lui le reste de cet atome, c'est à dire la partie, qu'on ne pousse point, et qui ne tombe point dans la ligne de l'impulsion. Cependant nôtre habile Auteur est lui même contre ces tractions philosophiques, telles qu'on les attribuoit autrefois à la crainte du vuide; et il les réduit aux impulsions, soutenant avec les modernes, qu'une partie de la matière n'opère immediatement sur l'autre, qu'en la poussant de près, en quoi je crois qu'ils ont raison, parce qu'autrement il n'y a rien d'intelligible dans l'opération.

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Il faut pourtant que je ne dissimule point d'avoir remarqué une manière de retraction de nôtre excellent Auteur sur ce sujet, et je ne sauroit m'empêcher de louer en cela sa modeste sincérité, autant que j'ai admiré son génie pénétrant en d'autres occasions. C'est dans la réponse à la seconde lettre de feu Mr. l'Evêque de Worcester, imprimée en 1699. pag. 408. où pour justifier le sentiment, qu'il avoit soutenû contre ce savant Prélat, savoir que la matière pourroit penser, il dit entre autres choses: »J'avoue que j'ai dit« (livre 2. de l'Essai concernant l'entendement C. 8. §. 11.) que le corps opère parim» pulsion et non autrement. Aussi étoit-ce mon senti»ment quand je l'écrivis, et encore présentement je ne » saurois concevoir une autre manière d'agir. Mais » depuis j'ai été convaincû par le livre incompa»rable du judicieux M. Newton, qu'il y a trop » de présomption de vouloir limiter la puissance de » Dieu par nos conceptions bornées. La gravitation de la matière vers la matière par des voyes, » qui me sont inconcevables, est non seulement une » démonstration, que Dieu peut, quand bon lui » semble, mettre dans les corps des puissances et » manières d'agir, qui sont au dessus de ce qui » peut être dérivé de notre idée du corps, ou ex»pliqué par ce que nous connoissons de la matière; » mais c'est encore une instance incontestable qu'il l'a fait effectivement. C'est pourquoi j'aurai soin, *que dans la prochaine édition de mon livre ce » passage soit reddressé. « Je trouve que dans la version française de ce Livre, faite sans doute sur les dernières éditions on la mis ainsi dans ce §. 11. » Il est visible au moins autant que nous pouvons » le concevoir, que c'est par impulsion, et non au

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»car il nous est impossible de comprendre, que le »corps puisse agir sur ce qu'il ne touche pas, ce qui est autant que d'imaginer qu'il puisse agir où il n'est pas.

Je ne puis que louer cette pieté modeste de nòtre célèbre Auteur, qui reconnoit, que Dieu peut faire au delà de ce que nous pouvons entendre; et qu'ainsi il peut y avoir des mystères inconcevables dans les articles de la foi; mais je ne voudrois pas qu'on fut obligé de recourir aux miracles dans le cours ordinaire de la nature, et d'admettre des puissances et opérations absolument inexplicables. Autrement à la faveur de ce que Dieu peut faire, on donnera trop de licence aux mauvais Philosophes, et en admettant ces vertus centripétes, ou ces attractions immédiates de loin, sans qu'il soit possible de les rendre intelligibles, je ne vois pas ce qui empêcheroit nos scholastiques de dire, que tout se fait simplement par les facultés, et de soutenir leurs espèces intentionelles, qui vont des objets jusqu'à nous, et trouvent moyen d'entrer jusques dans nos ames. Si cela va bien,

Omnia jam fient, fieri quae posse negabam.

De sorte qu'il me semble, que nôtre Auteur, tout judicieux qu'il est, va ici un peu trop d'une extrémité à l'autre. Il fait le difficile sur les opérations des ames, quand il s'agit seulement d'admettre ce qui n'est point sensible, et le voilà qui donne aux corps ce qui n'est pas même intelligible; leur accordant des puissances et des actions, qui passent tout ce qu'à mon avis un esprit créé sauroit faire et entendre, puis qu'il leur accorde l'attraction et même à des grandes distances, sans se borner à aucune sphère d'activité; et cela pour soutenir un sentiment, qui n'est pas moins inexplicable, savoir la possibilité de la pensée de la matière dans l'ordre naturel.

La question, qu'il agite avec le célèbre Prélat, qui l'avoit attaqué, est, si la matière peut penser; et comme c'est un point important, même pour le présent ouvrage, je ne puis me dispenser d'y entrer un peu, et de prendre connoissance de leur contestation. J'en représenterai la substance sur ce sujet, et prendrai la liberté de dire ce que j'en pense. Feu M. l'Evêque de Worcester appréhendant (mais sans en avoir grand sujet à mon avis) que la doctrine des idées de notre Auteur ne fût sujette à quelques abus, préjudiciables à la foi Chrétienne, entreprit d'en examiner quelques endroits dans sa Vindication de la doctrine de la Trinité et ayant rendû justice à cet excellent écrivain, en reconnoissant qu'il juge l'existence de l'esprit aussi certaine que celle

»berté et de puissance de mouvoir nôtre corps, »nous avons une notion aussi claire des substan»ces immatérielles que des matérielles. « Il allégue d'autres passages encore pour faire voir, que l'Auteur opposoit l'esprit au corps, et dit (p. 54.) que le but de la religion et de la morale est mieux assuré, en prouvant, que l'ame est immortelle par sa nature, c'est à dire immatérielle. Il allégue encore (pag. 70.) ce passage, »que toutes les idées »que nous avons des espèces particulières et di»stinctes des substances, ne sont autre chose que

différentes combinaisons d'idées simples, « et qu'ainsi l'Auteur a crû, que l'idée de penser et de vouloir donnoit une autre snbstance, différente de celle, que donne l'idée de la solidité et de l'impul>>Jesion; et que (§. 17.) il marque, que ces idées constituent le corps, opposé à l'esprit.

du corps, quoique l'une de ces substances soit aussi peu connuë que l'autre, il demande (pag. 241. seq.) comment la réflexion nous peut assurer de l'existence de l'esprit, si Dieu peut donner à la matière la faculté de penser suivant le sentiment de notre Auteur liv. 4. chap. 3. puisqu'ainsi la voie des Idées, qui doit servir à discuter ce qui peut convenir à l'ame ou au corps, deviendroit inutile, au lien, qu'il étoit dit dans le livre 2. de l'Essai sur l'entendement. chap. 23. §. 15. 27. 28. que les opérations de l'ame nous fournissent l'Idée de l'esprit et que l'entendement avec la volonté nous rend cette Idée aussi intelligible que la nature du corps nous est rendue intelligible par la solidité et par l'impulsion. Voici comment nôtre Auteur y répond dans la première lettre (p. 65. seq.). »Je »crois avoir prouvé, qu'il y a une substance spirituelle en nous, car nous expérimentons en nous la pensée; or cette action, ou ce mode, ne sauroit être l'objet de l'idée d'une chose subsistente -de soi, et par conséquent ce mode a besoin d'un support ou sujet d'inhésion et l'idée de ce sup>port fait ce que nous appellons substance --- car puisque l'idée générale de la substance est par »tout la même, il s'ensuit, que la modification, qui s'appelle pensée ou pouvoir de penser, y étant -jointe, cela fait un esprit sans qu'on ait besoin de considérer quelle autre modification il a en»core, c'est à dire, s'il a de la solidité ou non; et de l'autre coté la substance, qui a la modification, >qu'on appelle solidité, sera matière, soit que la -pensée y soit jointe ou non. Mais si par une -substance spirituelle vous entendez une substance immatérielle, j'avoue de n'avoir point prouvé, -qu'il y en ait en nous, et qu'on ne peut point le »prouver demonstrativement sur mes principes; Quoique ce que j'ai dit sur les systèmes de la »matière (liv. 4. c. 10. §. 16.) en demontrant, que Dieu est immatériel, rende probable au su»prême dégré, que la substance, qui pense en nous, ⚫est immatérielle - - - - cependant j'ai montré (ajoute l'Auteur p. 68.) que les grands buts de » la religion et de la morale sont assurés par l'im-mortalité de l'ame, sans qu'il soit besoin de sup»poser son immatérialité. «

Le savant Evêque dans sa réponse à cette lettre, pour faire voir que notre Auteur a été d'un autre sentiment, lors qu'il écrivoit son second livre de l'Essai, en allégue pag. 51. ce passage (pris du même livre c. 23. §. 15.) où il est dit, »que par -les idées simples, que nous avons déduites des opérations de notre esprit, nous pouvons former l'idée complexe d'un esprit et que mettant ensemble les idées de pensée, de perception, de li

M. de Worcester pouvoit ajouter, que de ce que l'idée générale de substance est dans le corps et dans l'esprit, il ne s'en suit pas, que leurs différences soient des modifications d'une même chose, comme nôtre auteur vient de le dire dans l'endroit, que j'ai rapporté de sa première lettre. Il faut bien distinguer entre modifications et attributs. Les facultés d'avoir de la perception et d'agir, l'étenduë, la solidité, sont des attributs ou des prédicats perpetuels et principaux; mais la pensée, l'impétuosité, les figures, les mouvemens, sont des modifications de ces attributs. De plus, on doit distinguer entre genre Physique ou plutôt réel et genre Logique, ou idéal. Les choses qui sont d'un même genre Physique, ou qui sont homogènes, sont d'une même matière pour ainsi dire et peuvent souvent être changées l'une dans l'autre par le changement de la modification; comme les cercles et les quarrés. Mais deux choses hétérogènes peuvent avoir un genre Logique commun et alors leurs différences ne sont pas des simples modifications accidentelles d'un même sujet ou d'une même matière metaphysique ou physique. Ainsi le temps et l'espace sont des choses fort hétérogènes et on auroit tort de s'imaginer je ne sai quel sujet réel cominun, qui n'eût que la quantité continue en général et dont les modifications fissent · provenir le temps ou l'espace. Cependant leur genre Logique commun est la quantité continuë. Quelqu'un se mocquera peut-être de ces distinctions des Philosophes de deux genres, l'un Logique seulement, l'autre encore réel; et de deux matières, l'une Physique, qui est celle des corps, l'autre Métaphysique seulement ou générale, comme si quelqu'un disoit, que deux parties de l'espace sont d'une même matière, ou que deux heures sont aussi entr'elles d'une même matière. Cependant

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