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le reste et donner l'Empire à son époux. Des ministres habiles prévirent que si la reine de Hongrie refusait de telles offres, l'Allemagne serait bientôt bouleversée; mais le sang de tant d'empereurs qui coulait dans les veines de cette princesse ne lui laissa pas seulement l'idée de démembrer son patrimoine; elle était impuissante et intrépide. Le roi de Prusse voyant qu'en effet cette puissance n'était alors qu'un grand nom, et que l'état où était l'Europe lui donnerait infailliblement des alliés, marcha en Silésie au milieu du mois de décembre 1740.

On voulut mettre sur ses drapeaux cette devise: pro Deo et patria: il raya pro Deo, disant qu'il ne fallait point ainsi mêler le nom de Dieu dans les querelles des hommes, et qu'il s'agissait d'une province et non de religion. Il fit porter devant son régiment des gardes l'aigle romaine éployée en relief au haut d'un bâton doré: cette nouveauté lui imposait la nécessité d'être invincible. II harangua son armée pour ressembler en tout aux anciens Romains. Entrant ensuite en Silésie, il s'empara de presque toute cette province dont on lui avait réfusé une partie; mais rien n'était encore décidé. Le général Neipperg vint avec environ vingt-quatre mille Autrichiens au secours de cette province déjà envahie: il mit le roi de Prusse dans la nécessité de donner bataille à Molwitz, près de la rivière de Neisse. On vit alors" ce que valait l'infanterie prussienne: la ca

valerie du roi, moins forte de près de moitié que l'autrichienne, fut entièrement rompue; la première ligne de son infanterie fut prise en flanc; on crut la bataille perdue; tout le bagage du roi fut pillé; et ce prince, en danger d'être pris, fut entraîné loin du champ du bataille par tous ceux qui l'environnaient. La seconde ligne de l'infanterie rétablit tout par cette discipline inébranlable à laquelle les soldats prussiens sont accoutumés, par ce feu continuel qu'ils font, en tirant cinq coups au moins par minute, en chargeant leurs fusils, avec leurs baguettes de fer, en un moment. La bataille fut gagnée; et cet évènement devint le signal d'un embrasement universel.

CHAPITRE VI.

Le roi de France s'unit aux rois de Prusse et de Pologne pour faire élire empereur l'électeur de Bavière, Charles-Albert. Ce prince est déclaré lieutenant-général du roi de France. Son élec tion, ses succès et ses pertes rapides.

L'EUROPE Crut que le roi de Prusse était déjà d'accord avec la France quand il prit la Silésie; on se trompait: c'est ce qui arrive presque toujours lorsqu'on raisonne d'après ce qui n'est que vraisemblable. Le roi de Prusse hasardait beaucoup, comme il

l'avoua lui-même; mais il prévit que la France ne manquerait pas une si belle occasion de le seconder. L'intérêt de la France semblait être alors de favoriser, contre l'Autriche, son ancien allié l'électeur de Bavière, dont le père avait tout perdu autrefois pour elle après la bataille d'Hochstædt. Ce même électeur de Bavière, Charles-Albert, avait été retenu prisonnier dans son enfance par les Autrichiens qui lui avaient ravi jusqu'à son nom de Bavière. La France trouvait son avantage à le venger; il paraissait aisé de lui procurer à la fois l'empire et une partie de la succession autrichienne; par là on enlevait à la nouvelle maison d'Autriche Lorraine cette supériorité que l'ancienne avait affectée sur tous les autres potentats d'Europe: on anéantissait cette vieille rivalité entre les Bourbons et les Autrichiens; on faisait plus que Henri IV et le cardinal de Richelieu n'avaient pu espérer.

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Frédéric III, en partant pour la Silésie, entrevit le premier cette révolution, dont aucun fondement n'était encore jeté: il est si vrai qu'il n'avait pris aucune mesure avec le cardinal de Fleuri, que le marquis de Beauveau, envoyé par le roi de France à Berlin pour complimenter le nouveau monarque, ne sut, quand il vit les premiers mouvements des troupes de Prusse, si elles étaient destinées contre la France ou contre l'Autriche. Le roi Frédéric lui dit en partant: »Je vais,

»je crois, jouer votre jeu: si les as me vien»nent, nous partagerons *).<

Ce fut là le seul commencement de la négociation encore éloignée. Le ministère de France hésita long-temps. Le cardinal de Fleuri, âgé de quatre-vingt-cinq ans, ne vou lait commettre ni sa réputation, ni sa vieillesse, ni la France à une guerre nouvelle. La pragmatique sanction, signée et authentiquement garantie, le retenait..

Le comte, depuis maréchal de Belle-Isle, et son frère, petit-fils du fameux Fouquet, sans avoir ni l'un ni l'autre aucune influence dans les affaires, ni encore aucun accès auprès du roi, ni aucun pouvoir sur l'esprit du cardinal de Fleuri, firent résoudre cette entreprise.

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Le maréchal de Belle-Isle, sans avoir fait de grandes choses, avait une grande réputation. Il n'avait été ni ministre ni général, et passait pour l'homme le plus capable de conduire un état et une armée: mais une santé très-faible détruisait souvent en lui le fruit de tant de talents. Toujours en aotion, toujours plein de projets, son corps pliait sous les efforts de son âme; on aimait en lui la politesse d'un courtisan aimable, et

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L'auteur était en ce temps-là auprès du roi
Prusse. Il peut assurer que le cardinal de
Fleuri ignorait absolument à quel prince il avait
à faire.

la franchise apparente d'un soldat. Il persuadait sans s'exprimer avec éloquence, parce qu'il paraissait toujours persuadé. ·

Son frère, le chevalier de Belle-Isle, avait la même ambition, les mêmes vues, mais encore plus approfondies, parce qu'une santé plus robuste lui permettait un travail plus infatigable. Son air plus sombre était moins engageant, mais il subjuguait lorsque son frère insinuait. Son éloquence ressemblait à son courage; on y sentait sous un air froid et profondément occupé quelque chose de violent; il était capable de tout imaginer, de tout arranger et de tout faire.

Ces deux hommes étroitement unis, plus encore par la conformité des idées que par le sang, entreprirent donc de changer la face de l'Europe, aidés dans ce grand des- sein par une dame alors trop puissante. Le cardinal combattit; il donna même au roi son avis par écrit: et cet avis était contre l'entreprise. On croyait qu'il se retirerait (alors; sa carrière entière eût été glorieuse; mais il n'eut pas la force de renoncer Sministère, et de vivre avec lui-même sur le bord de son tombeau.

au

Le maréchal de Belle-Isle et son frère arrangèrent tout, et le vieux cardinal présida à une entreprise qu'il désapprouvait.

Tout sembla d'abord favorable. Le maréchal de Belle-Isle fut envoyé à Francfort, au camp du roi de Prusse, et à Dresde, pour concerter ces vastes projets que le concours

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