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fit plus d'honneur au ministère que d'être parvenu à faire comprendre à ces puissances que la France pouvait faire la guerre à l'empereur, sans alarmer la liberté de l'Europe. Tous les potentats regardèrent donc tranquillement ses succès rapides. (1734) Une armée de Français fut maîtresse de la campagne sur le Rhin, et les troupes de France, d'Espagne et de Savoie jointes ensemble, furent les maîtresses de l'Italie. Le maréchal de Villars, déclaré généralissime des armées française, espagnole et piémontaise, finit sa glorieuse carrière, à quatre-vingt-deux ans, après avoir pris Milan. Le maréchal de Coigni, son successeur, gagna deux batailles, tandis que le duc de Montemar, général des Espagnols, remporta une victoire dans le royaume de Naples, à Bitonto, dont il eut le surnom. C'est une récompense que la cour d'Espagne donne souvent, à l'exemple des anciens Romains. Don Carlos, qui avait été reconnu prince héréditaire de Toscane, fut bientôt roi de Naples et de Sicile. Ainsi l'empereur Charles VI perdit presque toute I'Italie, pour avoir donné un roi à la Pologne: et un fils du roi d'Espagne eut en deux campagnes ces deux Siciles, prises et reprises tant de fois auparavant, et l'objet continuel de l'attention de la maison d'Autriche pendant plus de deux siècles.

Cette guerre d'Italie est la seule qui se soit terminée avec un succès solide pour les Français depuis Charlemagne. La raison en

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est qu'ils avaient pour eux le gardien des Alpes, devenu le plus puissant prince de ces contrées; qu'ils étaient secondés des meil leurs troupes d'Espagne, et que les armées furent toujours dans l'abondance.

L'empereur fut alors trop heureux de recevoir des conditions de paix que lui offrait la France victorieuse. Le cardinal de Fleuri, ministre de France, qui avait eu la sagesse d'empêcher l'Angleterre et la Hollande de prendre part à cette guerre, eut aussi celle de la terminer heureusement sans leur intervention.

Par cette paix don Carlos fut reconnu roi de Naples et de Sicile. L'Europe était déjà accoutumée à voir donner et changer des états. On assigna à François, duc de Lorraine, gendre de l'empereur Charles VI, l'héritage des Médicis qu'on avait auparavant accordé à don Carlos; et le dernier grandduc de Toscane, près de sa fin, demandait >>si on ne lui donnerait pas un troisième hé>>ritier, et quel enfant l'Empire et la France >>voulaient lui faire.« Ce n'est pas que le grand duché de Toscane se regardât comme un fief de l'Empire; mais l'empereur le regardait comme tel, aussi-bien que Parme et Plaisance, revendiqués toujours par le saintsiège, et dont le dernier duc de Parme avait fait hommage au pape: tant les droits changent selon les temps. Par cette paix, ces duchés de Parme et Plaisance, que les droits du sang donnaient à don Carlos, fils

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de Philippe V et d'une princesse de Parme, furent cédés à l'empereur Charles VI en propriété.

Le roi de Sardaigne, duc de Savoie, qui avait compté sur le Milanais, auquel sa maison, toujours agrandie par degrés, avait depuis long-temps des prétentions, n'en ob tint qu'une petite partie, comme le Novarois, le Tortonois, les fiefs de Langhes. I tirait ses droits sur le Milanais d'une fille de Philippe II, roi d'Espagne, dont il descendait. La France avait aussi ses anciennes préten tions, par Louis XII, héritier naturel de ce duché. Philippe V avait les siennes, par les inféodations renouvelées à quatre rois d'Espagne, ses prédécesseurs. Mais toutes ces prétentions cédèrent à la convenance au bien public. L'empereur garda le Mila❤ nais; ce n'est pas un fief dont il doive tous jours donner l'investiture: c'était originaire ment le royaume de Lombardie annexé à l'Empire, devenu ensuite un fief sous les Viscontis et sous les Sforzes, et aujourd'hui c'est un état appartenant à l'empereur; état démembré, à la vérité, mais qui, avee la Toscane et Mantoue, rend la maison impériale très-puissante en Italie.

et

Par ce traité, le roi Stanislas renonçait au royaume qu'il avait eu deux fois, et qu'on n'avait pu lui conserver; il gardait le titre de roi. Il lui fallait un autre dédommagement; et ce dédommagement fut pour la France encore, plus que pour lui. Le car

dinal de Fleuri se contenta d'abord du Barois, que le duc de Lorraine devait donner au roi Stanislas, avec la réversion à la couronne de France; et la Lorraine ne devait être cédée que lorsque son duc serait en pleine possession de la Toscane. C'était faire dépendre cette cession de la Lorraine de beaucoup de hasards. C'était peu profiter des plus grands succès et des conjonctures les plus favorables. Le garde des sceaux, Chauvelin, encouragea le cardinal de Fleuri å se servir de ses avantages: il demanda la Lorraine aux mêmes conditions que le Barois, et il l'obtint.

Il n'en coûta que quelque argent comptant, et une pension de trois millions cinq cent mille livres faite au duc François, jusqu'à ce que la Toscane lui fût échue.

Ainsi la Lorraine fut réunie à la couronne irrévocablement; réunion tant de fois inutilement tentée. Par là un roi polonais fut transplanté en Lorraine; cette province eut pour la dernière fois un souverain résidant chez elle, et il la rendit heureuse. La maison régnante des princes Lorrains devint souveraine de la Toscane. Le second fils du roi d'Espagne fut transféré à Naples. On aurait pu renouveler la médaille de Trajan: regna assignata, les trônes donnés.

Tout resta paisible entre les princes chrétiens, si on en excepte les querelles naissantes de l'Espagne et de l'Angleterre pour le commerce de l'Amérique. La cour de

France continua d'être regardée comme l'arbitre de l'Europe.

L'empereur faisait la guerre aux Turcs sans consulter l'Empire; cette guerre fut malheureuse: Louis XV le tira de ce précipice par sa médiation; et M. de Villeneuve, son ambassadeur à la Porte ottomane, alla en Hon- . grie conclure, en 1739, avec le grand-visir la paix dont l'empereur avait besoin.

Presque dans le même-temps il pacifiait l'état de Gênes menacé d'une guerre civile: il soumit et adoucit pour un temps les Corses qui avaient secoué le joug de Gênes. Le même ministère étendait ses soins sur Genève, et apaisait une guerre civile élevée dans ses

murs.

Il interposait surtout ses bons offices entre l'Espagne et l'Angleterre qui commençaient à se faire sur mer une guerre plus ruineuse que les droits qu'elles se disputaient n'étaient avantageux. On avait vu le même gouvernement, en 1735, employer sa médiation entre l'Espagne et le Portugal:

aucun

voisin n'avait à se plaindre de la France, et toutes les nations la regardaient comme leur médiatrice et leur mère commune. Cette gloire et cette félicité ne furent pas de longue durée.

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