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»Jai regretté plus d'une fois la solitude vde Fréjus. En arrivant j'ai appris que le vroi était à l'extrémité, et qu'il m'avait fait »l'honneur de me nommer précepteur de son »petit-fils s'il avait été en état de m'enten»dre, je l'aurais supplié de me décharger d'un fardeau qui me fait trembler; mais vaprès sa mort on n'a pas voulu m'écouter: j'en ai été malade, et je ne me console spoint de la perte de ma liberté.<<

Il s'en consola en formant insensiblement son élève aux affaires, au secret, à la probité, et conserva dans toutes les agitations de la cour, pendant la minorité, la bienveil lance du régent et l'estime générale; ne cherchant point à se faire valoir, ne se plaignant de personne, ne s'attirant jamais de refus, n'entrant dans aucune intrigue: mais il s'instruisait en secret de l'administration intérieure du royaume, et de la politique étrangère fit désirer à la France, par la circonspection de sa conduite, par la séduction aimable de son esprit, qu'on le vit à la tête des affaires. Ce fut le second precepteur qui gouverna la France: il ne prit point le titre de premier ministre, et se contenta d'être absolu. Son administration fut moins contestée et moins enviée que celle de Richelieu et de Mazarin, dans les temps les plus heureux de leurs ministères. Sa place ne changea rien dans ses mœurs.& On fut étonné que le premier ministre fit le plus aimable et le plus désintéressé des

courtisans. Le bien de l'état s'accorda longtemps avec sa modération. On avait besoin de cette paix qu'il aimait; et tous les ministres étrangers crurent qu'elle ne serait jamais rompue pendant sa vie.

Il laissa tranquillement la France réparer ses pertes, et s'enrichir par un commerce immense, sans faire aucune innovation: traitant l'état comme un corps puissant et robuste qui se rétablit de lui-même; haïssant tout système, parce que son esprit était heu reusement borné; ne comprenant absolument rien à une affaire de finance, exigeant seule ment des sous-ministres la plus sévère économie; incapable d'être commis d'un bureau, et capable de gouverner l'état *).

Les affaires politiques rentrèrent insensiblement dans leur ordre naturel. Heureuse ment pour l'Europe, le premier ministre d'Angleterre, Robert Walpole, était d'un caractère aussi pacifique; et ces deux hommes continuèrent à maintenir presque toute l'Eu rope dans ce repos qu'elle goûta depuis la paix d'Utrecht jusqu'en 1733; repos qui n'a

Dans quelques livres étrangers, on a confondu le cardinal de Fleuri avec l'abbé de Fleuri, auteur de l'Histoire de l'Église, et des excellents discours qui sont si au-dessus de son histoire. Cet abbé, Fleuri fut le confesseur de Louis XV; mais il vécut à la cour inconnu; il avait une modestie vrate, et l'autre Fleuri avait la modestie d'un lambitieux habile.

wait été troublé qu'une fois par les guerres passagères de 1718 et de 1726. Ce fut un temps heureux pour toutes les nations, qui, cultivant à l'envi le commerce et les arts, oublierent toutes leurs calamités passées.

En ces temps-là se formaient deux puissances, dont l'Europe n'avait point entendu parler avant ce siècle. La première était la Russie, que le czar Pierre-le-Grand avait tirée de la barbarie. Cette puissance ne consistait, avant lui, que dans des déserts. iinmenses et dans un peuple sans lois, sans discipline, sans connaissances, tel que de tout temps ont été les Tartares. Il était si étranger à la France, et si peu connu, que, lorsqu'en 1668 Louis XIV avait reçu une ambassade moscovite, on célèbra par une médaille cet évènement, comme l'ambassade des Siamois..

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Cet empire nouveau commença à influer sur toutes les affaires, et à donner des lois au nord, après avoir abattu la Suède. La seconde, puissance établie à force d'art, et sur des fondements moins vastes, était la Prusse. Ses forces se préparaient, et ne se déployaient pas encore.

La maison d'Autriche était restée à peu près dans l'état où la paix d'Utrecht l'avait mise. L'Angleterre conservait sa puissance sur mer, et la Hollande perdait insensiblement la sienne. Ce petit état, puissant par le peu d'industrie des autres nations, tombait en décadence, parce que ses voisins fai

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saient eux-mêmes le commerce dont il avait été le maître. La Suède languissait; le Da

nemark était florissant; l'Espagne et le Por tugal subsistaient par l'Amérique; l'Italie, toujours faible, était divisée en autant d'états qu'au commencement du siècle, si on excepte, Mantoue, devenue patrimoine autrichien.

La Savoie donna alors un grand spectacle au monde et une grande leçon, aux souverains. Le roi de Sardaigne, duc de Savoie, ce Victor-Amédée, tantôt allié, tontôt ennemi de la France et de l'Autriche, et dont l'incertitude avait passé pour politique, lassé des affaires et de lui-même, abdiqua, par un caprice, en 1730, à l'âge de soixante-quatre ans, la couronne qu'il avait portée le premier de sa famille, et se repentit par un autre caprice un an après. La société de sa maîtresse devenue sa femme, la dévotion et le repos ne purent satisfaire une âme occupée pen dant cinquante ans des affaires de l'Europe. 11 fit voir quelle est la faiblesse humaine, et combien il est difficile de remplir son cœur sur le trône et hors du trône. Quatre souverains, dans ce siècle, renoncèrent à la couronne; Christine, Casimir, Philippe V, Victor-Amédée. Philippe V ne reprit le gouvernement que malgré lui; Casimir n'y pensa jamais; Christine en fut tentée quelque temps par un dégoût qu'elle eut à Rome; Amédée seul voulut remonter par la force sur le trône que son inquiétude lui avait fait quit

ter.

La suite de cette tentativé est connue. Son fils, Charles-Emmanuel, aurait acquis une gloire au-dessus des couronnes, en remettant à son père celle qu'il tenait de lui, si ce père seul l'eût redemandée, et si la conjoncture des temps l'eût permis; mais c'était, dit-on, une maîtresse ambitieuse qui voulait régner, et tout le conseil fut forcé d'en prévenir les suites funestes, et de faire arrêter celui qui avait été son souverain. Il mourut depuis en prison, en 1732. Il est très-faux que la cour de France voulut envoyer vingt mille hommes pour défendre le père contre le fils, comme on l'a dit dans les Mémoires de ce temps-là. Ni Fabdication de ce roi, ni sa tentative pour reprendre le sceptre, ni sa prison, ni sa mort, ne causèrent le moindre mouvement chez les nations voisines. Ce fut un terrible évènement qui n'eut aucune suite.

Tout était paisible depuis la Russie jusqu'à l'Espagne, lorsque la mort d'Auguste II, roi de Pologne, électeur de Saxe, replongea l'Europe dans les dissensions et dans les malheurs, dont elle est si rarement exempte.

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