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ments de son esprit naturel et facile. Il n'y avait pas jusqu'à sa physionomie, douce et imposante, et jusqu'au son de sa voix qui n'eût subjugué le roi. M. le Duc, ayant reçu de la nature des qualités contraires, inspirait au roi une secrète répugnance.

Le monarque, qui n'avait jamais marqué de volonté, qui avait vu avec indifférence son gouverneur, le maréchal de Villeroi, exilé par le duc d'Orléans régent; qui ayant reçu pour femme un enfant de six ans sans en être surpris, l'avait vu partir comme un oiseau qu'on change de cage; qui avait épousé la fille de Stanislas Leczinski, sans faire at tention à elle ni à son père; ce prince enfin à qui tout paraissait égal, fut réellement affligé de la retraite de l'évêque de Fréjus. Il le redemanda vivement, non pas comme un enfant qui se dépite quand on change sa nourrice, mais comme un souverain qui commencé à sentir qu'il est le maître. fit des reproches à la reine, qui ne répon dit qu'avec des larmes. M. le Duc fut obligé d'écrire lui-même à l'évêque, et de le prier au nom du roi de revenir.

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Ce petit démêlé domestique fut incontinent le sujet de tous les discours chez tous les courtisans, chez tout ce qui habitait Versail les. Je remarquai qu'il fit plus d'impression sur les esprits que n'en firent depuis toutes les nouvelles d'une guerre funeste à la France et à l'Europe. On s'agitait, on s'interrogeait, on parlait avec égarement et avec dé

fiance. Les uns désiraient une grande révolution, les autres la craignaient; tout était en alarmes.

Il y avait ce jour-là spectacle à la cour: on jouait Britannicus. Le roi et la reine arrivèrent une heure plus tard qu'à l'ordinaire. Tout le monde s'aperçut que la reine avait pleuré; et je me souviens que lorsque Narcisse prononça ce vers:

Que tardez-vous, seigneur, à la répudier?

presque toute la salle tourna les yeux sur la reine pour l'observer avec une curiosité plus indiscrète que maligne.

Le lendemain Fleuri revint. Il affecta de ne se point plaindre; et sans paraître demander ni satisfaction ni vengeance, il se contenta d'abord d'être en secret le maître des affaires. Enfin, le 11 juin 1726, le roi ayant invité M. le Duc à venir coucher à la maison de plaisance de Rambouillet, et étant parti, disait-il, pour l'attendre, le duc de Charost, capitaine des gardes, vint arrêter ce prince dans son appartement; il le mit entre les mains d'un exempt qui le condui sit à Chantilli, séjour de ses pères et son exil.

La dissimulation de l'évêque, dans cette exécution, n'était pas extraordinaire; celle du roi parut l'être; mais le précepteur avait inspiré à son élève une partie de son carao tère; et d'ailleurs on avait dit depuis si long

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temps, qui ne sait dissimuler, ne sait pas »régner,« que ce proverbe royal, inventé pour les grandes occasions, était toujours appliqué aux petites.

Pâris Duverney, dès ce moment, ne fut plus le maître de l'état. Le roi déclara, dans un conseil extraordinaire, que c'était lui qui devait l'être, et que tous les ministres iraient travailler chez l'évêque de Fréjus, c'est-à-dire que Fleuri allait régner; les frères Pâris furent exilés, et bientôt Duverney fut mis à la Bastille.

C'est ce même Duverney que nous avons vu depuis jouir d'une assez grande fortune, et de beaucoup de considération. Il fut l'in venteur et le vrai fondateur de l'école militaire. Pour madame de Prie, elle fut envoyée au fond de la Normandie, où elle mourut bientôt dans les convulsions du désespoir.

Il manquait à Fleuri d'être cardinal. C'est une qualité étrangère à l'Eglise et à l'état, que tout ecclésiastique romain, à portée de l'obtenir, poursuit avec fureur, que les papes font long-temps espérer pour avoir des créaet que les rois honorent chez eux, par une ancienne coutume qui tient lieu de raison et même de politique.

tures;

M. le Duc avait secrètement empêché, par le cardinal de Polignac, ambassadeur à Rome, et par l'abbé de Rothelin, qu'on n'envoyât cette barrette tant désirée: elle arriva bientôt. Fleuri la reçut avec la même simpli

cité apparente qu'il avait reçu la place de premier ministre, et qui dirigea toutes les actions de sa vie, sans jamais laisser entrevoir sur son visage, ni les sourcils de la fierté, ni les grimaces de l'hypocrisie.

S'il ya a jamais eu quelqu'un d'heureux sur la terre, c'était sans doute le cardinal de Fleuri. On le regarda comme un homme des plus aimables, et de la société la plus délicieuse jusqu'à l'âge de soixante et treize ans: et lorsqu'à cet age, où tant de vieillards se retirent du monde, il eut pris en main le gouvernement, il fut regardé comme un des plus sages. Depuis 1726 jusqu'à 1742, tout lui prospéra. Il conserva jusqu'à près de quatre-vingt-dix ans une tête tres-saine, libre et capable d'affaires.

Quand on songe que de mille contemporains il y en a très-rarement un seul qui parvienne à cet âge, on est obligé d'avouer que le cardinal de Fleuri eut une destinée unique. Si sa grandeur fut singulière, en ce qu'ayant commencé si tard, elle dura si long-temps sans aucun nuage, sa modération et la douceur de ses mœurs ne le furent pas moins. On sait quelles étaient les richesses et la magnificence du cardinal d'Amboise, qui aspirait à la tiare; et l'hypocrisis arrogante de Ximenes, qui levait des armées à ses dépens, et qui, vêtu en moine, disait qu'avec son cordon il conduisait les grands d'Espagne on connaît le faste royal de Richelieu, les richesses prodigieuses accumu

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lées par Mazarin. Il restait au cardinal de Fleuri la distinction de la modestie, il fut simple et économe en tout, sans jamais se démentir. L'élévation manquait à son carac tère. Ce défaut tenait à des vertus, qui sont la douceur, l'égalité, l'amour de l'ordre et de la paix: il prouva que les esprits doux et conciliants sont faits pour gouver ner les autres..

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Il s'était démis le plus tôt qu'il avait pu de son évêché de Fréjus, après l'avoir libéré de dettes par son économie, et y avoir fait beaucoup de bien par son esprit de con ciliation. C'étaient là les deux parties dominantes de son caractère. La raison qu'il allégua à ses diocésains était l'état de sa santé qui le mettait désormais dans l'impuis sance de veiller à son troupeau; mais heureusement il n'avait jamais été malade..

Cet évêché de Fréjus, loin de la cour, dans un pays peu agréable, lui avait toujours déplu. Il disait que, dès qu'il avait vu sa femme, il avait été dégoûté de son mariage, et signa dans une lettre de plaisanterie au cardinal Quirini: »Fleuri, évêque de Fréjus, par l'indignation divine.<

Il se démit vers le commencement de 1715. Le maréchal de Villeroi, après beaucoup de sollicitations, obtint de Louis XIV, qu'il nommât l'évêque de Fréjus précepteur par son codicille. Cependent voici comme le nouveau précepteur s'en explique dans une lettre au cardinal Quirini

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