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ce jeune homme. Elle avait long-temps servi l'abbé Dubois, alors secrétaire d'état pour les affaires étrangères, depuis cardinal et premier ministre. I employa la Fillon dans son nouveau département. Celle-ci fit agir une fille fort adroite, qui vola des papiers importants avec quelques billets de banque dans les poches de l'abbé Carrero, au moment de ces distractions où personne ne pense à ses poches. Les billets de banque lui demeurèrent, les lettres furent portées au duc d'Orléans; elles donnèrent assez de lumières pour faire connaître la conspiration, mais non assez pour en découvrir tout le plan.

L'abbé Porto-Carrero ayant vu ses papiers disparaître, et ne retrouvant plus la fille partit sur-le-champ pour l'Espagne; on courut après lui, on l'arrêta près de Poitiers. Le plan de la conspiration fut trouvé dans sa valise, avec les lettres du prince de Cellamare. Il s'agissait de faire révolter une partie du royaume, et exciter une guerre civile; et, ce qui est très-remarquable, l'ambassadeur, qui ne parle que de mettre le feu aux poudres, et de faire jouer les mines, parle aussi de la miséricorde divine. Et à qui en parlait-il? au cardinal Albéroni, homme aussi pénétré de la miséricorde divine que le cardinal Dubois, son émule.

Albéroni, dans le même-temps qu'il voulait bouleverser la France, voulait mettre le prétendant, fils du roi Jacques, sur le trône

d'Angleterre, par les mains de Charles XII. Ce héros imprudent fut tué en Norwège, et Albéroni ne fut point découragé. Une partie des projets de ce cardinal commençait déjà à s'effectuer, tant il avait préparé de resLa flotte qu'il avait armée descendit en Sardaigne, dès l'année 1717, et la réduisit en peu de jours sous l'obéissance de l'Espagne; mais bientôt après elle s'empara de presque toute la Sicile en 1718.

sorts.

Mais Albéroni n'ayant pu réussir ni à empêcher les Turcs de consommer leur paix avec l'empereur Charles VI, ni à susciter des guerres civiles en France et en Angleterre, vit à la fois l'empereur, le régent de France, et le roi George Ier réunis contre lui.

Le régent de France fit la guerre à l'Espagne de concert avec les Anglais, de sorte que la première guerre entreprise sous Louis XV, fut contre son oncle, que Louis XIV avait établi au prix de tant de sang; c'était en effet une guerre civile.

Le roi d'Espagne avait eu soin de faire peindre les trois fleurs de lis sur tous les drapeaux de son armée. Le même maréchal de Berwick qui lui avait gagné des batailles pour affermir son trône, commandait l'armée française. Le duc de Liria, son fils, était officier-général dans l'armée espagnole. Le père exhorta le fils par une lettre pathétique, à bien faire son devoir contre luimême (1719). L'abbé Dubois, depuis car

dinal, enfant de la fortune comme Albéroni, et aussi singulier que lui par son caractère, dirigea toute cette entreprise. La MotteHoudart, de l'Académie française, composa le manifeste qui ne fut signé de personne.

Une flotte anglaise battit celle d'Espagneauprès de Messine, et alors tous les projets du cardinal Albéroni étant déconcertés, ce ministre, regardé six mois auparavant comme le plus grand homme d'état, ne passa plus alors que pour un téméraire et un brouillon. Le duc d'Orléans ne voulut donner la paix à Philippe V, qu'à condition qu'il renverrait son ministre: il fut livré par le roi d'Espagne aux troupes françaises qui le conduisirent sur les frontières d'Italie. Ce même homme étant depuis légat à Bologne, et ne pouvant plus entreprendre de bouleverser des royaumes, occupa son loisir à tenter de détruire la république de Saint-Marin. (1720) Cependant il résulta de tous ses grands desseins qu'on s'accorda à donner la Sicile à l'empereur Charles VI, et la Sardaigne aux ducs de Savoie, qui l'ont toujours possédée depuis ce temps, et qui prennent le titre de rois de Sardaigne: mais la maison d'Autriche a perdu depuis la Sicile.

Ces évènements publics sont assez connus; mais ce qui ne l'est pas, et qui est très-vrai, c'est que quand le régent voulut mettre pour condition de la paix, qu'il marierait sa fille, mademoiselle de Montpensier, au prince des Asturies, don Louis, et qu'on donnerait l'iu

fante d'Espagne au roi de France, il ne put y parvenir qu'en gagnant le jésuite Daubenton, confesseur de Philippe V. Ce jésuite détermina le roi d'Espagne à ce double mariage; mais ce fut à condition que le duc d'Orléans, qui s'était déclaré contre les jé suites, en deviendrait le protecteur, et qu'il ferait enregistrer la constitution. I le promit, et tint parole. Ce sont là souvent les secrets ressorts des grands changements dans l'état et dans l'Eglise. L'abbé Dubois, dé signé archevêque de Cambrai, conduisit seul cette affaire, et ce fut ce qui lui valut le cardinalat. I fit enregistrer la bulle purement et simplement, comme on l'a déjà dit, par le grand - conseil, ou plutôt malgré le grand-conseil, par les princes du sang, les ducs et pairs, les maréchaux de France, les conseillers d'état et les maîtres des requêtes, et surtout par le chancelier d'Aguesseau luimême, qui avait été si long-temps contraire à cette acceptation. D'Aguesseau, par cette faiblesse, se déshonorait aux yeux des citoyens, mais non pas des politiques. L'abbé Dubois obtint même une rétractation du cardinal de Noailles. Le régent de France, dans cette intrigue, se trouva lié pendant quelque temps, par les mêmes intérêts, avec le jésuite Daubenton.

Philippe V commençait à être attaqué d'une mélancolie qui, jointe à sa dévotion, le portait à renoncer aux embarras du trône, et à le résigner à son fils aîné, don Louis; pro

jet qu'en effet il exécuta depuis, en 1724. Il confia ce secret à Daubenton. Ce jésuite trembla de perdre tout son crédit quand son pénitent ne serait plus le maître, et d'être réduit à le suivre dans une solitude. Il révéla au duc d'Orléans la confession de Philippe V, ne doutant pas que ce prince ne fit tout son possible pour empêcher le roi d'Espagne d'abdiquer. Le régent avait des vues contraires, il eût été content que son gendre fût roi, et qu'un jésuite, qui avait tant gêné son goût dans l'affaire de la constitution, ne fût plus en état de lui prescrire des conditions. Il envoya la lettre de Dau benton au roi d'Espagne. Ce monarque montra froidement la lettre à son confesseur, qui tomba évanoui, et mourut peu de temps après *).

* Ce fait se trouve attesté dans l'Histoire civile d'Espagne, écrite par Bellando, imprimée avec la permission du roi d'Espagne lui-même; elle doit être dans la bibliothèque des cordeliers à Paris. On peut la lire à la page 306 de la quatrième partie. J'en ai la copie entre les mains. Cette perfidie de Daubenton, plus commune qu'on ne croit, est connue de plus d'un grand d'Espagne qui, l'atteste.

N. B. Victor-Amédée est le premier prince de l'Europe qui ait renoncé aux confesseurs jésuites, et ôté à ces pères les collèges de ses états. Voici à quelle occasion. Un jésuite qu'il avait pour confesseur étant tombé malade, Victor allait souvent le voir; peu de jours

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