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(1715) Pour mieux sentir par quelle fatalité aveugle les affaires de ce monde sont

Il y avait en effet un président de Lubert, mais qui n'était que président aux enquêtes, et qui ne se mêlait de rien. Il n'y a jamais eu de premier président de Maisons. C'était alors Claude de Mesmes, du nom d'Avaux, qui avait cette place; M. de Maisons, beau-frère du maréchal de Villars, était président à mortier, et très-attaché au duc d'Orléans. C'était chez lui que le marquis de Canillac avait arrangé le plan de la régence avec quelques autres confidents du prince. Il avait parole d'être garde des Ce sceaux, et mourut quelque temps après. sont des faits publics dont j'ai été témoin, et qui se trouvent dans les Mémoires manuscrits du maréchal de Villars..

Ie compilateur des Mémoires de Maintenon ajoute à cette occassion que dans le traité de Rastadt, fait par le maréchal de Villars et le prince Eugène, ́„il y a des articles secrets quí Cela "excluent le duc d'Orléans du trône.". est faux et absurde: il n'y eut aucun article secret dans le traité de Rastadt: c'était un traité de paix authentique. On n'insère des articles secrets qu'entre des confédérés qui veulent cacher leurs conventions au public. Exclure le duc d'Orléans en cas de malheur, c'eût été donner la France à Philippe V, roi d'Espagne, compétiteur de l'empereur Charles VI, avec lequel on traitait; c'eût été détruire l'édifice de la paix d'Utrecht, auquel on donnait la dernière main, outrager l'empereur, renverser l'équilibre de l'Europe. On n'a jamais rien écrit de plus absurde.

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gouvernées, il faut remarquer que l'empire ottoman, qui avait pu attaquer l'empire d'Allemagne pendant la longue guerre de 1701, attendit la conclusion totale de la paix générale, pour faire la guerre contre les chrétiens. Les Tures s'emparèrent aisément, en 1715, du Péloponèse, que le célèbre Morosini, surnommé le Peloponésiaque, avait pris sur eux vers la fin du dix-septième siècle, et qui était resté aux Vénitiens par la paix de Carlowitz. L'empereur, garant de cette paix, fut obligé de se déclarer contre les Turcs. Le prince Eugène, qui les avait déjà battus autrefois à Zenta, passa le Danube, et livra bataille près de Péterwaradin, au grand-visir Ali, favori du sultan Achmet III, et remporta la victoire la plus signalée.

Quoique les détails n'entrent point dans un plan général, on ne peut s'empêcher de rapporter ici l'action d'un Français, célèbre par ses aventures singulières. Un comte de Bonneval, qui avait quitté le service de France sur quelques mécontentements du ministère, major - général alors sous le prince Eugène, se trouva dans cette bataille entouré d'un corps nombreux de janissaires; il n'avait auprès de lui que deux cents soldats de son régiment; il résista une heure entière; et ayant été abattu d'un coup de lance, dix soldats qui lui restaient le portèrent à l'armée victorieuse. Ce même homme proscrit en France vint ensuite se marier publiquement à Paris; et quelques années après il alla

prendre le turban à Constantinople, où il est mort bacha.

Le grand-visir Ali fut blessé à mort dans la bataille. Les mœurs turques n'étaient pas encore adoucies; ce visir, avant d'expirer, fit massacrer un général de l'empereur, qui était son prisonnier *).

(1717) L'année d'après, le prince Eugene assiégea Belgrade, dans laquelle il y avait près de quinze mille homme de garnison; il se vit lui-même assiégé par une armée innombrable de Turcs qui avançaient contre son camp, et qui l'environnérent de tranchées; il était précisément dans la situation où se trouva César en assiégeant Alexie, il s'en tira comme lui; il battit les ennemis, et prit la ville; toute son armée devait périr, mais la discipline militaire triompha de la. force et du nombre.,

(1718) Ce prince mit le comble à sa gloire par la paix de Passarowitz, qui donna Belgrade et Témeswar à l'empereur; mais les Vénitiens, pour qui on avait fait la guerre, furent abandonnés, et perdirent la Grèce sans

retour.

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La face des affaires ne changeait pas moins entre les princes chrétiens. L'intelligence et l'union de la France et de l'Espagne qu'on avait tant redoutée, et qui avait alarmé tant d'états, fut rompue dès que Louis XIV eut les yeux fermés. Le duc d'Orléans, régent

*) Il s'appelait Breûner.

de France, quoique irréprochable sur les soins de la conservation de son pupille, se conduisit comme s'il eût dû lui succéder. Il s'unit étroitement avec l'Angleterre, réputée l'ennemie naturelle de la France, et rompit ouvertement avec la branche de Bourbon qui régnait à Madrit: et Philippe V, qui avait renoncé à la couronne de France par la paix, excita, ou plutôt prêta son nom pour exciter des séditions en France, qui devaient lui donner la régence d'un pays où il ne pouvait régner. Ainsi, après la mort de Louis XIV, toutes les vues, toutes les négociations, toute la politique, changèrent dans sa famille et chez tous les princes.

Le cardinal Albéroni, premier ministre d'Espage, se mit en tête de bouleverser l'Europe, et fut sur le point d'en venir à bout. Il avait en peu d'années rétabli les finances et les forces de la monarchie espagnole; il forma le projet d'y réunir la Sardaigne, qui était alors à l'empereur, et la Sicile, dont les ducs de Savoie étaient en possession depuis la paix d'Utrecht. Il allait changer la constitution de l'Angleterre, pour l'empêcher de s'opposer à ses desseins; et, dans la même vue, il était près d'exciter en France une guerre civile. Il négociait à la fois avec la Porte ottomane, avec le czar Pierre-le-Grand, et avec Charles XII. Il était près d'engager les Turcs à renouveler la guerre contre l'empereur; et Charles XII, réuni avec le czar, devait mener lui-même le prétendant en An

gleterre, et le rétablir sur le trône de ses peres.

Ce cardinal en même temps soulevait la Bretagne en France; et déjà il faisait filer secrètement dans le royaume quelques troupes déguisées en faux-sauniers, conduites par un nommé Colineri, qui devait se joindre aux révoltés. La conspiration de la duchesse du Maine, du cardinal de Polignac, et de tant d'autres, était prête à éclater; le des sein était d'enlever, si l'on pouvait, le duc d'Orléans, de lui ôter la régence, et de la donner au roi d'Espagne, Philippe V. Ainsi le cardinal Albéroni, autrefois curé de village auprès de Parme, allait être à la fois premier ministre d'Espagne et de France, et donnait à l'Europe entière une face nouvelle.

La fortune fit évanouir tous ces vastes projets ; une simple courtisane découvrit à Paris la conspiration, qui devint inutile dès qu'elle fut connue. Cette affaire mérite un détail qui fera voir comment les plus faibles ressorts font souvent les grandes destinées.

Le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne à Paris, conduisait toute cette intrigue. Il avait avec lui le jeune abbé de Porto-Carrero, qui faisait son apprentissage de politique et de plaisir. Une femme publique, nommée Fillon, auparavant fille de joie du plus bas étage, devenue une entre metteuse distinguée, fournissait des filles à

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