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réalité, un moi substantiel, et qui y placent le tout de la vie psychique. Que d'efforts vains ne font pas les associationnistes, anglais et français, pour échapper à la plus simple et à la plus naturelle des hypothèses, à savoir que le mot est une réalité, une énergie, laquelle d'ailleurs est postulée par toutes les explications qu'on en donne et qui préexiste à tous les états de conscience!

« Un double mouvement s'opère dans la conscience. D'abord l'être prenant conscience projette en dehors de lui, pour ensuite y ramener, ses virtualités, sa propre nature.

« Ce double mouvement est le principe des deux formes essentielles de la vie psychique, la représentation des choses et l'action sur les choses. La conscience ne consiste pas en effet seulement dans l'aperception intérieure, mais dans un processus psychique propre, c'est-à-dire dans une loi qui la fait d'abord sortir d'elle-même pour la ramener ensuite à son principe. Quand l'être prend conscience de lui-même, tout, d'abord, se montre à lui comme la matière idéale sur laquelle il devra s'exercer; puis, sa conscience se développant, il ramène à lui ces virtualités comme des composants de son moi. La conception d'une conscience passive ne permet pas de s'élever jusqu'à Dieu et de nous faire une idée de son action sur la nature et sur l'homme. On peut, au contraire, de la conscience entendue comme active, tirer quelque lumière pour comprendre l'éternelle conscience que Dieu a de lui-même, ainsi que son action sur le monde.

« L'auteur du Mémoire combat les systèmes qui ont confondu l'absolu, soit avec la matière, soit avec la nature, tels que les matérialistes et les panthéistes. La matière, suivant la conception d'Aristote, n'étant que pure indétermination, que le lieu de tous les possibles, ne saurait être qu'un absolu négatif. La nature, la nature naturante, peut bien aussi faire cette illusion de l'absolu en raison de cette force du progrès qui la pénètre et qui la rattache à l'absolu divin dont elle est le signe, signe qui répond à l'acte de la providence, comme la

matière à l'acte de la création. Mais l'absolu véritable ne peut être dans la nature, nécessairement imparfaite, pas plus que dans la matière. Le réel n'est qu'un pâle reflet de l'idéal.

<< Suit une dissertation approfondie sur la nature du temps et de l'espace, dont la conclusion est que l'espace est créé le premier avec la dissémination de la pure matière, puis le temps avec le premier branle donné à la nature vers le bien. Quant à Dieu, il subsiste en dehors et au delà du temps et de l'espace, de telle sorte que la substance dispersée des choses ne saurait se mêler en rien à son absolue unité.

« Nous allons maintenant trouver, sinon plus de profondeur, au moins plus de clarté dans les beaux chapitres sur la Providence qui terminent le mémoire et auxquels tout ce qui précède sert d'introduction. Comment la providence doit-elle être conçue dans la nature et dans l'histoire?

<< L'auteur n'admet pas, comme il l'a déjà dit, que la nature soit un tout où chaque fait est lié, enchaîné par les causes efficientes. A ce déterminisme absolu il oppose, entre autres arguments, les vues de Claude Bernard sur la vie et sur les idées directrices. Au-dessus des causes efficientes il y a des causes finales, idées créatrices, forces vivantes; enfin il y a une finalité suprême qui préside au rapprochement de toutes les parties. La loi qui enchaine tous les phénomènes est une loi que la nature s'est faite à elle-même sous l'influence de cette idée ou finalité suprême qui la domine et qui est sa vie. Le déterminisme n'exprime que la surface des choses; au fond est la spontanéité.

« L'activité de la nature ainsi conçue, il cherche à montrer la possibilité de concilier la théologie nationnelle et certaines hypothèses scientifiques, comme la génération spontanée, l'origine de la vie, la variabilité des espèces, qui pourraient sembler en désaccord avec elle. Il se montre parfaitement au courant de ces grandes questions agitées par la science contemporaine.

« C'est d'une manière analogue qu'il conçoit l'action de la

providence dans l'histoire. La croyance générale n'est plus à ces coups d'éclat par lesquels les théologiens et un certain nombre d'historiens la faisaient intervenir dans la succession des empires, dans les grands événements de l'histoire, dans la marche de l'humanité. La tendance actuelle des âmes même les plus pieuses est de croire qu'au lieu de se manifester par de semblables éclats, elle s'insinue secrètement, pour les diriger, dans les esprits et dans les coeurs. Dieu et l'homme, voilà dans l'histoire les deux grands facteurs; éliminez l'un des deux et l'histoire perd son sens et son intérêt. Il loue Hartmann d'avoir mis ce concours en grande lumière dans son ouvrage de l'Inconscient. Que faut-il pour le rendre irréprochable? Il suffit de changer les termes, et de mettre providence où il a mis inconscient. Le progrès ne se réalise que par la conspiration de l'homme et de Dieu. Le juste terme où se concilie l'action de Dieu et de la liberté, c'est la persuasion, la sollicitation s'exerçant sur toute âme humaine.

« La providence dans la religion est l'objet d'un dernier chapitre; sans prétendre résoudre le problème, il examine si dans ce qu'il a précédemment établi il n'y aurait pas quelque lumière à recueillir pour une question qui touche à ce qu'il y a de plus élevé et de plus délicat dans la pensée moderne.

« Le problème peut être posé sous cette forme : la religion étant donnée comme un ordre de faits dont l'humanité ne s'est jamais passée et probablement ne se passera jamais, faut-il voir en elle une pure institution divine ou une pure création humaine? De ces deux théories extrêmes, la première, celle de la révélation pure, a pour principaux représentants les théologiens qui ont exagéré le dogme de la grâce au point de dénier à l'homme tout pouvoir de concourir de ses propres forces au bien et au salut. La seconde, celle de la création humaine, domine parmi les représentants actuels, les plus savants et les plus autorisés, de l'histoire des religions. Suivant eux, l'homme, tourmenté par la soif de l'idéal, qu'il appelle Dieu, mais incapable de le saisir immédiatement dans sa

pureté, l'enferme tour à tour dans des représentations de moins en moins imparfaites. De là les diverses religions que l'homme a successivement édifiées, puis abandonnées, jusqu'à l'avènement du christianisme. Le christianisme, dit l'auteur du mémoire, est la forme religieuse la plus parfaite à laquelle T'homme se soit élevé; en elle semble s'être élevée sa faculté créatrice religieuse. Toutefois, à côté de l'immobilité des dogmes subsiste la liberté des interprétations.

« Quelque contraires que soient ces deux théories, elles ont chacune quelque chose de vrai. Loin qu'elles s'opposent, elles sont complémentaires l'une de l'autre. Si la religion était l'œuvre de Dieu seul, encore faudrait-il bien que l'homme eût la faculté de la comprendre et d'y concourir par son libre assentiment. Est-elle œuvre purement humaine, encore fautil bien, pour s'en rendre compte, remonter jusqu'à Dieu, qui a mis en nous ces aspirations religieuses.

« Dans l'intérêt même d'une conciliation, il croit bon de signaler quelques points faibles de ces deux théories exclusives. Celle de la révélation pure est en opposition avec ce principe de l'évolution qui tend aujourd'hui à dominer dans toutes les sciences; elle ne s'accorde pas mieux avec le principe de la fraternité, étant supposée avoir été faite aux uns à l'exclusion des autres.

« L'autre théorie a aussi ses défauts. La relation qu'elle établit entre l'homme et Dieu n'a rien de réel; elle est purement idéale. L'homme n'y est pas en rapport avec la vis divina, mais seulement avec l'idée de Dieu. Dieu lui-même n'y est pas présent. Or, la religion ne peut subsister qu'à la condition d'un Dieu présent, quoique caché, avec lequel elle nous met en rapport par ses dogmes et ses rites. Du moment qu'il n'y a plus rien de réel et de vivant pour nous derrière ses symboles, un jour doit venir où le voile sera déchiré et où la philosophie remplacera la religion. La religion ne serait donc plus un fait humain, un fait nécessaire, comme l'ont constaté par leurs études tant d'observateurs profonds de la nature humaine et

de savants historiens de ses manifestations en tous les temps et tous les lieux.

« Quant à l'auteur du Mémoire, il croit à la possibilité d'une conciliation entre une religion absolue et le devenir des formes et des aspirations religieuses de l'humanité. Pour la trouver, il suffit d'étendre à la vie religieuse du genre humain cette même conception qu'il a appliquée déjà au progrès du monde physique et du monde moral, et qui domine tout son mémoire, c'est-à-dire il suffit d'admettre, d'une part, en Dieu, une sorte de descente volontaire vers l'humanité. Pourquoi l'humanité n'irait-elle pas au-devant de Dieu et Dieu au-devant de l'humanité? Le dernier mot ne serait-il pas la fusion de la nature divine et de la nature humaine dans une forme religieuse supérieure et absolue? La prière dominicale : « Notre père qui êtes aux cieux », dont il croit retrouver la trace dans les plus anciennes religions et jusque dans les Védas, lui semble comme le meilleur résumé de tout le passé religieux de l'humanité et aussi comme la formule de l'avenir.

« Nous avons exposé sa doctrine; car il en a une, qui lui est propre et que jamais il ne perd de vue. Nous l'avons exposée aussi fidèlement que possible, sans prétendre le discuter de tout point et en faisant des réserves sur certaines de ses conceptions métaphysiques et religieuses, mais nous n'avons point à en faire sur la science et le talent dont il nous a donné amplement la preuve. Non seulement c'est un bon mémoire, remarquable. Il est écrit d'un bon style, sans nulle faute contre le goût, sans nulle déclamation ni lieu commun; il a même, surtout dans la dernière partie, des pages chaudes et éloquentes sous l'inspiration de sa double foi métaphysique et religieuse. D'un bout à l'autre, malgré quelques obscurités, on le lit avec un intérêt qui va toujours croissant. C'est l'œuvre élevée, personnelle, originale, d'un esprit méditatif et d'un vrai métaphysicien. >>

Malgré les éloges accordés à son travail, Eugène Maillet ne le considérait point comme terminé. Il en avait commencé

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