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qui est comme la base métaphysique de la création, nous en trouverons un second qui est comme la base métaphysique de la Providence.

Comme la conscience humaine, d'après Fichte, ne cesse de reconquérir idéalement, par la science et par l'action, le moi sur le non moi, de même et à bien plus forte raison nous devrons comprendre que Dieu, dans l'acte éternel de sa conscience, reprend ce qu'il a détaché, aliéné, sacrifié, immolé de lui-même, et reconquiert non pas laborieusement et à travers le temps, comme l'a imaginé Hegel ou comme l'a cru Renan, mais immédiatement ou, pour mieux dire, en dehors du temps, par une restitution victorieuse, par une triomphante résurrection, la plénitude de son être.

Et dans ce « second moment », dans ce second aspect de la conscience de Dieu, nous voyons s'épanouir tout le reste de ses attributs. D'abord, sa pensée, que nous avions laissée, en quelque sorte, à l'état de pensée purement logique, purement mathématique, s'achève sous la forme de l'intelligence, de la science et de la sagesse absolues, en choisissant, en édifiant, en gouvernant ce que Leibniz appelle le meilleur des mondes possibles, en ramenant à lui les idées et les êtres. Mais ce n'est pas tout. En ramenant à lui la création par la Providence et en se posant lui-même comme la fin de toutes choses, Dieu réalise l'ordre entier de ses attributs moraux. On se contente habituellement de mettre en Dieu ces attributs par une simple série d'inductions partielles, dont chacun a pour base une qualité que nous trouvons en nous-mêmes. Mais la connaissance que nous en avons devient, semble-t-il, bien plus rationnelle, si nous faisons jaillir ces attributs du développement même de l'essence divine et de ce mouvement, à la fois nécessaire et libre, par lequel Dieu ramène à lui toutes les essences et toutes les existences. Il ne peut être la bonté et la justice absolues qu'en tant qu'il y a autour de lui d'autres essences et qu'il agit sur elles. Pour qu'il soit bon, en réalité et en acte, non pas simplement en puissance, il faut qu'il y ait des êtres sur qui s'exerce sa

bonté. Pour qu'il soit juste, il faut qu'il y ait en dehors de lui, bien que par sa permission souveraine, des êtres libres, des droits et des mérites, qu'il reconnaisse et qu'il récompense. Enfin, c'est en ramenant à lui, par son éternelle Providence, ce qu'il a constitué en dehors de lui que Dieu réalise ce qu'il y a peut-être dans sa nature de plus essentiel et de plus intime, l'amour infini avec la béatitude qui l'accompagne. Car l'amour est l'achèvement de la personnalité; c'est à la fois l'essence et l'acte d'une personnalité, non abstraite et finie, mais infinie et concrète, qui ne repousse pas au dehors d'elle les autres êtres en établissant dans la sphère de l'existence un incompréhensible et irrémédiable dualisme, mais qui, bien plutôt, les appelle à elle, s'achève en eux et est ainsi le bien, non pas seulement pour elle-même, mais aussi pour les autres êtres, c'est-à-dire le bien absolu.

Jusqu'ici, nous venons de considérer les deux moments constitutifs de la conscience dans leur rapport avec le développement intérieur de la nature de Dieu; considérons-les maintenant dans leur rapport avec les deux grandes formes de l'action divine, impliquées elles-mêmes, comme nous venons de le voir, dans le mouvement de l'essence absolue.

On a vu plus haut que, dans l'activité de la conscience, l'homme projette, pour ainsi dire, hors de lui-même le contenu idéal de sa propre nature et que cette loi première de l'activité mentale est pour lui la condition nécessaire de la représentation des choses. Si l'acte de la conscience s'arrêtait à ce point, nous verrions simplement, à travers les modes encore indécis de notre sensibilité, à travers les catégories encore obscures de notre pensée, la simple possibilité idéale de l'univers; mais nous ne saurions pas encore que cette possibilité est susceptible d'actualité et que les degrés de l'être, de la forme et de la perfection vont nous apparaître dans le mouvement même par lequel notre conscience va se compléter. En d'autres termes, la conscience, réduite à cette première phase, arrêtée à ce premier moment, ne présente encore que la forme idéale de la création, dans

laquelle l'être des choses n'est posé que sous la forme de la pure possibilité, de la virtualité absolue, dont nous allons signaler tout à l'heure la relation avec la matière et avec l'espace.

Mais ce premier moment n'est encore que la partie secondaire et négative de l'acte de la conscience; car, jusqu'ici, nous sommes projetés, nous aussi, hors de nous-mêmes avec le contenu idéal de notre être; nous ne nous connaissons pas, nous ne nous possédons pas véritablement, puisque nous ne pouvons pas nous rapporter les choses que nous pensons. Dispersés, éparpillés en elles, nous n'avons que des fragments de pensées qui ne trouveront que plus tard leur cohésion lorsque nous les aurons reliés en système dans l'unité du moi par l'action synthétique d'une pensée achevée et pleinement consciente d'ellemême. Le second moment de la conscience est donc celui dans lequel nous ramenons à nous le contenu de notre nature; et comme ce second moment de notre conscience, dans lequel nous rangerons nos pensées chacune à sa juste place, est inséparable d'un autre acte, par lequel nous mettons de l'ordre dans notre conduite, dans nos actions proprement dites, en même temps que nous nous rapportons aussi à nous-mêmes, dans la plus large mesure possible, les choses extérieures, puisque, par toutes les formes de l'action pratique, par l'industrie, par l'art, par la justice, par l'éducation, par le gouvernement, etc., nous y introduisons un ordre nouveau qui ne s'y trouvait pas et les rendons, pour nous au moins, meilleures et plus parfaites, on peut dire que ce second moment de l'évolution de notre conscience, de la prise de possession de notre moi, présente la forme idéale de la providence, dans laquelle l'être des choses est posé sous la forme de l'actualisation, du mouvement et du progrès.

Toutefois, il n'est pas absolument inutile de rappeler, une fois de plus, qu'en réalité l'homme, par ce mouvement intérieur de sa conscience, ne crée absolument rien; il n'ajoute à la plénitude de la création déjà réalisée ni un atome de force ni un atome de matière. Et, d'autre part, si, au contraire, il exerce

en réalité une certaine part d'action providentielle, en contribuant au bien, à l'ordre et au progrès des choses, il ne le fait que dans les limites très restreintes de sa puissance finie et d'après les lois et conditions souveraines déjà imposées aux choses par l'action infinie de la providence de Dieu.

Mais ce qui n'est, en nous, que la loi in abstracto d'une pensée qui se cherche et d'une activité qui ne fait que s'exercer dans des œuvres toujours imparfaites et essentiellement instables, pourrait bien être, en Dieu, la loi vivante et concrète d'après laquelle il produit les choses, dans leur matière indéterminée, par la création et les ramène à lui par les arrangements et les dispositions de sa providence.

Leibniz a dit que Dieu fait les choses par le mouvement même de sa pensée: Dum Deus calculat et cogitationem exercet, fit mundus. Nous n'essaierons de compléter qu'en un point cette grande pensée de Leibniz : c'est, nous semble-t-il, qu'il faut distinguer profondément dans cette action de Dieu l'acte par lequel il crée les choses dans leur substance, qui n'est que pure matière (au sens qu'Aristote donnait à ce mot), et l'acte par lequel il les crée dans la hiérarchie de leurs formes progressives, et qu'il faut rattacher ces deux formes de l'action de Dieu sur les choses, la création proprement dite et la création providentielle à ces deux moments, logiquement séparés, de développement éternel de la conscience absolue qui ont été suffisamment caractérisés plus haut par les métaphores métaphysiques de l'anéantissement et du réveil, du sacrifice et de la résurrection.

CHAPITRE III

LES INDUCTIONS DE LA CONSCIENCE :

2° INDUCTIONS MÉTAPHYSIQUES

I

La matière et la nature.

-

1. Ce n'est pas tout à fait sans raison que certaines doctrines croient voir l'absolu, soit dans la matière, soit dans la nature; il y a dans ces théories, si défectueuses qu'elles soient, une âme de vérité. L'absolu, en produisant la matière, l'a faite, en un certain sens, à son image; car il a déposé en elle la possibilité idéale, la possibilité absolue de toutes choses. La matière, en tant qu'absolue puissance, pourrait être définie un résidu négatif de l'absolu. - En quoi consiste l'essence de la matière? - La matière est-elle continue ou discontinue? - Théories de Descartes et de Gassendi. — La matière ne peut être continue. Cette impossibilité démontrée d'une manière expérimentale par les physiciens, spécialement par Tyndall; démontrée aussi d'une manière rationnelle par M. Janet. L'essence de la matière n'est donc pas, d'après M. Janet, l'étendue de la force. - Réserves à faire sur ce dernier point. Distinction de la force, qui est l'énergie positive, et de la résistance, qui n'est que l'énergie négative. L'essence de la matière n'est pas la force, mais simplement la résistance, la solidité ou impénétrabilité, la persistance dans l'être une fois reçu, ou encore l'inertie, la persistance dans le mouvement une fois imprimé. - Retour sur cette idée que la matière est l'absolu négatif; non le pur néant, mais l'indétermination et la puissance. C'est à cause des attaches de notre nature avec ce non-être négatif que nous avons une tendance naturelle à croire qu'il serait plus simple que rien ne fût. Notre premier étonnement, c'est qu'il y ait quelque chose.

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