Page images
PDF
EPUB

TROISIÈME PARTIE

INDUCTIONS ET ESQUISSE D'UNE CONCEPTION DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

CHAPITRE I

LA CONSCIENCE CONSIDÉRÉE COMME PRINCIPE d'une concEPTION

POSSIBLE DES RAPPORTS DE DIEU ET DU MONDE

[ocr errors]

Une parole de Stuart Mill: Nous vivons à une époque de croyances faibles ». Sur quelle base pourrait se reconstituer un système de convictions fortes en matière de philosophie religieuse. Synthèse des doctrines précédemment étudiées. Elles aboutissent toutes à la conscience, considérée comme le fond dernier et la fin suprême des choses; mais les unes font tout dépendre d'une conscience divine éternellement en possession d'elle-même; les autres expliquent tout par une conscience qui se cherche et qui s'élabore dans l'univers. La solution du problème des rapports de Dieu et du monde exigerait une conciliation préalable de ces deux points de vue. Conditions de cette conciliation 1o que la conscience tienne une place suffisante et qu'elle joue un rôle notable dans l'univers; 2° qu'elle ne soit pas simplement un fait, un produit, mais surtout un acte, un principe. Doutes de la science et de la psychologie scientifique sur ces deux points. Théorie de M. Ribot: la conscience, phénomène surajouté à un autre phénomène. Théories de l'école associationniste: explications de la genèse du moi. – Plan à suivre pour éclaircir ces deux ordres de questions.

I

Théorie synthétique de la conscience.

1. Théorie générale de la conscience d'après la philosophie spiritualiste française. Descartes, Victor Cousin, M. Bouillier.

[ocr errors]

La

conscience coextensive à la sphère de notre vie mentale et morale.

Comment on peut concevoir que toutes nos facultés et toutes nos opérations sont enveloppées dans la conscience. Réduction de tous les sens du mot « conscience » à un même sens fondamental. — La conscience considérée comme une sorte de noyau intérieur de nos pensées, de nos sentiments et de nos actes. Les zones de la conscience. Inductions possibles de cette théorie. Conception géné rale du monde : hiérarchie de consciences réflétant diversement le plan de l'univers. Objections et réserves. A quel point l'homme s'ignore lui-même. Large part d'inconscience dans la nature humaine, devinée d'abord par les moralistes, démontrée aujourd'hui par les psychologues. Le point de vue de la philosophie allemande opposé, sur cette question, à celui de la philosophie française. - La conscience n'est pas un simple achèvement de l'être, c'est une crise dans le développement de l'absolu. - Hegel et M. de Hartmann.

[ocr errors]
[ocr errors]

2. Théorie de M. de Hartmann. L'activité qui produit et qui conserve le monde est inconsciente, mais elle est toute pénétrée de finalité. Rôle de l'instinct dans la nature, de l'inspiration dans l'homme. Vanité du vouloir, malheur de l'existence. Apparition de la conscience dans l'univers. Comment elle assure le salut du monde par l'abolition de la douleur, par l'extinction du désir. - Participation accessoire de la conscience et de la réflexion aux diverses fins de la nature humaine. Pourquoi la conscience ne peut être la fin suprême de l'univers. Conclusions dernières : métaphysique pessimiste; théologie négative.

3. Expériences et découvertes récentes de la psychologie scientifique sur la nature et sur le rôle de la conscience. · L'inconscience ramenée à la subconscience. Comment se font les progrès de la conscience. Fusion graduelle des consciences locales dans une conscience générale. Division du travail et délégation des fonctions. — Théorie de M. Espinas sur les sociétés animales. Théorie de M. Perrier sur les colonies animales. Conclusions de M. Fouillée. Dans quel sens et dans quelle mesure il peut y avoir une pensée inconsciente. Possibilité théorique d'une extension des infiniment petits de la conscience jusqu'aux éléments premiers de l'être. Sous quelle forme supérieure il faut comprendre l'universalité psychologique de la conscience.

4. Inductions sociales fondées sur cette théorie nouvelle de la conscience. Possibilité de les compléter par une induction métaphysique et religieuse. Une conscience collective est la conscience

[ocr errors]

d'une finalité spécifique. Cette finalité est une idée, qui réside dans la pensée divine. Toute conscience sociale suppose une participation, réfléchie ou instinctive, à la conscience absolue. Dans la nature comme dans l'homme, Dieu est, en un certain sens, le lien de toute société. Le divin impliqué dans toute sympathie. On ne s'aime vraiment qu'en Dieu, en communion avec Dieu.

II

Théorie analytique de la conscience.

La

1. La conscience n'est pas simplement un fait, elle est un acte. Elle a son principe dans la préexistence substantielle du moi. croyance à cette préexistence impliquée dans les théories mêmes de ceux qui la rejettent. Examen critique de la théorie de Condillac. Examen critique des principales thèses associationnistes. - Théorie de la discrimination. La loi de relativité. — Théorie de la rétentivité. La thèse de la conscience phénomène critiquée, mais d'une manière insuffisante, par M. Ribot.

[ocr errors]

2. Ce qui empêche les associationnistes de comprendre la préexistence substantielle du moi, c'est qu'ils n'ont aucune idée de la distinction établie par les anciens entre la puissance et l'acte. Passages de Mill et de Spencer. La possibilité dynamique confondue par eux Le moi est d'abord une virtualité, enve

[ocr errors]

[ocr errors]

avec la possibilité logique. loppée, dessinée à l'avance dans son germe. Part de l'innéité et part de l'hérédité dans cette préexistence virtuelle. La cénesthésie; Tidiosyncrasie. — L'acte initial de la conscience (et tout acte ultérieur, en tant qu'il garde en lui l'image du premier) se compose de deux moments, le premier, hallucinatoire, le second, rectificateur. Dans le premier, le moi se projette au dehors, dans le second, il revient à lui-même. Dans le premier, il devient sa propre sensation, il s'y absorbe et s'y perd; dans le second, il la domine et la ramène à lui. 3. Vérité partielle contenue dans les théories de Condillac et d'Al. Bain. L'acte initial de la conscience n'est pas un acte abstrait et vide; toute la virtualité de l'ètre y est enveloppée. - Il contient, sous la double forme d'une projection au dehors et d'un retour à soi, un double symbole de la création et de la providence. Les renouvellements

[ocr errors]

-

de la conscience et du caractère dans les grandes crises morales; ils sont accompagnés d'un sentiment nouveau de la nature, correspondant à une objectivation nouvelle de notre être.

4. Evolution actuelle du concept de la substantialité du moi. Cette substantialité n'est pas une simple continuité, dans l'espace ou dans le temps. Elle n'est pas non plus une simple force, mais une idéeforce; une simple cause, mais une finalité causale. Tentatives pour concevoir la substance du moi comme une création de combinaisons stables, pouvant servir de base au mérite, à la valeur morale, à la responsabilité, à l'espoir d'une vie future. M. Tarde, M. Perrier, M. Guyau. Nécessité de remonter de cette création à une finalité créatrice interne. La finalité est au fond de toute substance, matérielle ou spirituelle. Le moi est une finalité qui prend possession d'elle-même par la conscience. - Cette finalité est l'idée de la perfection non en général, mais d'une certaine perfection déterminée, spécifique ou individuelle. - La conscience se fait à travers deux degrés

Le

d'objectivation, c'est-à-dire de projection sous forme spatiale des puissances virtuelles de l'être. Le premier de ces degrés est la création d'un organisme. Rapports de l'àme et du corps. L'organisme, dépositaire de l'hérédité, est le principe de l'individuation, du tempérament, du caractère, du génie et de l'idéal personnels. second degré est une représentation créatrice de l'univers par le mouvement intérieur de chaque conscience, déployant son idéal propre. Cette représentation se complète par une action qui imite et qui prolonge celle de la Providence. Comment les diverses facultés

[ocr errors]

sont posées tour à tour dans ce processus de la conscience.

Stuart Mill a caractérisé notre époque d'un mot bien juste dans sa simplicité : « Nous vivons, dit-il, à une époque de croyances faibles ». C'est bien là, en tout cas, le trait saillant de notre époque en matière religieuse. Il s'applique également à l'état de la religion positive et à l'état de la religion rationnelle. En matière de religion positive, c'est évidemment un «< état de croyances faibles » que cette indifférence, qui souleva les premières indignations de Lamennais, lorsque, après l'hostilité passionnée du XVIIIe siècle, les âmes commencèrent à s'endormir dans une sorte d'énervement, d'affaissement sans franchise et sans grandeur. A un tout autre point de vue, et abstraction faite de ce qui touche à l'austérité et à la grandeur morale, on peut voir aussi un «< état de croyances faibles » dans la crise intérieure qui sévit, en dehors du catholicisme, sur la religion chrétienne; en particulier dans le mouvement du protestantisme libéral, qui, à force de rogner sur les dogmes, de sacrifier successivement tel ou tel article du Credo, en arrive à concentrer finalement la religion dans un tout petit nombre de points, par exemple dans la <«< foi en Christ »; car cette foi elle-même est amenée nécessairement, par la force même des choses, à se transformer de plus en plus en un simple respect, qui peut tout aussi bien se fixer sur saint Paul, ou sur saint Jean, ou sur tout autre, de telle sorte que, suivant la fine remarque de Hartmann, elle permet au protestantisme de s'appuyer sur saint Paul pour rejeter la partie des croyances chrétiennes qui a sa source dans le judaïsme, sur saint Jean pour rejeter tout ce qui n'est pas conforme à l'esprit grec,

sur Jésus enfin pour éliminer toute la partie métaphysique qui s'est constituée dans les premiers siècles chrétiens. D'autre part, en matière de religion naturelle, n'est-ce pas aussi un « état de croyances faibles » que l'état présent de notre théodicée rationaliste, fondée, ainsi que nous l'avons vu plus haut, sur de simples concepts abstraits et détachée, désintéressée de toutes les hautes spéculations théologiques qui ont leur base dans les sentiments religieux, dans les intuitions vivantes et géniales des grandes races humaines? Il semble vraiment qu'il y ait une sorte d'émulation pour aboutir partout à un minimum de dogmatisme, pour étriquer autant que possible les idées, au risque de rompre les liens puissants qui, soit en matière de religion, soit en matière de philosophie, en faisaient de véritables organismes. La première partie de cette étude nous a montré la philosophie religieuse contemporaine privée sur chaque point spécial d'une forte et originale conception, oscillant entre certaines exagérations dogmatiques du passé et certaines négations outrées de la science nouvelle, ballottée, indécise, cherchant son unité et ne la trouvant pas. C'est donc un sérieux problème philosophique que celui qui se pose en ces termes essayer de ramener, sans aucun sacrifice des droits du libre examen, un ensemble, un système de croyances fortes, de convictions solidement organisées, qui rendent à l'esprit public, en matière de choses religieuses, la fermeté et la confiance qui lui manquent.

Mais ce principe d'une croyance forte, ce serait folie que de le chercher dans une conception absolument nouvelle. Ou la vérité religieuse n'est pas faite pour l'homme, ou, si elle a des racines profondes dans sa nature même, elle a dû être déjà présente, d'une certaine manière, dans ses premières intuitions. Nous avons donc le droit de croire que la vérité sur Dieu, sur la Providence, sur les rapports de Dieu avec la nature et avec l'homme, est l'apanage de l'humanité tout entière; que chaque race l'a comprise dans la mesure de son développement intellectuel et l'a exprimée plus ou moins complètement par les symboles de sa religion ou par les spéculations de ses métaphy

« PreviousContinue »