Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IV

LA PROVIDENCE DANS LE PANTHÉISME

Le

1. Courant de la pensée religieuse dirigé vers le panthéisme. panthéisme et les races métaphysiques de l'humanité. Principales formes du panthéisme.

2. Le panthéisme dans l'Inde et dans la Perse antiques. Le brahmanisme et le mazdéisme.

3. Les sectes gnostiques. Conception bizarre de la création dans la théorie de la Sophia. Le panthéisme de la Kabbale. L'École

d'Alexandrie. — L'émanation et la loi de retour. Les Alexandrins ne peuvent concevoir le progrès que sous la forme de l'adhérence des choses à leur principe.

4. Le panthéisme dans les temps modernes. - Giordano Bruno. Spinoza. Jugement de M. Vacherot sur le panthéisme de Spinoza. En quel sens restreint une morale est possible dans le système de Spinoza.

3. Schelling. Deux points essentiels par lesquels le panthéisme de Schelling se distingue de celui de Spinoza.

la pensée de Schelling.

Contradictions de L'Iliade et l'Odyssée de l'histoire. — La Ébauche d'une explication du progrès par la théorie des deux activités : l'activité objective ou réelle, l'activité idéale ou subjective.

théorie de l'antitype de l'absolu.

[ocr errors]

6. Hegel. · L'Idée hégélienne et les moments de l'Idée. Parallèle entre l'idée platonicienne et l'Idée hégélienne. - Explication du progrès par les conditions d'un développement de la conscience de l'absolu. La Providence dans le panthéisme.

1. Si le monde n'est pas coéternel à Dieu et si, d'autre part, on ne peut lui assigner pour origine une manifestation arbitraire

de la pure volonté divine, laquelle aurait été également libre de le produire ou de ne le produire pas, ou bien de lui imposer des lois toutes différentes de celles qui le régissent actuellement, il semble qu'une seule hypothèse se présente encore comme possible c'est celle qui considère le monde comme fondé en Dieu, non pas dans ce sens général qu'il y aurait dans la pensée et dans la volonté divines une raison supérieure de l'existence des choses, mais bien dans ce sens tout restreint et tout déterminé que le monde est nécessairement contenu soit dans l'essence, soit dans l'activité de Dieu, et qu'il est produit par l'évolution éternelle d'une loi intérieure de cette activité ou de cette essence. Cette hypothèse, c'est le panthéisme.

On a vu plus haut que c'est l'hypothèse particulièrement conforme au génie des races aryennes, qui pourraient être définies les races métaphysiques de l'humanité. Elle se distingue, en effet, de toutes les autres en ce que sa base psychologique est plus large. Les conceptions théistes, que nous avons précédemment étudiées, prennent leur point de départ dans une partie supérieure de la nature humaine, dans la raison ou dans la volonté; elles font, par conséquent, de Dieu soit une souveraine raison, soit une volonté absolue; mais elles ne laissent qu'une part minime ou même nulle aux autres éléments de notre être. Le caractère le plus saillant du panthéisme, c'est, au contraire, que l'induction qui lui sert de point de départ embrasse davantage la nature humaine dans toute son ampleur, l'activité humaine dans tout son développement. La raison et la volonté ne sont, en effet, que les points culminants de notre nature; elles n'en sont pas, à vrai dire, l'essence même. Que serait notre raison sans les facultés inférieures qui lui fournissent la matière même sur laquelle elle s'exerce et qui la contiennent en puissance avant qu'elle se développe pleinement et pour ellemême? Et d'autre part, que serait la volonté sans l'inclination, l'instinct, le désir, qui lui fournissent, eux aussi, la matière de ses délibérations et de ses décisions? La volonté, comme la raison, a sa genèse; elle est le dernier terme d'un développe

ment, d'une longue évolution; elle est sortie de tout l'organisme moral de l'homme, comme la fleur sort finalement de la tige. Le caractère du panthéisme, c'est de prendre son point d'appui dans l'étude de ce développement tout entier et d'essayer ensuite d'en pénétrer la loi pour la transporter, pour l'appliquer à Dieu.

Seulement, le panthéisme compromet le résultat de ses hautes spéculations par l'erreur capitale qu'il y mêle. On sait quelle est cette erreur; elle lui a été mille fois reprochée et sous mille formes c'est que, au lieu de chercher simplement la raison métaphysique supérieure de l'évolution de l'univers dans un développement, disons, si l'on veut, dans une évolution de la nature divine qui se ferait en dehors des conditions de l'espace et du temps, le panthéisme identifie d'une manière absolue et substantielle ces deux évolutions; il transporte donc en Dieu la réalité phénoménale avec toutes ses imperfections et toutes ses misères, se réduisant ainsi à l'alternative ou de méconnaître la réalité de ces imperfections et de ces misères ou de souiller l'essence divine par un mélange indigne d'elle.

On a, en effet, signalé bien souvent deux formes essentielles que le panthéisme présente et entre lesquelles il est, pour ainsi dire, condamné à osciller. C'est, d'une part, le panthéisme réaliste ou naturaliste, qui absorbe Dieu dans le monde et qui confond la vie divine avec la vie de la nature : c'est ainsi que, pour les stoïciens, Dieu finit par n'être plus qu'un feu subtil et éthéré, qui pénètre, qui circule, en quelque sorte, dans les veines du monde et entretient partout la chaleur, la vie et la pensée. Et, d'autre part, c'est le panthéisme idéaliste, auquel on a donné quelquefois le nom d'acosmisme, parce qu'il absorbe le monde en Dieu et le fait comme évanouir dans le rayonnement de l'essence divine; tel a été, dans une haute antiquité, le panthéisme des Éléates; tel est aussi le panthéisme mêlé de mysticisme de quelques écoles modernes.

A un autre point de vue encore, on distingue des formes diverses du panthéisme, suivant que cette doctrine procède par déduction, par induction, ou par voie d'identité absolue pour déterminer le

vrai rapport qui, d'après elle, relie le développement de la nature au développement de Dieu. Ou bien, en effet, les panthéistes considèrent surtout en Dieu l'essence et ne font de l'activité nécessaire de Dieu qu'une manifestation et un complément de son essence; alors, ils regardent le monde comme provenant, par une sorte d'écoulement ou de rayonnement nécessaire, de la plénitude et de la surabondance divines. Ou bien, au contraire, ils pensent que Dieu est, par-dessus tout, activité et que son essence n'est autre chose que le terme et l'achèvement de cette activité; et alors, ils sont amenés à croire que le monde est constitué par l'ensemble des conditions nécessaires que l'absolu pose et réalise successivement en lui-même pour parvenir à la perfection de son essence; en d'autres termes, ils enveloppent le monde dans le mouvement éternel de la nature divine. La première de ces deux conceptions générales constitue le système de l'émanation et la seconde le système de l'évolution; entre l'une et l'autre on peut placer le système de l'identité.

Un rapide coup d'œil jeté sur ces divers systèmes va nous permettre de recueillir encore quelques éléments essentiels susceptibles d'entrer dans une solution possible du problème métaphysique par excellence.

2. Les religions des deux races, hindoue et iranienne, qu'on peut considérer comme les premiers rameaux détachés du tronc aryen, le brahmanisme et le mazdéisme, nous présentent déjà un fonds panthéistique. Le brahmanisme est né d'une transformation profonde ou plutôt d'une organisation savante du naturalisme primitif des Hindous, tel que nous le trouvons dans les Védas. D'après cette religion primitive, le feu, adoré sous le nom d'Agni, est le principe universel de la chaleur, de la vie et de la pensée; les autres divinités sont les personnifications des forces de la nature, les personnages du grand drame qui se joue dans l'univers, lorsque les vaches célestes sont enlevées par les Maruts et qu'Indra, lançant sa foudre des régions sereines de l'air supérieur, les délivre et répand leur lait sur la terre. C'est seulement en germe que le panthéisme est contenu dans ces

naïves représentations; mais, bientôt, du sein de ces divinités surgit graduellement Brahma, le principe éternel et absolu du sein duquel toutes choses sont sorties et dans le sein duquel toutes choses doivent rentrer; car

Le premier et le dernier échelon de l'être lui appartiennent. »

Un récit de la création contenu dans un des hymnes du RigVéda nous apprend qu'à l'origine des choses Brahma, « seul dans l'univers, respirait sans respirer, absorbé dans la Svadha, dans sa propre pensée ». Alors, du sein de son existence absolue, il éprouva le désir d'engendrer, « d'être plusieurs », c'est-à-dire de réaliser dans l'unité de son être la multiplicité des puissances qui y reposaient. « L'être, dit le texte sacré, reposait dans le vide qui le portait, et l'univers fut enfin produit par la force de sa dévotion. »

Cette « dévotion » de Brahma, présentée par de savants indianistes comme l'énergie de son désir, comme l'effort de sa réflexion, comme l'intensité de son absorption en lui-même et de sa contemplation intérieure, est le principe d'une émanation, par laquelle les êtres sortent du sein de l'absolu et s'en détachent, de même que les rayons se détachent du soleil. Mais l'énergie productive du désir ne reste point enfermée dans Brahma; de lui, elle passe aux êtres, issus de sa substance; cette première semence est la source de toutes les autres. Le désir fait passer sa puissance de Dieu à la lumière, de la lumière aux eaux, des eaux à la terre. Une seule et unique activité revêt tour à tour les formes les plus différentes, se retrouvant en toutes identique à elle-même. Les autres dieux, qui, dans le développement de la pensée hindoue, se groupent autour de Brahma, font, de même, sous l'influence du désir, passer leur énergie à travers les manifestations les plus variées de l'existence. Vishnou, particulièrement, remplit le monde de ses incarnations. Les âmes humaines, à leur tour, traversent, sous la loi de la métempsycose, toutes les formes et tous les degrés de la vie.

Mais, si tout émane de la pensée, tout aussi y retourne. « La

« PreviousContinue »