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résumer toute la cosmologie, toute la physique et toute la psychologie d'Aristote, si l'on voulait bien mettre en lumière la profonde simplicité de cette conception. Qu'il suffise de rappeler ici que, d'après l'auteur du Traité du Ciel, les divers mouvements qui s'accomplisent dans l'univers, c'est-à-dire les mouvements de génération, d'altération et d'accroissement, sont subordonnés à un mouvement plus essentiel, le mouvement de translation, auquel ils se ramènent tous et qui, seul, est éternel et continu. Peut-être cette conception d'Aristote n'est-elle pas sans quelque analogie avec nos théories modernes qui réduisent toutes les propriétés et tous les phénomènes des corps à n'être autre chose que des modes du mouvement. Quoi qu'il en soit, les mouvements de translation qui se produisent à la surface de la terre ont leur cause dans les mouvements de translation qui existent dans les diverses sphères du ciel, et ces derniers, à leur tour, ont leur cause dans le « premier mobile », l'éther, dont la nature est de se mouvoir sans cesse, d'un mouvement régulier et circulaire. L'éther, d'après Aristote, est le premier corps et un corps divin. C'est le premier ciel, contenant en lui-même le ciel des étoiles fixes; celui-ci, à son tour, enveloppe les diverses sphères du ciel des planètes; le ciel des planètes enveloppe le feu; le feu entoure l'air, l'air entoure l'eau, qui elle-même s'étend comme une ceinture tout autour de la terre. Chacun de ces corps occupe une sphère distincte, qui reçoit le mouvement de la sphère supérieure et qui, à son tour, communique son mouvement à la sphère placée au-dessous d'elle; par conséquent, le mouvement de l'éther se transmet de proche en proche aux autres cieux, à tous les éléments et à tous les corps, et est ainsi le principe de l'activité et de la vie universelles. Mais, si le mouvement de l'éther est la cause de tous les autres mouvements, il a lui-même son principe dans une activité supérieure et trancendante. Ce mouvement régulier et circulaire imite par sa continuité parfaite l'activité immobile de la Pensée, moteur suprême, moteur immobile du monde. Ainsi, c'est, en dernière analyse, cette activité transcendante de la pensée qui produit le système entier des mouvements

de l'univers et qui maintient entre eux l'ordre admirable d'où résulte la beauté du cosmos. Mais comment la pensée meut-elle le monde? Ce ne peut, évidemment, être par impulsion; car, en donnant un branle tout mécanique, elle tomberait elle-même dans le mouvement. C'est donc par attraction, non physique, mais morale; c'est par l'attrait de son essence souverainement intelligible et souverainement aimable, à laquelle est suspendu, comme à la cause finale suprême, l'ordre entier des causes efficientes. Un mot, par conséquent, peut résumer le mode d'action de la Providence dans le système d'Aristote c'est l'attrait moral.

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- Ainsi, Dieu reste, dans ce système, la Providence du monde ; mais il n'en est, comme on l'a si bien remarqué, que « la Providence sans le savoir ». Dieu, en effet, ignore le monde; il ne le connaît pas et il ne l'aime pas. Il ne pourrait le connaître sans déchoir; car, d'après Aristote, la perfection se souillerait ellemême en connaissant les choses imparfaites. Il ne pourrait l'aimer sans sortir de lui-même; car l'amour est l'effet du désir, qui, lui-même, est l'effet du besoin. Or Dieu, étant parfait, et immobile parce qu'il est parfait, ne peut se porter vers rien par le mouvement du besoin et du désir. Aristote, on le voit, ne comprend pas l'amour désintéressé, la bonté expansive et rayonnante. Il ne voit pas que la perfection du bien, c'est d'être le bien pour les autres et non pas simplement le bien en soi. Il ne voit pas que la plénitude de la personnalité, c'est d'être féconde; c'est d'envelopper en soi d'autres personnalités; c'est de les produire et de les ramener à soi par la création et par la providence, ces deux formes suprêmes de l'amour. Ainsi, il a fait de son Dieu une conscience parfaite, mais enfermée et comme emprisonnée en elle-même. Par là sa doctrine reste finalement inférieure à celles de Socrate et de Platon.

C'est qu'Aristote est arrivé à l'idée de la conscience absolue par une méthode purement négative, qui ne lui a pas permis de saisir tout ce qu'il y a en elle de vivant et de fécond. Il y est arrivé par l'élimination graduelle de tout mouvement. Il n'a pas

vu que la conscience est, tout au moins, un mouvement intérieur, un développement interne, une vie pour soi. Nous essaierons plus loin de comprendre que, par cela même, elle doit être aussi, du moins en Dieu, un principe de mouvement et de vie hors de soi. La conscience absolue produit intérieurement son objet, et, intérieurement aussi, elle se le rapporte à elle-même. L'éternel mouvement de la conscience divine enveloppe en soi le monde et le rattache à Dieu par le double lien de la causalité première et de la finalité suprême.

CHAPITRE III

LA PROVIDENCE DANS QUELQUES DOCTRINES PUREMENT

THÉISTES

Courant de la pensée religieuse portant au pur théisme. Sa principale manifestation dans la religion hébraïque. Il se retrouve dans le jansénisme, dans la théodicée cartésienne, dans tout l'ensemble de la philosophie du xvIIe siècle. Caractères communs de ces diverses conceptions.

I

La religion des Hébreux.

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Caractères de l'idée de Dieu dans la religion juive. La nature anéantie devant la majesté de son créateur. L'Ecclésiaste. « Rien de nouveau sous le soleil. » Aucune idée de progrès, soit dans la nature, soit dans l'humanité. Le Livre de Job. Tout est soumis à la puissance de Dieu; mais cette puissance ne s'exerce pas d'après un plan et en vue du progrès. Le prophétisme. Apparition de l'idée d'un plan divin et d'un progrès moral. Première idée d'une philosophie de l'histoire.

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II

Le jansénisme.

1. Lien historique qui rattache le jansénisme à la conception fondamentale de la religion d'Israël. — L'idée de l'élection. — Comment elle est transformée par saint Paul; comment le Dieu des Juifs devient le Dieu des prédestinés. - Saint Augustin. L'idée d'une « cité de Dieu ».

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La diversité des attributs divins se manifeste par les élus et par les réprouvés.

Paul.

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Pascal.

2. Le jansénisme. Son principe essentiel emprunté à saint Dieu opère en nous le vouloir et le faire. Une contradiction profonde dans sa pensée. Comme chrétien, il fait de l'ordre de la grâce un ordre universel. « Jésus-Christ pour tous. » — Comme janséniste, il est avec ceux qui font de cet ordre un principe d'exclusion autant que de sélection. « Le Christ aux bras étroits. >> Théorie des miracles et des prophéties. Dieu à la fois impitoyable et moqueur.

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Complexité de la doctrine cartésienne. Le cartesianisme pur. Le cartésianisme chrétien. Leurs principaux caractères différentiels. - L'idée de providence, compromise ou mutilée dans le cartesianisme pur, largement rétablie dans le cartésianisme chrétien.

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1. Descartes. Théorie de la liberté infinie en Dieu. Les vérités éternelles réduites à n'être que des créatures, au même titre que les êtres réels. Conséquences de cette assimilation. L'ordre des fins mis sur le même plan que l'ordre des faits. Impossibilité de concevoir la providence comme dirigeant le monde vers un but et comme le gouvernant. Théorie de la création continuée. En ramenant la providence à n'être que la continuation de l'acte créateur, elle la détruit comme prévision et comme protection. Conception cartésienne de la nature; méconnaissance de la spontanéité et de l'autonomie à tous les degrés de l'être, dans la vie, dans l'instinct, dans la passion. Conception cartésienne de la volonté. Descartes n'en a tiré aucune doctrine personnelle sur le monde moral. Restrictions apportées par Descartes à l'idée même de liberté. - Conclusions dernières, voisines de celles de jansénisme.

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2. Leibniz. L'optimisme, tel que le conçoit Leibniz, n'implique pas nécessairement l'idée de providence. Retour sur l'insuffisance de cette conception. Tentative subtile de Leibniz pour concilier le déterminisme de la nature avec la spontanéité des êtres et spécialement avec la liberté de nos déterminations. Échec de cette tentative. Mythe final de la Théodicée. Sextus Tarquin et les chambres du palais des destins. Différence entre la conception de Leibniz et celle du caractère nouménal chez Kant. Confusion de la possibilité psychologique avec la possibilité purement logique. Le Dieu de Leibniz détermine nos actes par cela seul qu'il choisit uniquement, parmi les déterminations possibles de notre liberté, celles qui entrent comme éléments dans le meilleur des mondes possibles.

3. Influence de la philosophie de saint Thomas sur le développement du cartésianisme. L'idée de loi et l'idée de fin. Sens que pré

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