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doctrines sensualistes et sceptiques que les orgies du duc d'Orléans, que les adultères et le Parc aux cerfs de Louis XV?

Les femmes eurent encore sous ce règne, comme sous celui de Louis XIV, une influence puissante: mesdames de Tencin, Geoffrin, du Chastelet, du Deffand, réunissaient dans leurs salons l'élite des gens de lettres et cette foule d'hommes et de femmes qui s'agitaient autour des noms célèbres. Nous ne pouvons plus nous faire l'idée de ces conversations brillantes, audacieuses, qui exerçaient une si irrésistible influence alors, le journalisme a tout remplacé. Madame de Châteauroux lutta souvent contre le cardinal Fleury; madame de Pompadour, dont les goûts d'artiste charmaient le roi, seconda Voltaire et les encyclopédistes qui la comblaient de flatteries; madame du Barry servit le pouvoir royal contre les parlemens, et contribua à leur chute. Mais tout cet étalage d'immoralité déconsidérait de plus en plus la monarchie, et les classes opprimées par les priviléges de la naissance, par les abus de toutes sortes qui pesaient sur elles, secondées d'ailleurs par les idées des philosophes qu'adoptaient les membres les plus distingués de la noblesse, et par la terrible éloquence de la tribune, devaient bientôt ensevelir sous des monceaux de cadavres ce trône souillé par tant de vices.

Terrible expiation! Louis XVI, dont l'âme sympathisait si noblement avec cette réaction morale des

Turgot et des Malesherbes, fut le juste qui souffrit le martyre pour les crimes de la royauté. Un moment tout sembla disparaître sous une mer de sang.

Quand la société respira, domptée par une des plus colossales volontés dont l'histoire fasse mention, quand le dix-huitième siècle finit, la pensée humaine sembla aussi rentrer dans l'ordre.

Toutefois l'école de Locke et de Condillac continua son œuvre des hommes haut placés dans l'État, des sénateurs, Volney et Cabanis, furent les successeurs les plus directs des philosophes du dixhuitième siècle. Le premier fonda sa morale sur l'intérêt bien entendu et professa l'indifférence du vicaire savoyard pour toutes les religions établies; le second voulut démontrer dans le système nerveux l'âme tout entière de l'homme; mais plus tard il réserva les droits de l'âme immatérielle, et osa se déclarer incompétent pour étudier la nature du principe qui anime les corps vivans. Le commentateur de Montesquieu, sénateur comme Volney et Cabanis, Destutt de Tracy, entreprit de donner plus de profondeur aux principes moraux de l'école; plus tard le docteur Broussais resta aussi sensualiste que ses prédécesseurs, tout en soutenant la cause de l'humanité et d'une morale sévère. D'autres descendans de Condillac, Maine de Biran, La Romiguière, de Gérando, ne tentèrent pas une réaction contre le maître; seulement ils étudièrent avec succès la partie spiritualiste de la science, et préparèrent l'avène

ment de la philosophie éclectique, du mysticisme de saint Martin et de l'école catholique du dix-neuvième siècle, que M. de Chateaubriand inaugura comme poète et comme critique; mais nous touchons aux régions des vivans.

La tâche que nous nous étions imposée ici est terminée. Le dix-neuvième siècle n'est pas encore à la moitié de sa course, et déjà on peut voir qu'il occupera une grande et glorieuse place dans l'histoire du monde.

Dieu semble avoir suscité un conquérant de la race des Alexandre et des César comme pour en finir avec la guerre d'une manière éclatante. En effet, la paix règne depuis trente ans entre toutes les grandes nations chrétiennes, et c'est un magnifique spectacle donné à la terre. La presse a remplacé la mort comme moyen de civilisation.

Chose admirable! dans le même temps, la vapeur appliquée à la locomotion rapproche les peuples du nord et du midi, de l'orient et de l'occident, et prépare cette magnifique unité qui est le but suprême du genre humain Ut omnes unum sint.

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Les généreux principes de 1789 sont sortis triomphans des luttes sanglantes qui ont suivi leur apparition dans le monde; on en poursuit de plus en plus l'accomplissement. Jamais les souffrances du pauvre n'ont autant préoccupé l'intelligence d'un

siècle un nouvel et meilleur avenir se prépare.. Les idées religieuses fermentent : là encore le besoin d'unité tourmente tous les esprits ; quand verronsnous l'Église universelle enserrer le monde dans son vaste et ferme enseignement ?... Malgré d'étranges aberrations, la poésie se rapproche du ciel. La science semble ouvrir les yeux et découvrir de plus en plus la vérité cachée sous les symboles, sublime réconciliation entre la raison et la foi, entre l'homme et Dieu.

Nous avons étudié les trois grandes phases des travaux de l'esprit humain appliqués à la littérature. Dans le monde oriental, dans la Grèce et dans Rome avant le christianisme, puis enfin chez les peuples dont la civilisation est née de cette religion sainte. Nous avons trouvé l'idée de Dieu régnant presque exclusivement sur les intelligences à l'aurore du monde. La Grèce et Rome, son élève, ont surtout glorifié l'homme. Les poètes et les philosophes chrétiens sont principalement inspirés par les rapports du créateur et de la créature; ils chantent ou étudient l'harmonie complète de l'univers. Le christianisme paraît ainsi fondre dans l'unité les deux phases du monde qui l'ont précédé, l'Orient et la Grèce.

On a long-temps discuté sur le beau; les hommes de bonne foi, qui auront lu ce livre avec quelque attention reconnaîtront que s'il peut

exister une beauté secondaire en dehors des grands principes moraux, la beauté suprême n'est qu'un reflet de Dieu, et que l'intelligence humaine grandit toutes les fois qu'elle s'approche de sa source divine et s'abaisse quand elle s'en éloigne.

FIN.

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