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quand le siècle nouveau commença par une œuvre d'un grand éclat et d'une élégance charmante, le Génie du christianisme, pár M. le vicomte de Chateaubriand.

C'était un gentilhomme breton qu'une imagination inquiète avait entraîné dans les déserts de l'Amérique, et qui en revint tout ébloui de la grandeur et des merveilles de cette nature. Son imagination, préparée dès l'enfance par le magnifique spectacle de la mer, qui gémit le long des grèves de Saint-Malo, sa patrie, s'était splendidement colorée à l'aspect des forêts vierges et des immenses fleuves du Nouveau-Monde. Aussi le Génie du christianisme eut dès son apparition un retentissement immense. Il venait dans un magique langage parler de religion à tous ces cœurs désolés qui avaient soif de Dieu après les effrayantes catastrophes et les saturnales impies de la Terreur. C'était un vaste tableau de ce que le christianisme avait fait pour la vérité, pour l'ordre social, pour la poésie, pour les arts. Ce livre eut un effet d'autant plus étendu qu'il était bien plus remarquable encore par l'éclat de l'imagination que par la profondeur de la pensée. Malgré les connaissances variées qu'il révèle, c'est plutôt une œuvre de poésie qu'une œuvre de science; mais ces tableaux enchanteurs de la nature, ces merveilleuses peintures des cérémonies du culte catholique, de ses missions périlleuses, de ses miracles de dévouement et d'amour, séduisirent toutes les

âmes souffrantes qui gémissaient alors dans la société française.

Comme critique, Chateaubriand allait au delà de madame de Staël, au delà du spiritualisme philosophique; il étudiait le christianisme sous le rapport poétique et démontrait que de lui émanait nécessairement une inspiration très-supérieure à celle du paganisme.

Atala et René ornaient le livre; la poésie descriptive de ces deux petits récits est admirable; les funérailles d'Atala sont un tableau qui peut soutenir la comparaison avec les plus belles créations des poètes. René, plus caractérisé peut-être encore, analyse cette vague rêverie d'une âme ardente qui cherche sa voie et s'ennuie de toutes les impressions de la vie présente, maladie morale dont le plus ancien interprète connu est peut-être Salomon, et dont Hamlet est le type le plus célèbre dans le monde moderne.

Les ancêtres naturels de Chateaubriand sont Rousseau, Buffon et Bernardin de Saint-Pierre, quoique son style rappelle parfois le dix-septième siècle. La qualité dominante de son génie est une élégance ravissante que personne peut-être n'avait possédée à ce degré dans la prose française. Son défaut est la recherche, la combinaison des effets parfois trop visible. Cette éloquence, très grande cependant, ne semble pas naturelle comme celle de Bossuet ou de Pascal.

VII.

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Chateaubriand ouvrait dignement le dix-neuvième siècle; il ne s'agissait plus ici de spiritualisme vague, le progrès de l'humanité s'opérait par cette grande religion qui est venue régénérer l'homme il y a plus de dix-huit cents ans. Cette inspiration allait se répandre sur toute la génération actuelle, car ses plus hautes intelligences, nous le disons avec bonheur, se meuvent dans le sein du christianisme.

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XII.

Le dix-huitième siècle. Aurore du dix-neuvième. .Conclusion.

Pendant que l'humanité s'avançait, ainsi que nous venons de le voir, au milieu des orages de l'intelligence, la guerre, ce grand fléau long-temps civilisateur, continuait de sévir avec rage; les hommes ne se tuaient plus pour des opinions religieuses, mais pour l'ambition des princes; l'Europe tendait à modifier ses divisions d'États, à former ses nationalités, telles que nous les voyons exister aujourd'hui.

Le génie stratégique de Frédéric II agrandissait

le royaume de Prusse; Catherine continuait l'œuvre de Pierre-le-Grand et portait la puissance russe sur la mer Noire, convoitant déjà cette grande proie de Constantinople que les czars n'osent pas encore saisir. Ces deux souverains caressaient les philosophes français qui disposaient alors de l'opinion de l'Europe et rendaient avec usure les royales flatteries.

La Pologne, cette nation chevaleresque et remuante, disparaissait étouffée entre ses trois redoutables voisins. Divers peuples de l'Europe se disputaient la possession de l'Inde, qui resta enfin à l'Angleterre comme pour lui payer l'émancipation de ses colonies d'Amérique.

La France ne conserva pas la suprématie militaire des beaux jours de Louis XIV; mais cependant n'oublions pas que notre territoire s'agrandit sous Louis XV et que la bataille de Fontenoy est un des plus glorieux faits d'armes de nos annales.

N'oublions pas que jamais les idées françaises n'ont exercé un empire plus irrésistible qu'au dixhuitième siècle, et que, même au moment de nos plus grands malheurs militaires, nous avons dominé le monde par nos écrivains. Ne calomnions pas la philosophie française: si Diderot, d'Holbach, Helvétius ont répandu les doctrines .insensées du matérialisme, les véritables hommes de génie, Rousseau, Montesquieu, Voltaire lui-même, ont

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