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Buffon écrivait, en 1744, son Discours sur l'histoire et la théorie de la terre; nous n'avons pas à nous occuper ici de la partie purement scientifique de cette œuvre; rappelons seulement que l'intuition du génie entrevit les grandes découvertes de Cuvier: Il peut se faire, dit Buffon, qu'il y ait eu de certains animaux dont l'espèce a péri; les os fossiles extraordinaires qu'on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande, semblent confirmer cette conjecture. (Théorie de la terre, p. 185.)

Quant aux gigantesques hypothèses de Buffon sur la création de la terre, tous les critiques reconnaissent que, même dans leurs erreurs, elles révélent un génie élevé et vaste.

Sur la grande question du principe du monde, Buffon n'est pas toujours conséquent. Ses sublimes invocations à Dieu ne devraient pas laisser de doutes sur sa croyance; mais dans quelques parties de son œuvre il semble imbu d'idées fausses sur la création, idées que Cuvier a réfutées de nos jours par l'observation savante des faits.

Il ne faut cependant pas faire à Buffon le reproche d'avoir partagé les erreurs déplorables de son temps, mais reconnaître qu'il est plus encore un grand poète, un grand coloriste, qu'un savant. Il n'a pas sur Dieu la fermeté d'idées qui fait la gloire de Platon dans le monde antique, de Newton et de Descartes dans le monde moderne.

Toute sa vie (et Buffon n'est mort que la veille

VII.

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de notre révolution, en 1788) fut consacrée à l'étude de la nature, et ses recherches de détail révèlent une sagacité extraordinaire et fournissent à l'écrivain des pages d'une bien rare magnificence. Toute la France a ratifié ce jugement de M. de Barante: « Le caractère et les habitudes des animaux, l'aspect et la physionomie des contrées furent retracés pár son pinceau avec une inconcevable magie. Personne, pas même Rousseau, n'a été au dix-huitième siècle un homme de style comparable à Buffon pour l'har monie et la perfection du travail. »

L'auteur de l'Histoire naturelle a été soupçonné de partager les erreurs de quelques écrivains de son époque sur l'âme de l'homme et de tout ramener à la sensation ce reproche n'est pas fondé. On a pu être conduit à cette opinion par quelques passages mal interprétés; mais que répondre au fragment suivant du Discours sur l'homme : « L'âme existe, elle est d'une nature différente de la matière; elle n'a qu'une forme très-simple, très-générale, trèsconstante, ia pensée; elle est dès lors, comme la pensée même, indivisible et immatérielle. >>

Buffon, qui prononça à l'Académie française un discours sur le style, en a été vivement préoccupé toute sa vie : il médita ses ouvrages lentement dans la solitude des châteaux de Montbard et de Buffon; sa vie de grand seigneur ne fut pas troublée, et Dieu sembla lui avoir fait ce repos opulent comme pour lui donner la facilité d'observer sans distraction la

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nature qu'il devait peindre. Buffon disait quelques années avant sa mort: « J'apprends tous les jours à écrire... Il y a dans mes derniers ouvrages infiniment plus de perfection que dans les premiers. Le travail absorba l'existence calme de l'auteur de l'Histoire naturelle. Il se maria à quarante-six ans; mais son mariage et la place qu'il occupa, tous ses soins d'homme et de propriétaire, ne troublèrent jamais les heures invariablement consacrées à l'étude.

Buffon jouit de sa gloire, dont il lui arrivait des témoignages de toutes les parties du monde. Durant la guerre de 1777, les corsaires anglais s'étant emparés d'un navire dans lequel se trouvaient des caisses adressées de l'Inde à M. de Buffon, elles lui furent envoyées au Jardin-du-Roi. L'infortuné Bailly, auteur d'une histoire de l'astronomie, soutenait avec admiration les hypothèses de l'auteur de l'Histoire naturelle; des élèves glorieux se formaient autour de lui; Louis XV, si insoucieux de tout ce qui concernait les gens de lettres, avait offert à Buffon l'intendance des eaux et forêts. Sa statue était placée sous ses yeux, à l'entrée du Muséum, avec cette inscription:

Majestati naturæ par ingenium.

La sanglante héroïne du nord, Catherine II, le flattait et en était flattée, tant l'orgueil caressé aveugle l'œil même des philosophes!

L'œuvre de Buffon peut être considérée comme la

plus éloquente qu'ait inspirée l'histoire naturelle. Ainsi le travail d'Aristote, exécuté d'après les ordres d'Alexandre, qui, dévoré d'une soif immense de savoir, avait, dit M. Villemain, chargé des milliers d'hommes de parcourir les forêts et les mers, afin de rassembler pour le philosophe des échantillons de tous les êtres; ce travail est bien plus exclusivement scientifique que celui du naturaliste français. Buffon a plus de rapports avec Pline; mais laissons aux historiens des sciences le soin de caractériser les prédécesseurs de Buffon dans l'étude de la nature, les Vincent de Beauvais, les Aldrovande de Padoue, les Gessner, les Linnée. Nous n'avons parlé avec quelques détails du grand naturaliste français que parce qu'il est un des premiers maîtres de notre langue au dix-huitième siècle.

Nous nous hâtons donc de rentrer dans notre sujet en poursuivant notre examen de la littérature française.

VII.

- Poésie. Louis Racine.-Le Franc de Pom

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Suite de l'histoire des lettres françaises. — Le chancelier d'Aguesseau. - Rollin, pignan. Gresset. Piron.

Théâtre. — Destouches. La Chaussée.—

Marivaux. Lamothe.

-

Guymond de Latouche. Debelloy. -Beaumarchais. — Collin d'Harleville, Opéras.

Nous nous sommes plu à présenter de suite nos idées sur la vie et les travaux des hommes qui laisseront une trace profonde dans l'histoire littéraire de la France du dernier siècle. Au-dessous d'eux un grand nombre d'écrivains attiraient les regards du public. Parlons d'abord de ceux qui brillaient dans la première moitié du dix-huitième siècle, à l'époque où la gloire de Voltaire et celle de Montesquieu éclipsaient tout.

Une école grave et peu bruyante conservait l'esprit du dix-septième siècle et surtout celui de Port

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