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V.

Commencemens du dix-huitième siècle.- Le régent.-J..B. Rousseau. -Lamotte. Fontenelle. La cour de Sceaux.-Tragiques du second ordre, Crébillon. Voltaire. La cour de Berlin.- Maupertuis. La Mettrie. Les critiques de Voltaire.

Les dernières années de Louis XIV s'étaient trainées dans l'ennui et la tristesse; les lettres de madame de Maintenon ne laissent aucun doute à cet égard. Les malheurs publics avaient influé sur la nation, qui semblait alors partager l'humeur sombre de la cour. Les grands écrivains du beau siècle avaient presque tous précédé le vieux monarque dans la tombe; lorsque Louis XIV mourut, le 1o′ septembre 1715, il ne restait plus de tout le cortége

illustre que le grand orateur Massillon, levoluptueux et sceptique poète Chaulieu, J.-B. Rousseau, savant versificateur, mais sans véritable inspiration, cynique dans une partie de ses œuvres et aussi, dit-on, dans ses mœurs; Lamotte, poète assez médiocre, critique parfois paradoxal, audacieux, mais souvent éclairé et heureusement novateur; Fontenelle, polygraphe ingénieux, qui, malgré ses nombreux ouvrages, n'a pu parvenir qu'à une position de second ordre. Ces trois derniers écrivains n'appartiennent pas à la cour lettrée de Louis XIV, mais par l'époque de leur naissance et de leurs travaux ils doivent figurer dans l'histoire littéraire des dix-septième et dix-huitième siècles.

Le duc d'Orléans arriva à la régence et imprima à son temps une impulsion incontestable. C'était un homme d'un esprit vaste, capitaine habile, très-occupé de sciences et de littérature; mathématiques, physique, chimie, beaux-arts, il étudia tout avec ardeur. Son esprit aventureux le jeta dans des expériences financières qui renversèrent bien des fortunes; mais un tel prince eût donné de l'élan à la nation, si ces brillantes qualités n'avaient pas été paralysées par une passion désordonnée pour toutes les voluptés. La cour de Louis XIV étalait l'adultère, celle du régent la débauche et l'orgie. Dès lors la haute société parisienne se précipita dans un sensualisme effréné; nous allons bientôt voir avec quelle déplorable fougue la littérature et la philo

sophie seconderont cette décadence des mœurs françaises.

Nous avons cherché à apprécier J.-B. Rousseau dans notre sixième volume: au chapitre sur la critique on trouve quelques mots sur Lamotte, favori du régent et de la duchesse du Maine, qui avait fait de sa belle villa de Sceaux l'asile des plaisirs de l'esprit. On se ferait du reste une assez triste idée de l'intelligence de cette petite réunion, si on la jugeait d'après son goût pour les vers de Lamotte, dont la malheureuse fécondité parvint à faire du bruit dans son temps. Il s'essaya dans tous les genres. Épopées, tragédies, comédies, opéras, odes, fables, églogues, tout lui était facile, parce qu'il n'avait un sentiment profond de rien. Il voulut bannir les vers de la poésie, parce que leur harmonie ne le touchait pas; il traduisit Homère sans le comprendre et l'attaqua pitoyablement, quoi qu'en dise Voltaire, qui lui-même était peu sensible aux beautés primitives et sublimes de l'Odyssée et de l'Iliade. Lamotte fut cependant un homme de beaucoup d'esprit ; en effet, son malheur est d'avoir cru que l'on pouvait tout remplacer par de l'esprit, même l'inspiration naïve du poète. Ses odes offrent des pensées ingénieuses et de belles maximes, ses ouvrages en prose des fragmens très fins et très-habilement écrits, et sa tragédie d'Inès des scènes touchantes.

Le commencement du dix-huitième siècle est,

comme on le voit, un temps d'arrêt, la renommée appartient à des hommes secondaires. J.-B. Rousseau, Lamotte, Fontenelle', règnent à la place de La Fontaine, de Despréaux, de Bossuet et de Fénélon. Au théâtre, quels sont les successeurs de Corneille et de Racine?

Le débile élève de ce grand poète, Campistran, n'est mort qu'en 1723. Qui se souvient aujourd'hui de Virginie, d'Arminius, d'Andronic, d'Alcibiade, de Tyridate? Il n'y a dans tout cela qu'une imitation malheureuse, et ces tragédies, qui eurent quelque retentissement au dernier siècle, n'ont servi depuis qu'à faire ressortir le magnifique et harmonieux génie de l'auteur de Phèdre. Antoine de La Fosse était mort en 1708, laissant plusieurs pièces son Manlius n'a pas péri, et ce rôle a été long-temps un de ceux qu'affectionnait le plus grand tragédien du dix-neuvième siècle. Manlius renferme des scènes d'un profond sentiment tragique; mais l'auteur imite encore scrupuleusement les maîtres du théâtre français. La Grange Chancel fut un élève de Racine, auquel madame la princesse de Conti communiqua la tragédie de Jugurtha, premier essai du poète. Plusieurs tragédies de La Grange réussirent au théâtre, mais il puise sa véritable célébrité dans le libelle terrible et calomnieux qu'il lança contre le régent, et dans lequel, auprès de vers faibles et

1 Voir notre sixième volume.

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