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I.

État des lettres en Portugal au dix-huitième siècle,

Nous avons laissé la littérature portugaise trèslanguissante à la fin du dix-septième siècle; pendant le règne de Jean V, de 1705 à 1750, le gouvernement s'efforça de ranimer les goûts littéraires de la nation; l'Académie portugaise de la langue fut fondée en 1714, celle de l'histoire en 1720; mais rien de grand ne sortit de la création de ces deux sociétés. Le poète le plus célèbre du dix-huitième siècle en Portugal est François Xavier de Ménésès, comte d'Ericeyra, né en 1673. Dès l'âge de vingt ans, il se rendit illustre par l'étendue de ses connaissances et la vivacité de son esprit. Pendant la guerre de la succession, Ericeyra fit plusieurs cam

pagnes et parvint au grade de général. Cet homme éminent travailla toute sa vie à introduire les idées françaises dans sa patrie; dès sa première jeunesse, il avait traduit en vers portugais l'Art poétique de Boileau, qui entretint fort long-temps une correspondance avec lui. Ericeyra mourut en 1744, deux ans après avoir publié son Henriquéide, poème épique auquel il avait travaillé toute sa vie. Le poète s'était proposé de donner au Portugal une épopée nationale plus régulière que celle de Camoëns : il prit pour héros Henri de Bourgogne, fondateur de la monarchie portugaise, gendre d'Alphonse VI de Castille et père d'Alphonse Henriquez. Le sujet est la conquête du Portugal sur les Maures, racontée en douze chants et en strophes de rimes octaves. Toutes les règles sont fidèlement observées, la vraisemblance historique respectée, et l'intérêt assez soutenu. Ericeyra a évité avec soin les défauts de Camoëns; mais il a fait une œuvre froide. Les leçons de Boileau ne sauraient donner à un poète l'enthousiasme, l'âme, le génie. Aussi Camoëns avec ses inégalités, est-il resté l'écrivain le plus populaire du Portugal, tandis qu'Ericeyra n'est lu que des gens de lettres.

Pendant la vie de ce poète on vit renaître à Lisbonne un théâtre portugais, bien faible, il est vrai, mais s'efforçant d'enlever la nation à l'exploitation de l'Espagne. Un juif, nommé Antonio José, écrivit des poèmes d'opéras comiques qui attirèrent la foule

au théâtre. Ces pièces ne manquaient pas de verve, mais elles étaient déparées par un langage souvent grossier et des idées très-bizarres. Pedro Antonio Correa Garçao, heureux imitateur d'Horace, donna quelques pièces dans le genre de Térence, qui obtinrent beaucoup de succès, tandis qu'une femme, la comtesse de Vimieiro, faisait applaudir une œuvre intitulée Osmia, tragédie nationale qui révèle une grande délicatesse de sentimens et une rare connaissance des passions. M. de Sismondi a dit de cette pièce qu'elle était en quelque sorte aujourd'hui la seule tragédie du théâtre portugais.

Plusieurs écrivains distingués ont vu le jour dans le nouvel empire fondé au Brésil par les compatriotes de Camoëns. Claude Manuel da Costa étudia les poètes italiens et principalement Métastase et Pétrarque, dont il a imité les sonnets. Ses élégies et ses églogues ressemblent à mille pièces amoureuses et pastorales que répètent depuis des siècles les échos des bords du Tage. On préfère du même poète des chansons et des cantates dans le goût de Métastase; mais nous n'avons pu découvrir la moindre originalité dans tout cela. M. de Sismondi cite encore un poète brésilien, Manuel Ignacio da Silva Alvarenge, professeur de rhétorique à RioJaneiro. Ses œuvres sont des poésies érotiques. « Leur principal attrait, dit le critique déjà cité, c'est leur couleur locale, les images empruntées aux arbres, aux papillons, aux serpens d'Amérique, ou l'invi

tation à fuir, dans l'onde fraîche d'un ruisseau, les ardeurs de décembre. En lisant les premiers poèmes écrits dans ces climats si éloignés de nous, on songe à ce qu'ils nous promettent, plus encore qu'à ce qu'ils nous donnent déjà. »

Boutterweck et M. de Sismondi ont cité encore quelques poètes portugais appartenant à la fin du dernier siècle ou au commencement du nôtre. Ils placent au premier rang Francisco Manuel, dont les poésies lyriques sont pleines de noblesse et d'élévation. Antonio Dinez da Creuz e Pilva imita les Anglais et surtout Pope, dont il traduisit the Rape of the lock (la Boucle de cheveux enlevée). Ce poète écrivit aussi trois cents sonnets dans le genre de Pétrarque. J.-A. da Cunha, célèbre par ses travaux mathématiques, fut néanmoins un poète éminent; ses vers sont inspirés par une rêverie mélancolique et une douce sensibilité. Voici un fragment de l'ode qu'il écrivit pendant une maladie qu'il croyait mortelle :

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Angoisse pénible, cruel accablement, est-ce la douleur qui te cause? es-tu la mort elle-même? Je me résigne et j'attends avec fermeté le coup fatal, le dernier coup. Et toi, entendement, souffle léger, âme immortelle, quelle route vas-tu prendre? Tel que la lumière d'un flambeau exposé au vent, tu paraissais déjà t'éteindre. Ah! si la vie seule devait s'éteindre! Qu'est-elle, cette vie et ce monde? Rien encore. Mais pour une âme, se voir séparer, bien

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