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Nous voyons le matin les rayons du soleil illuminer les nuages, les montagnes, les sommets des édifices avant d'atteindre le sol, et le soir ces mêmes objets sont encore éclairés, quand d'autres, moins saillants, sont déjà dans l'ombre. Le même effet a lieu pour les particules d'air dont se compose l'atmosphère, et dont l'élévation surpasse de beaucoup les plus hautes montagnes. Ces particules aériennes, recevant les rayons du soleil avant qu'il soit visible pour nous, renvoient vers la terre une clarté d'autant plus vive que le soleil est plus près d'apparaître, et qu'il atteint une plus grande partie de la masse d'air qui est au-dessus de l'horizon. On voit donc que la durée de ce phénomène dépend de la hauteur où sont placées les dernières particules d'air qui peuvent nous renvoyer les rayons du soleil.

On sait que l'air est d'autant moins compacte que l'on s'éloigne davantage de la surface de la terre. A une certaine hauteur, il doit donc être tellement subtil et divisé, qu'il ne puisse nous réfléchir aucune lumière sensible. C'est à cette limite que nous devons fixer expérimentalement l'étendue de notre atmosphère. Or, on admet généralement que le crépuscule commence ou finit quand le soleil se trouve abaissé de 18° à l'orient ou à l'occident au-dessous de l'horizon ; à cet instant on peut apercevoir les plus petites étoiles dans les points du ciel les plus voisins de l'astre qui va parat tre ou qui vient de disparaître. Si l'on calcule d'après cette observation la hauteur qu'il faut assigner aux dernières particules d'air pour nous réfléchir alors la lumière solaire, on trouve pour résultat environ 60 mille mètres; c'est la mesure que nous avons indiquée plus haut. Elle est encore confirmée par la distance à laquelle apparaissent ces météores étrangers à la terre, qui s'enflamment en entrant dans l'atmosphère, et dont l'éloignement, au moment de leur première ignition, est également de 60 mille mètres.

Tous les astronomes ne sont pas d'accord Sur l'abaissement du soleil nécessaire pour faire naître ou disparaître entièrement le crépuscule. On devrait même, avec Riccioli, admettre pour le crépuscule du soir un abaissement plus grand que pour l'aurore; car l'atmos phère est dilatée et soulevée par la chaleur du jour. Riccioli donne 16o pour la première époque de la journée, et 20° pour la seconde. Conformément à ce résultat, il trouve encore que la lueur crépusculaire disparaît l'hiver avant que le soleil ait atteint au-dessous de l'horizon l'abaissement nécessaire pour la faire disparaitre pendant l'été. Enfin, nous ajouterons que tous ces effets sont modifiés par l'inflexion des rayons solaires que la réfraction atmosphérique plie vers la surface de la terre. Cette cause augmente la durée du crépuscule, et, pour les

latitudes très-élevées, dans la saison ou le soleil s'abaisse très-peu la nuit au-dessous de l'horizon, elle en prolonge considérablement la durée.

Cette durée, ainsi qu'on le voit facilement, est donc déterminée par le temps que le soleil emploie à s'abaisser depuis l'horizon jusqu'à un cercle situé à 18° au-dessous de celui-ci, et que l'on appelle cercle crépusculaire. Aussi, quand le soleil ne s'abaisse pas de 18°, le crépuscule dure toute la nuit. C'est ce qui a lieu à Paris vers le solstice d'été, époque du plus long crépuscule pour toutes les latitudes boréales. Mais il n'est pas aussi facile de déterminer le jour de sa plus courte durée, c'est-àdire celui où le soleil franchit, dans le moins de temps possible, l'intervalle de 18° qui sépare l'horizon et le cercie crépusculaire. Le calcul montre que pour Paris cette condition est remplie à deux époques, le 2 mars et le 10 octobre. Le crépuscule le plus court de tous est alors de 1 heure 47'; il est seulement de 1 heure 12' à l'équateur, au temps des équinoxes, comme nous l'avons déjà dit.

La transparence plus ou moins grande de l'air, dans des lieux fort éloignés, influe beaucoup sur l'éclat et sur la durée d'un phénomène qui consiste dans une illumination perceptible des plus hautes parties de l'atmosphère. Une chaîne de montagnes très-élevées, dirigée nord et sud, modifierait évidemment les crépuscules d'une région qui en serait éloignée de plusieurs degrés en longitude; mais, à l'exception du problème du plus court crépuscule, toutes ces conséquences et les faits qui s'y rattachent ont été jusqu'ici très-peu étudiés, soit par la théorie, soit par l'observation.

Les crépuscules du matin et du soir, mais surtout l'aurore, nous offrent, étendues sur une immense toile, des couleurs dont l'éclat égale la variété. Le rouge et les couleurs les moins réfrangibles y sont les plus voisines de l'horizon. L'explication de cette partie du phénomène manque complétement à la science. Quant à la vivacité plus grande des couleurs de l'aurore, on peut remarquer, d'une part, que cette lumière succède à l'obscurité, et doit en conséquence produire plus d'effet sur nos organes; et de l'autre, que l'atmosphère du matin n'est point chargée, comme celle du soir, de toutes les vapeurs que la chaleur du jour y élève constamment, et surtout qu'elle n'est point, comme celle-ci, troublée par le mélange confus de masses d'air d'inégale température et par suite d'inégales densités, qui éteignent ou réfléchissent une grande quantité de la lumière qui les traverse.

Les anciens ont observé avec soin plusieurs effets crépusculaires, sous les noms de lever héliaque des étoiles, arc d'émersion des planètes et des étoiles les plus brillantes.

Nous terminerons en rappelant à ceux qui voudraient se livrer à l'opservation de ces phénomènes, sur lesquels il n'existe presque aucun travail antérieur, que l'instant où le crépuscule atteint ou abandonne un point déterminé est celui où les plus petites étoiles de cette partie du ciel disparaissent ou reparaissent. Alors la lumière de ces astres est environ soixante fois plus faible que la lumière qui l'efface; car un soixantième de plus ou de moins n'est pas sensible à nos yeux. Quant aux diverses couleurs et à leur éclat, on sait encore qu'on ne peut percevoir des rapports d'intensité que pour deux couleurs de même nature. Ici, les expériences et la théorie, tout est à créer.

J. B.

CRESCENDO. (Musique.) Mot italien qui si gnifie en croissant en augmentant. Le crescendo consiste à attaquer un son très-faiblement d'abord, à le filer un peu plus fort ensuite, et à le graduer jusqu'au point le plus haut; filé de la sorte il est d'un très-bel effet, et souvent employé dans les morceaux d'ensemble, mais plus souvent encore dans les solos, où l'artiste laisse briller son talent. Ce mot, comme tous les autres termes italiens qu'on emploie en musique, s'écrit en abréviation par cres., sous la phrase à laquelle le compositeur veut l'appliquer, pour la graduer comme nous l'avons dit plus haut. Le premier compositeur qui se servit en France de ce moyen fut, en 1752, Pierre Montant Berton, dans la Chaconne, morceau célèbre à cette époque.

On distingue deux sortes de crescendo: celui qui se produit par l'augmentation des sons, et celui qui est formé par la multiplicité graduante des voix ou des instruments.

H. BERTON.

CRÉTACÉ. (Géologie.) Qui a l'apparence de la craie. On appelle terrain crétacé l'ensemble de toutes les roches comprises entre la partie inférieure du terrain tertiaire et la partie supérieure du terrain jurassique, ou mieux, d'après les récentes observations de M. Leymerie (1), entre le terrain nummulitique, qu'il croit devoir être séparé du terrain tertiaire, et la partie supérieure du terrain jarassique.

Le terrain crétacé est ordinairement caractérisé par ses roches, craie blanche, craie tuffeau, glauconie crayeuse; mais quelquefois cependant, en Italie, au midi de la France, celles-ci sont remplacées par des calcaires compactes, solides, que l'on a confondus pendant longtemps avec les calcaires jurassiques. Ces diverses espèces de roches renferment ordinairement beaucoup de silex pyromaques et

(1) Bulletin de la Société Géologique, ge série, tome lil.

cornés, en nodules, en plaques et en veines; du fer pyriteux, en nodules et en cylindres rayonnés, et une quantité de restes organiques parmi lesquels dominent les échinites et les polypiers.

On peut faire un grand nombre de divisions dans le terrain crétacé d'après la nature des roches qui s'y rencontrent; mais les géologues groupent maintenant ces roches en trois grands étages, supérieur, moyen et inférieur, dont chacun paraît avoir des caractères paléontologiques tranchés. Ces trois étages sont plus ou moins bien développés dans la ceinture crétacée qui entoure le bassin de Paris, et qui s'étend, au nord, jusqu'à SaintQuentin; au sud, jusqu'à Montargis; à l'est, jusqu'à Épernay; et à l'ouest, jusqu'à Lou

viers.

1o L'étage supérieur commence par une assise peu développée dans le bassin de Paris : c'est un tuffeau jaunâtre dont le type est à Maëstricht, dans les Pays-Bas, où il renferme une quantité de fossiles, dont quelques-uns lui sont propres, tandis que les autres appartiennent également aux étages moyen et inférieur. Dans le Hainaut, le tuffeau repose immédiatement sur la craie blanche, celle qui forme le sol aride de la Champagne, où elle se présente à nu sur une grande étendue de pays. Cette roche tendre et même souvent friable est propre à faire du crayon blanc, du blanc pour la peinture, de la chaux pure, etc.; elle renferme une quantité de silex pyromaque que l'on exploite comme pierres à feu. La craie blanche passe au calcaire cristallin, au calcaire compacte; elle se colore en jaune par son mélange avec l'oxyde de fer; sa stratification est peu régulière. Les couches inférieures de cet étage se chargent ordinairement de grains verts d'argile et de sable, et passent au tuffeau, qui est la roche dominante en Touraine. Sur les deux rives de la Loire, cette roche est si tendre, que les gens du pays y ont creusé leurs habitations, ce qui donne aux berges du fleuve un aspect riant et pittoresque. Le tuffeau de la Touraine renferme beaucoup de silex blonds; quelques couches sont assez solides pour donner de bonnes pierres de construction, du moellon et de la pierre de taille; mais un plus grand nombre sont friables et exploitées pour amender les terres.

Dans le Perche et le Maine, les sables prédominent, contiennent des oxydes de fer, et passent à des macignos ferrugineux, qui englobent des cailloux quartzeux et forment ainsi des poudingues. La position de ces dépôts au-dessous de la craie blanche les avait fait ranger dans les étages suivants; mais d'après leurs caractères paléontologiques, M. d'Orbigny a cru devoir les réunir à l'étage supérieur, en en

faisant une subdivision sous le nom de terrain turonien.

2o L'étage moyen a pour roche dominante une marne argileuse bleuâtre, gault des Anglais, qui a pris un grand développement dans le Boulonnais et dans le pays de Bray, mais qui paraît avoir peu d'importance dans le bassin de Paris. Cette marne est exploitée pour la poterie et la fabrication des tuiles; elle contient des pyrites, du gypse, des oxydes de fer; elle est accompagnée de sables et de grès qui la remplacent quelquefois : ces grès, colorés en vert par du fer silicate, sont connus sous le nom de grès verts. Les grès verts sont bien stratifiés; mais la marne et les sables présentent ordinairement des masses sans structure régulière; cet étage renferme une quantité de restes organiques.

3o Dans une grande étendue de la France et dans la Suisse, la partie inférieure du terrain crétacé, celle qui recouvre immédiatement le terrain jurassique, présente quatre systèmes particuliers: 1° d'argiles et de sables bigarrés; 2° d'argiles à huîtres et lumachelles; 3° des calcaires à spatangues; 4° des sables ferrugineux très-développés aux environs de Vassy.

Cette masse, qui a été signalée pour la première fois dans les environs de Neuchâtel, en Suisse, et qui est parfaitement développée dans toute la chaîne du Jura, porte le nom de terrains neocomiens.

Les argiles et les sables bigarrés, qui présentent un singulièr mélange de couleurs, sont accompagnés de grès, d'ocres, de limonites, de sanguine, de jaspe et de minéraux de fer oolithiques. Toutes ces substances passent les unes aux autres, et plusieurs sont assez abondantes pour être exploitées. Les argiles ostréennes sont reconnaissables à leur couleur grise, et aux plaques de lumachelle disséminées dans leur intérieur et à de grandes hauteurs. Les calcaires à spatangues sont ainsi nommés parce qu'ils renferment une quantité de spatangus retusus. La roche est souvent jaunâtre, mélangée de sables et d'argile, et d'une texture lâche; mais souvent aussi c'est un calcaire compacte très-solide, exploité pour les constructions et la fabrication de la chaux ; il donne quelquefois de la chaux hy draulique. Les argiles ou marnes qui accompagnent les calcaires reposent sur des sables souvent ferrugineux, accompagnés de grès, et qui contiennent des géodes de limonite, assez abondantes pour être exploitées comme minerais de fer. Les sables ferrugineux sont ordinairement séparés du calcaire jurassique par un lit de marne noirâtre.

Dans le Boulonnais et dans les îles Britanniques, le terrain néocomien paraît être représenté par une masse weald composée de

marnes argileuses, de sables ferrugineux et de calcaires remplis de coquilles d'eau douce, avec de puissants et nombreux débris de végétaux. Les marnes sont grises ou bleuâtres, schistoïdes, et deviennent sableuses dans les parties inférieures, où elles renferment des lits de calcaire lumachesse; les sables ferrugineux passent au grès et au macigno, et renferment égale. ment des lits de lumachesse. Le calcaire est ordinairement assez solide pour être employé comme marbre et comme pierre à bâtir, et en partie composé de fragments de coquilles de mêmes espèces que celles des argiles; c'est la pierre de pierbeck, Purbecklimestone: c'est sensiblement la même roche que celle des lits intercalés dans le Weald clay et les Hastings sand.

Les restes organiques du terrain crétacé sont tellement nombreux, que nous ne pouvons citer ici que les plus caractéristiques de chaque étage. Ceux qui voudront en connaître un plus grand nombre doivent recourir à la Paléontologie française de M. d'Orbigny. Nous citerons les espèces suivantes :

Dans le tuffeau de Maëstricht:

Baculites anceps, Dentalium crassum, Lima obliqua, Exogira auricularis, Gryphæa cymbiola, Ostrea carinata, Cidarites coronatus, Nucleolites carinata, Ananchites conoïdeus;

Dans la craie blanche :

Belemnitella mucronata, Hamites simplex, Catillus Cuvieri, Ostrea vesicularis, Ananchites ovata, Spatangus caranguiпит, Apiocrinites ellipticus, etc.;

Dans le tuffeau de la Touraine :

Belemnitella Galliennei, Nautilus levigatus, Ananchites beaumontianus, Nerinea monolifera, Rotella archiacana, Turbo bicultratus, Cerithium gallicum, Gryphæa columba, Crania parisiensis, Radiolites cornupastoris, Nucleolites carinatus, Apiocrinites ellipticus, etc.;

Dans l'étage moyen, ou Gault :

Belemnites minus, Nautilites Clementi, Ammonites Beudanti, Hamites punctatus, Scalaria clementina, Solarium albense, Dentalium decussatum, Cyrena cardiformis, Venericardia Constanti.

Le terrain néocomien est caractérisé par les fossiles suivants :

Spatangus retusus, Nucleolites Alfersii, Discoidea macropiga, Exogira Couloni, Ostrea Leymerii, Ammonites radiatus, Belemnites Baudouini, Turritella angulata, etc.; avec ces coquilles on y rencontre des débris de sauriens, de poissons et de crustacés.

Les coquilles du terrain wealdien sont : Paludina fluviorum, Unio porrectus, Cyclas media;

Les poissons: Picnodus microdon, Psammodus reticulatus; les végétaux, des Andogenites et des Sphænopteris; on y cite enfin des débris de sauriens, Phytosaurus, Plesiosaurus, Pterodactylus, et des tortues, Emyde et Trionyx.

La puissance du terrain crétacé est très-considérable : il paraît que dans l'Algérie, où il forme une grande partie du sol, elle atteint plusieurs milliers de mètres.

Les diverses substances métalliques que nous avons citées dans chaque étage sont souvent exploitées : les silex, pour faire des pierres à fusil et à briquet; le minerai de fer, pour les forges; les ocres, pour la peinture; le fer pyriteux, pour en retirer le soufre; la craie blanche, pour faire de la couleur blanche et du crayon blanc. Les roches solides, calcaires, grès, macignos, fournissent de la pierre à chaux, des pierres de construction, et des matériaux pour charger les routes. Des masses de gypse et de sel gemme, exploitées dans les Pyrénées, sont intercalées dans le terrain crétacé. Une grande partie des mines de l'Italie et de l'Algérie paraissent appartenir à ce terrain. De l'autre côté des Alpes, il est traversé par de superbes dykes d'ophiolithe, qui donnent les mar. bres verts employés dans les arts. Dans la Touraine, la craie est recouverte d'une couche argileuse qni ne contient point de calcaire. En perçant cette couche par des trous, on arrive au calcaire, qui donne une excellente marne, au moyen de laquelle on rend fertile la couche argileuse. Les trous percés pour cet usage ne reti enuent point les eaux pluviales, qui sont rapidement absorbées par la marne du fond; on a donc ainsi un moyen de se débarrasser des eaux superficielles, qui perdent quelquefois les récoltes.

Le terrain crétacé a pris un très-grand développement en Europe, surtout en France et en Angleterre : les côtes opposées de ces deux pays en sont presque entièrement formées; et, dans la Manche, on remarque de chaque côté une identité frappante; ce qui a fait dire à quelques observateurs que l'Angleterre et la France avaient été anciennement réunies. On trouve ce terrain dans le Nord, dans le Dane. mark et dans la Scanie, d'où il s'étend jusque dans la Pomeranie et la Suède ; il forme le sol des grandes plaines de la Pologne, d'où il s'étend jusque dans la Russie méridionale; on le retrouve dans la Crimée, dans le pays des Cosaques du Don. Le terrain crétacé est très développé dans les Alpes et dans les Apennins, où il présente des caractères fort singuliers; de l'autre côté de la Méditerranée, il constitue une grande partie des chaînes et des rameaux de l'Atlas, depuis l'Égypte jusqu'au détroit de Gibraltar, et passe de là en Espagne, d'où il se prolonge sur les deux versants des Pyrénées,

etc. Depuis dix ans on a rapporté au terrain crétacé un grand nombre de couches que l'on rangeait auparavant dans le terrain jurassique

Dufrénoy, Sur les caractères particuliers du terrain crétacé dans le Sud de la France. D'Archiac, Sur le terrain crétacé du Sud de la France, etc.

E. de Beaumont et Dufrénoy, Explication de la carte géologique de France, t. II.

ROZET.

CRÈTE. (Géographie et Histoire.) Cette île est appelée par les Turcs Icriti, et par les géographes modernes, Candie.

Elle est située dans la Méditerranée orientale, et ferme, au sud, la mer de l'Archipel, qui ne communique avec le reste de la Méditerranée que par le détroit de Scarpanto, au sud-est, et par celui de Cérigo,au sud-ouest. Ces deux détroits sont situés, le premier entre la Morée et Candie, le second entre l'Asie-Mineure et la même île.

Par sa situation entre Malte et Alexandrie, Candie est l'étape naturelle pour la navigation entre Gibraltar, Marseille, Trieste et l'Égypte. C'est une position centrale et dominante qui commande, comme on le voit sur la carte, la route de Malte en Égypte, et les communications de l'Archipel avec la Méditerranée orientale. Aristote avait donc raison de dire que jamais situation ne fut plus favorable que celle de la Crète pour établir un grand empire.

La longueur de la Crète est de 60 lieues, sa largeur de 15; sa superficie de 500 lieues carrées.

La côte nord est découpée par de nombreux golfes qui renferment de bons ports; la côte sud, au contraire, est droite, à pic, très-élevée, et n'offre aucun lieu de relâche; elle est inabordable.

Candie est une haute terre, traversée, de l'ouest à l'est, par une chaîne de montagnes calcaires, âpres, remplies de défilés et de gorges boisées.

Dans l'ouest, ces montagnes s'appellent les montagnes Blanches ou monts Sphakiottici. Cette partie de la chaîne est la plus âpre et la plus difficile; elle est habitée par les Sphakiotes, belliqueuse peuplade de pasteurs, que l'on s'accorde avec raison à regarder comme les descendants des anciens Crétois. Les Sphakiotes forment une petite république, indépendante, quoiqu'elle paye le tribut aux Turcs.

Dans le centre de l'île sont les monts Psiloriti ou mont Ida ( 2,500 m.): c'est le point culminant de la Crète; ces montagnes sont habitées par les Abadiotes (voyez ce mot). C'est dans les monts Psiloriti, au pied même du mont Ida, que se trouve le Labyrinthe, lequel n'est autre chose qu'une suite de cavernes

naturelles, comme on en trouve souvent dans les terrains calcaires (1). Mais est-ce bien là le labyrinthe antique?

Enfin, dans l'est, les montagnes s'appellent les monts Lassiti.

L'ile de Candie n'a pas de rivières proprement dites, mais elle est arrosée par de nombreux torrents et surtout par un grand nombre de sources. Son climat est salubre, l'air y est bon.

Le sol, pierreux, est peu favorable aux céréales; mais il produit en abondance le lin, le coton, le tabac, l'huile, d'excellents fruits, du vin; la canne à sucre y vient bien; on y récolte encore de la soie, du miel, etc.; cette fertilité lui valut dans l'antiquité l'épithète d'ile des Bienheureux ( vñoog μaxápwv); Virgile l'appelle Terra uberrima.

Mais le despotisme des Turcs a flétri et desséché cette terre si riche et si productive; les terres sont, sur un grand nombre de points, abandonnées à la stérilité, et la population est à peine de 250,000 habitants, moitié Turcs, moitié Grecs.

Les villes principales sont : CANDIE, capitale de l'île : c'est l'ancienne Cnosse; La Canée (Cydonia); Rhetymo (Rhétymne); La Sude, et Spina-Longa. Ces deux dernières villes ont d'excellents ports.

Les premiers habitants connus de la Crète sont appelés Étéocrètes et Cydoniens: on ne sait à quelle race ils appartenaient. Des Pélasges, chassés de la Grèce, se réfugiérent en Crète et se mélangèrent avec les Étéocrètes. Il y vint aussi, mais plus tard, des colons Achéens et Doriens. Ces derniers paraissent avoir eu sur la population de l'île une puissante influence; car leur idiome y prévalut.

Ces populations étaient encore barbares lorsque des Dactyles de Phrygie vinrent s'établir dans le pays, où ils prirent le nom de Curètes (15° siècle av. J. C.). Les Dactyles civilisèrent les Pélasges crétois, leur donnèrent des lois, et leur firent connaitre les dieux de la Phrygie. La Crète devint alors un foyer puissant de civilisation, comme la Thrace, également civilisée par des Dactyles phrygiens; et ce fut de ces deux contrées que la Grèce reçut, à ces époques reculées, sa religion et sa civilisation.

Deux siècles après (vers 1300 av. J. C.), un Curète, Minos, s'empara de la souveraineté de l'île tout entière, et lui donna des lois. Il avait vécu pendant neuf ans sur le mont Ida, où Jupiter lui avait dicté les Rhètres dont ces lois se composaient. La législation des Crétois devint plus tard très-célèbre, et Lycurgue la prit pour modèle. Mais il est bien difficile au

(1) Voy. le plan du labyrinthe dans l'ouvrage de Math. Dumas, Souvenirs, etc., t. i.

jourd'hui de démêler, dans ce qui nous en reste, ce qui est dû aux traditions des Dactyles et aux anciennes coutumes des Doriens, ce qui est l'œuvre de Minos et ce qui a été fait dans les temps postérieurs à ce roi. Minos rendit la Crète très-puissante sur la mer; il équipa une flotte, détruisit la piraterie exercée par les Grecs dans la mer Égée, soumit les Athéniens à un tribut, et s'empara des Cyclades.

A Minos succédèrent plusieurs rois, tels que Rhadamante, son frère, et Idoménée, qui conduisit les Crétois au siége de Troie. Étéarque, vers l'an 800, fut le dernier de ces princes.

La royauté fut abolie à la mort d'Éléarque; la Crète suivit le mouvement qui transformait toutes les monarchies des peuples doriens de la Grèce en aristocraties; elle organisa chez elle le gouvernement aristocratique; l'unité crétoise établie par Minos se brisa; chaque grande ville (Cnosse, Cydonie, Gortyne) devint une république particulière; et bientôt ces diverses villes furent en guerre l'une con. tre l'autre. Pour mettre un terme à l'anarchie, on chargea Onomacrite de faire de nouvelles lois, qui furent adoptées par les grandes cités de l'île.

Chacune avait son sénat (yepovoía), à la tête duquel étaient dix inspecteurs ou cosmes (xóoμo:). Les cosmes étaient nommés annuellement; ils avaient le commandement des armées; ils étaient aussi chargés des ambassades. L'un d'eux était éponyme, et son nom paraissait, en conséquence, en tête des actes publics. Le sénat, composé d'anciens cosmes, faisait les lois, et était dépositaire de toute l'autorité. Les sénateurs étaient à vie, et ne rendaient de comptes à personne.

L'assemblée du peuple n'avait d'autre pouvoir que celui de confirmer ce que les cosmes et les sénateurs avaient résolu. Ce droit de suffrage, absolument illusoire, faisait du gouvernement crélois une pure aristocratie.

Un cosme ou sénateur était-il accusé d'abus d'autorité, ses collègues, ou même de simples citoyens, excitaient une sédition pour le renverser et le bannir. Montesquieu remarque avec raison, à ce sujet, qu'une institution pareille, qui établissait la sédition pour empêcher l'abus du pouvoir, semblait devoir renverser quelque république que ce fût, qu'elle ne détruisit point celle de Crète.

et

Le peuple de la Crète était partagé en deux classes: l'une était vouée au service militaire, et l'autre à la culture des terres. Cette dernière classe, celle des periæques, espèce de serfs, était réduite à une dure condition. Venaient enfin les esclaves (mnètes), traités avec beaucoup de modération.

Les lois de la Crète étaient faites dans le but

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