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impuissance d'agir comme Causes véritables, cette impuissance n'est pas de leur nature.

Au contraire, ce sera de leur impénétrabilité, qui est inséparable de leur nature, que viendra cette action qui les rendra Causes véritables.

Ainsi, je crois que nonobstant la subtilité de la réponse que nous avons imaginée, notre preuve subsiste dans toute sa force.

CHAPITRE IV.

Qu'il semble que, dans le Système des Causes occasionnelles, Dieu n'agit pas simplement.

Le défaut des Cartésiens n'est pas assurément de se servir d'idées confuses; ils ne recommandent rien davantage que de les éviter, et ils se piquent extrêmement de le faire : cependant je doute qu'ils aient assez bien éclairci celles que nous avons sur la simplicité des actions de Dieu. Je tâcherai à mettre le plus de clarté que je pourrai dans une chose qui paraît assez claire à ceux qui y pensent peu, mais qui ne l'est peut-être pas assez jusqu'à présent pour ceux qui pensent bien. Dieu a des desseins, et il les exécute.

La sagesse d'un dessein consiste dans les raisons qui le font entreprendre, et dans les fins qu'on se propose. Pourquoi Dieu a-t-il voulu créer le monde tel qu'il est? nous n'en savons rien. On a beau dire que ç'a été pour sa gloire : il revenait à Dieu la même gloire d'un monde purement possible; car ce qui n'est que possible est aussi présent à Dieu, et fait le même effet à son égard que ce qui existe. Supposons donc dans le dessein de Dieu une sagesse infinie, mais ne songeons pas à la pé

nétrer. Les vues de Dieu ne sont pas de nature à tomber dans l'esprit humain.

Quant à ce qui regarde la simplicité, nous voyons que celle de ce dessein n'est pas la plus grande qui soit possible; car il eût fallu que Dieu n'eût fait que diviser la matière en parties égales, et leur imprimer à toutes un mouvement égal qui eût toujours duré. Ainsi nous croyons, sans le voir, que ce dessein de Dieu a été très sage, et nous voyons qu'il n'est pas très simple. Mais il est indubitable que l'exécution de ce dessein a dû être en même temps aussi sage et aussi simple qu'il a été possible.

La sagesse de l'exécution consiste à exécuter son dessein pleinement.

La simplicité, à y employer le moins d'action et le moins de diversité dans l'action qu'il se puisse ; enfin, rien qui ne soit absolument nécessaire pour une exécution entière et pleine.

Ici, il se présente deux remarques à faire.

1°. Que la sagesse de l'exécution nous donne une idée de la sagesse du dessein, non en soi, mais en tant qu'il a rapport à l'exécution: car, comme l'exécution est sage lorsque le dessein est exécuté pleinement, le dessein n'est sage que lorsqu'il peut être exécuté pleinement.

2o. Que la sagesse de l'exécution marche avant la simplicité; c'est-à-dire, qu'il faut d'abord exécuter son dessein pleinement, ensuite avec le moins d'action et le moins de diversité dans l'action qu'il se puisse.

Ce point est fort important, parce qu'il me semble que c'est là que le plus grand génie de ce siècle s'est toujours mépris.

Il dit que l'ordre de l'univers n'est pas en soi le plus

parfait qui puisse être; que les moyens n'y sont pas toujours exactement proportionnés aux fins qu'on a lieu de croire que Dieu s'est proposées; que, par exemple, Dieu n'a intention de faire que des animaux parfaits, qu'il vient pourtant des monstres; que Dieu envoie les pluies pour fertiliser les terres, que quelquefois cependant les pluies rendent les terres stériles, etc. Mais cet auteur prétend que cet ordre est le plus parfait qui puisse être par rapport à la simplicité des lois sur lesquelles il roule; c'est-à-dire, en un mot, que pour le rendre plus parfait en soi, pour faire que les moyens y fussent plus exactement proportionnés aux fins, il eût fallu le faire plus composé : mais qu'en le faisant aussi simple qu'il est, il n'a jamais pu être mieux. Or, il fallait absolument que Dieu agît d'une manière très simple.

Ou je me trompe fort, ou je vois un sophisme perpétuel caché sous toute cette idée.

Si je veux faire une machine qui sonne les heures juste, et qu'il faille pour cela y mettre dix roues, je les y mettrai toutes dix. Mais en n'y en mettant que cinq, elle serait plus simple? Il est vrai, mais elle ne sonnerait pas les heures juste: Mon dessein n'est pas de faire une machine simple, mais une machine qui sonne les heures juste, la plus simple qu'il se puisse. Je me garderai bien d'y mettre plus de roues qu'il n'en faut, et en cela consistera la simplicité de mon exécution; mais j'y en mettrai autant qu'il en faut pour exécuter pleinement mon dessein.

Selon l'idée que je combats ici, on a fait le monde imparfait, pour le faire simple. Il fallait le faire parfait, et puis le plus simple qu'il eût été possible.

On dit que, quoique les monstres ne soient pas du dessein de Dieu, la simplicité des lois que Dieu a établies, et qu'il n'a pas pu établir moins simples, les fait naître.

Cela veut dire proprement que le dessein de Dieu n'a pas été sage; car, il n'a pu être pleinement exécuté, puisqu'il n'a pu être exécuté que d'une manière qui faisait entrer les monstres dans l'ouvrage de Dieu, quoiqu'ils ne fussent pas du dessein. Or, une exécution pleine, non-seulement comprend tout ce qui est dans le dessein, mais exclut tout ce qui n'en est point. Il est aussi vicieux de faire trop que trop peu; et puis, si vous me dites que la simplicité des lois a fait faire à Dieu plus que ce qui était de son dessein, je suis en droit de croire qu'elle lui a fait faire moins, quoique je ne puisse pas vous montrer ce moins qui n'est point, comme vous prétendez me montrer ce plus qui est.

Et voyez quelle bizarrerie et quelle contrariété cela met dans la nature de Dieu. Il est très sage, et doit exécuter son dessein pleinement; il est très simple, il doit l'exécuter simplement : mais il ne peut l'exécuter pleinement et simplement en même temps; sa sagesse et sa simplicité se combattent; il faut qu'il relâche de l'exécution pleine de son dessein, pour donner ce qui est dû à la simplicité.

Il y aurait bien plus de sujet de croire qu'il relâcherait de la simplicité, ou que même il y renoncerait entièrement, plutôt que de laisser imparfaite l'exécution de son dessein. Car enfin, il vaut mieux se servir de moyens imparfaits, que de manquer quelquefois sa fin; et la simplicité de l'action n'est qu'une manière

d'exécution, préférable, à la vérité, quand elle se rencontre, mais non pas digne d'être recherchée aux dépens d'une exécution pleine et entière.

Cela est si vrai, que le P. Malebranche convient que Dieu sort quelquefois de la simplicité de son action, et agit par des voies extraordinaires, quand l'ordre le demande. Qu'est-ce que cet ordre? c'est la sagesse de ses desseins. Il préfère donc, en ces cas là, l'exécution pleine et entière de ses desseins, à la simplicité de l'exécution. Il en devrait toujours faire autant; l'ordre demande toujours la même chose. Je voudrais bien savoir pourquoi en d'autres cas, comme dans celui des monstres, Dieu préférera la simplicité de l'exécution à l'exécution pleine et entière de son dessein. Il est toujours sûr que c'est un système assez bigarré que celui où tantôt la sagesse de Dieu l'emporte sur la simplicité, tantôt la simplicité l'emporte sur sa sagesse.

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Dans le combat de ces deux attributs par rapport à l'exécution du dessein, la sagesse devrait toujours l'emporter mais il vaut encore mieux qu'il n'y ait point de combat. Je crois que, s'il le fallait, j'exposerais un ordre physique, car je n'entends parler que de celui-là, où non-seulement vous ne trouveriez pas que celle de deux choses qui ne doit point être subordonnée à l'autre, lui fût subordonnée, et gênée, pour ainsi dire, par elle, mais même où vous ne trouveriez aucune des deux subordonnée à l'autre. Chacune aurait son étendue aussi entière et aussi absolue que si elle n'avait point à s'ajuster avec l'autre vous verriez l'exécution du dessein de Dieu aussi pleine que si elle n'était nullement simple, et aussi simple que si elle était fort éloignée d'être pleine. En effet, cela paraît convenir

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