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AVERTISSEMENT

De l'Auteur sur la troisième édition des Dialogues des Morts, 1683.

PREMIÈRE PARTIE.

Le succès de ce petit ouvrage m'a déterminé à finir d'autres Dialogues des Morts de la même nature que ceux-ci, et dont j'avais déjà quelques ébauches. J'ai trouvé tout le monde persuadé que la matière n'était pas épuisée, et qu'elle pouvait encore me fournir sans peine autant qu'elle m'a fourni. J'ai pris du temps pour la seconde partie, afin de tâcher à la rendre plus correcte. L'indulgence du public pour la première, m'a donné presque autant de crainte que de courage.

DEUXIÈME PARTIE.

L'impression de cette seconde partie des Dialogues des Morts, a été retardée par diverses rencontres, dont le détail serait fort indifférent au public. J'ai suivi le dessein de la première partie, et même l'ordre des trois espèces de Dialogues. Le premier tome a été si heureux que, quoique je souhaite plus de mérite à celui-ci, pour me rendre digne de l'indulgence qu'on a eue pour moi, je ne lui souhaite pas plus de bonheur. Il pourra en avoir beaucoup moins, et être encore traité assez favorablement. Je n'y ai rien négligé, ni pour le choix des matières, ni pour celui des traits d'histoire, ni pour celui des personnages, ni pour la diction. On m'avait reproché qu'elle était négligée ; j'ai tâché à me

corriger de ce défaut, autant que me l'a pu permettre l'ex-
trême naïveté dont le Dialogue doit être. Quelques per-
sonnes, mais peu, ce me semble, avaient dit que les assor-
timens des personnages étaient quelquefois trop bizarres,
celui d'Auguste et d'Arétin, par exemple. J'avoue que je
n'ai pas remédié à cela; mais je prie ceux qui ont fait cette
critique, de vouloir bien considérer que souvent tout l'a-
grément d'un Dialogue, s'il y en a, consiste dans la bizar-
rerie de cet assortiment; qu'elle donne moyen d'offrir à l'es-
prit des rapports qu'il n'avait peut-être pas aperçus, et qui
aboutissent toujours à quelque moralité; que j'ai Lucien
pour modèle et pour garant, et qu'enfin tout le monde se
rencontre dans les Champs Elysées. Ce n'est pas que je n'aie
mis quelquefois ensemble des personnages assez semblables,
mais encore a-t-il fallu faire naître entre eux des oppositions;
il faut toujours du contraste, comme disent les peintres.
J'ai prétendu garder les caractères}, je ne sais si je l'ai fait.
Il y en a de certains.qui ne sont point marqués dans l'his-
toire par aucun trait considérable; j'ai usé de ceux-là selon le
besoin que j'en ai eu; mais je me suis assujéti aux autres. A
cela près que tous mes morts sont un peu raisonneurs, et qu'ils
savent des choses qu'ils n'ont pu apprendre que dans la con-
versation d'autres morts, je crois qu'on les peut reconnaître
pour ce qu'ils étaient pendant leur vie. S'ils ont changé de
sentimens après leur mort, on en est instruit
par eux-mêmes.
Raphaël d'Urbin, qui était un grand peintre, parle ici d'au-
tre chose que de peinture; mais beaucoup d'habiles gens
m'ont assuré qu'ils en avaient encore conçu une plus
grande idée que celle d'un grand peintre, et qu'il n'y avait
rien de trop élevé, pour être mis dans la bouche de Ra-
phaël d'Urbin. Le public m'apprendra, ou excusera mes
fautes mieux que personne.

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AUX CHAMPS ÉLYSIENS.

ILLUSTRE MORT,

Il est bien juste, qu'après avoir pris une idée qui vous appartient, je vous en rende quelque sorte d'hommage. L'auteur dont on a tiré le plus de secours dans un livre, est le vrai héros de l'épître dédicatoire; c'est lui dont on peut publier les louanges avec sincérité, et.qu'on doit choisir pour protecteur. Peut-être on trouvera que j'ai été bien hardi d'avoir osé travailler sur votre plan; mais il me semble que je l'eusse été encore davantage, si j'eusse travaillé sur un plan de mon imagination. J'ai quelque lieu d'espérer que le dessein qui est de vous, fera passer les choses qui sont de moi ; et j'ose vous dire, que si par hasard mes Dialogues avaient un peu de succès, ils vous feraient plus d'honneur que les vôtres mêmes ne vous en ont fait, puisqu'on verrait que cette idée est assez agréable pour n'avoir pas besoin d'être bien exécutée. J'ai fait tant de fond sur elle, que j'ai cru qu'une partie m'en pourrait suffire. J'ai supprimé Pluton,

TOM. III.

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Caron, Cerbère, et tout ce qui est usé dans les enfers. Que je suis fâché que vous ayez épuisé toutes ces belles matières de l'égalité des morts, du regret qu'ils ont à la vie, de la fausse fermeté que les philosophes affectent de faire paraître en mourant, du ridicule malheur de ces jeunes gens qui meurent avant les vieillards dont ils croyaient hériter, et à qui ils faisaient la cour! Mais après tout, puisque vous aviez inventé ce dessein, il était raisonnable que vous en prissiez ce qu'il y avait de plus beau. Du moins j'ai tâché de vous imiter dans la fin que vous vous étiez proposée. Tous vos dialogues renferment leur morale, et j'ai fait moraliser tous mes morts: autrement ce n'eût pas été la peine de les faire parler; des vivaus auraient suffi pour dire des choses inutiles: de plus, il y a cela de commode, qu'on peut supposer que les morts sont gens de grande réflexion, tant à cause de leur expérience que de leur loisir; et on doit croire, pour leur honneur, qu'ils pensent un peu plus qu'on ne fait d'ordinaire pendant la vie. Ils raisonnent mieux que nous des choses d'ici haut, parce qu'ils les regardent avec plus d'indifférence et plus de tranquillité, et ils veulent bien en raisonner, parce qu'ils y prennent un reste d'intérêt. Vous avez fait la plupart de leurs dialogues si courts, qu'il paraît que vous n'avez pas cru qu'ils fussent de grands parleurs, et je suis entré aisément dans votre pensée. Comme les morts ont bien de l'esprit, ils doivent voir bientôt le bout

de toutes les matières. Je croirais même sans peine qu'ils devraient être assez éclairés pour convenir de tout les uns avec les autres, et par conséquent pour ne se parler presque jamais : car il me semble qu'il n'appartient de disputer qu'à nous autres ignorans, qui ne découvrons pas la vérité; de même qu'il n'appartient qu'à des aveugles, qui ne voient pas le but où ils vont, de. s'entre-heurter dans un chemin. Mais on ne pourrait pas se persuader ici que les morts eussent changé de caractère, jusqu'au point de n'avoir plus de sentimens opposés. Quand on a une fois conçu dans le monde une opinion des gens, on n'en saurait revenir. Ainsi je me suis attaché à rendre les morts reconnaissables, du moins ceux qui sont fort connus. Vous n'avez pas fait de difficulté d'en supposer quelques uns, et peut-être aussi quelques unes des aventures que vous leur attribuez; mais je n'ai pas eu besoin de privilége. L'histoire me fournissait assez de véritables morts, et d'aventures véritables, pour me dispenser d'emprunter aucun secours de la fiction. Vous ne serez pas surpris que les morts parlent de ce qui s'est passé long-temps après eux, vous qui les voyez tous les jours s'entretenir des affaires les uns des autres. Je suis sûr qu'à l'heure qu'il est, vous connaissez la France par une infinité de rapports qu'on vous en a faits, et que vous savez qu'elle est aujourd'hui pour les lettres, ce que la Grèce était autrefois; surtout votre illustre traducteur, qui vous a si bien fait parler notre langue, n'aura

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