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plus souvent sur des peaux de victimes, qui pouvaient avoir été frottées de quelque drogue qui fit son effet sur le cerveau.

Quand c'étaient les prêtres qui, en dormant sur les billets cachetés, avaient eux-mêmes les songes prophétiques, il est clair, que la chose est encore plus aisée à expliquer. En vérité, il y avait du superflu dans les soins que prenaient les prêtres païens pour cacher leurs impostures. Si on était assez crédule et assez stupide pour se contenter de leurs songes, et pour y ajouter foi, il n'était pas besoin qu'ils laissassent aux autres la liberté d'en avoir; ils pouvaient se réserver ce droit à eux seuls, sans qu'on y eût trouvé à redire. De la manière dont ces peuples étaient faits, c'était leur faire trop d'honneur que de les fourber avec quelque précaution et quelque adresse.

Croira-t-on bien qu'il y avait dans l'Achaïe un oracle de Mercure qui se rendait de cette sorte? Après beaucoup de cérémonies, on parle au dieu à l'oreille, et on lui demande ce qu'on veut. Ensuite on se bouche les oreilles avec les mains; on sort du temple, et les premières paroles qu'on entend au sortir de là, c'est la réponse du dieu. Encore, afin qu'il fût plus aisé de faire entendre, sans être aperçu, telles paroles qu'on voudrait, cet oracle ne se rendait que le soir.

CHAPITRE XVI.

Ambiguité des Oracles.

Un des plus grands secrets des oracles, et une des choses. qui marquent autant que les hommes s'en mêlaient,

c'est l'ambiguïté des réponses, et l'art qu'on avait de les accommoder à tous les événemens qu'on pouvait prévoir.

Lorsqu'Alexandre tomba malade tout d'un coup à Babylone, quelques uns des principaux de sa cour allèrent passer une nuit dans le temple de Sérapis, pour demander à ce dieu s'il ne serait point à propos de lui faire apporter le roi, afin qu'il le guérît. Le dieu répondit qu'il valait mieux pour Alexandre qu'il demeurât où il était. Sérapis avait raison; car s'il se le fût fait apporter, et qu'Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le temple, que n'eût-on pas dit? Mais si le roi recouvrait sa santé à Babylone, quelle gloire pour l'oracle! S'il mourait, c'est qu'il lui était avantageux de mourir, après des conquêtes qu'il ne pouvait ni augmenter ni conserver. Il s'en fallut tenir à cette dernière interprétation, qui ne manqua pas d'être trouvée à l'avantage de Sérapis, sitôt qu'Alexandre fut mort.

Macrobe dit que quand Trajan eut pris le dessein d'aller attaquer les Parthes, on le pria d'en consulter l'oracle de la ville d'Héliopolis, auquel il ne fallait qu'envoyer un billet cacheté. Trajan ne se fiait point trop aux oracles, il voulut auparavant éprouver celui-là. Il y envoie un billet cacheté, où il n'y avait rien; on lui en renvoie autant: voilà Trajan convaincu de la divinité de l'oracle. Il y envoie une seconde fois un autre billet cacheté, par lequel il demandait au dieu s'il retournerait à Rome après avoir mis fin à la guerre qu'il entreprenait. Le dieu ordonna que l'on prît une vigne qui était une des offrandes de son temple, qu'on la mît par morceaux, et qu'on la portât à Trajan. L'é

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vénement, dit Macrobe, fut parfaitement conforme à cet oracle; car Trajan mourut à cette guerre, et on reporta à Rome ses os qui avaient été représentés par la vigne rompue.

Tout le monde savait assurément que l'empereur songeait à faire la guerre aux Parthes, et qu'il ne consultait l'oracle que sur cela; et l'oracle eut l'esprit de lui rendre une réponse allégorique et si générale, qu'elle ne pouvait manquer d'être vraie. Car, que Trajan retournât à Rome victorieux, mais blessé, ou ayant perdu une partie de ses soldats; qu'il fût vaincu, et que son armée fût mise en fuite; qu'il y arrivât seulement quelque division; qu'il en arrivât dans celles des Parthes; qu'il en arrivât même dans Rome, en l'absence de l'empereur; que les Parthes fussent absolument défaits; qu'ils ne fussent défaits qu'en partie; qu'ils fussent abandonnés de quelques uns de leurs alliés, la vigne rompue convenait merveilleusement à tous ces cas différens; il y eût eu bien du malheur, s'il n'en fût arrivé aucun ; et je crois que les os de l'empereur reportés à Rome, sur quoi l'on fit tomber l'explication de l'oracle, étaient pourtant la seule chose à quoi l'oracle n'avait point pensé.

A propos de cette vigne, je ne crois pas devoir oublier une espèce d'oracle qui s'accommodait à tout, don't Apulée nous apprend que les prêtres de la déesse de Syrie avaient été les inventeurs. Ils avaient fait deux vers dont le sens était : Les bœufs attelés coupent la terre, afin que les campagnes produisent leurs fruits. Avec ces deux vers, il n'y avait rien à quoi ils ne répondissent. Si on les venait consulter sur un mariage, c'était la même chose, des boeufs attelés ensemble, des cam

pagnes fécondes. Si on les consultait sur quelque terre que l'on voulait acheter, voilà des bœufs pour la labourer, voilà des champs fertiles. Si on les consultait sur un voyage, les bœufs sont attelés et tout prêts à partir, et ces campagnes fécondes vous promettent un grand gain. Si on allait à la guerre, ces bœufs, sous le joug, ne nous annoncent-ils pas que vous y mettrez aussi vos ennemis ? Cette déesse de Syrie apparemment n'aimait pas à parler, et elle avait trouvé moyen de satisfaire par une seule réponse, à toutes sortes de questions.

Ceux qui recevaient ces oracles ambigus, prenaient volontiers la peine d'y ajuster l'événement, et se chargeaient eux-mêmes de le justifier. Souvent ce qui n'avait eu qu'un sens dans l'intention de celui qui avait rendu l'oracle, se trouvait en avoir deux après l'événement; et le fourbe pouvait se reposer sur ceux qu'il fourbait, du soin de sauver son honneur. Quand le faux prophète Alexandre répondit à Rutilien, qui lui demandait quels précepteurs il donnerait à son fils, qu'il lui donnât Pythagore et Homère, il entendit tout simplement qu'on lui fit étudier la philosophie et les belles-lettres. Le jeune homme mourut peu de jours après, et on représentait à Rutilien que son prophète s'était bien mépris. Mais Rutilien trouvait, avec beaucoup de subtilité, la mort de son fils annoncée dans l'oracle parce qu'on lui donnait pour précepteurs Pythagore et Homère, qui étaient morts.

CHAPITRE XVII.

Fourberies des Oracles manifestement découvertes.

Il n'est plus question de deviner les finesses des prêtres par des moyens qui pourraient eux-mêmes paraître trop fins : un temps a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre; ce fut quand la religion chrétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

Théodoret dit que Théophile, évêque d'Alexandrie, fit voir à ceux de cette ville les statues creuses où les prêtres entraient par des chemins cachés, pour y rendre les oracles.

Lorsque, par l'ordre de Constantin, on abattit le temple d'Esculape à Égès en Cilicie, on en chassa, dit Eusèbe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avait si long-temps imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoute, en général, que, dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvait rien moins que des dieux ou des démons; non pas mème quelques malheureux spectres obscurs et ténébreux; mais seulement du foin et de la paille, ou des ordures, ou des os de morts. C'est de lui que nous apprenons l'histoire de ce Théotecnus, qui consacra, dans la ville d'Antioche, une statue de Jupiter, dieu de l'Amitié, à laquelle il fit sans doute rendre des oracles puisqu'Eusèbe dit que ce dieu avait des prophètes.Théotecnus se mit par là en si grand crédit, que Maximin le fit gouverneur de toute la province. Mais Lucinius étant venu à Antioche, et se doutant de l'imposture, y fit mettre à la question les prêtres et les pro

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