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auteurs des enchantemens, des philtres et des maléfices; qu'ils ne font que tromper nos yeux par des spectres et par des fantômes; que le mensonge est essentiel à leur nature; qu'ils excitent en nous la plupart de nos passions; qu'ils ont l'ambition de vouloir passer pour des dieux ; que leurs corps aériens et spirituels se nourrissent de suffumigation, de sang répandu, et de la graisse des sacrifices; qu'il n'y a qu'eux qui se mêlent de rendre des oracles, et à qui cette fonction, pleine de tromperie, soit tombée en partage; et enfin à la tête de cette troupe de mauvais démons, il met Hécate et Sérapis.

Jamblique, autre platonicien, en dit autant; et comme la plupart de ces choses là sont vraies, les chrétiens reçurent le tout avec joie, et y ajoutèrent même un peu du leur, selon Tertullien, dans son Apologétique par exemple, que les démons dérobaient, dans les écrits des prophètes, quelque connaissance de l'avenir, et puis s'en faisaient honneur dans leurs oracles.

Ce système des chrétiens avait cela de commode, qu'il découvrait aux païens, par leurs propres principes, l'origine de leur faux culte, et la source de l'erreur où ils avaient toujours été. Ils étaient persuadés qu'il y avait quelque chose de surnaturel dans leurs oracles; et les chrétiens qui avaient à disputer contre eux, ne songeaient point à leur ôter cette pensée. Les démons, dont on convenait de part et d'autre, servaient à expliquer tout ce surnaturel. On reconnaissait cette espèce de miracle ordinaire qui s'était fait dans la religion des païens mais on leur en faisait perdre tout l'avantage par les auteurs auxquels on l'attribuait: et cette voie était bien plus courte et plus aisée que celle de contes

ter le miracle même par une longue suite de recherches et de raisonnemens.

Voilà, comment s'établit, dans les premiers siècles de l'Église, l'opinion qu'on y prit sur les oracles des païens. Je pourrais aux trois raisons que j'ai apportées, en ajouter une quatrième, aussi bonne peut-être que toutes les autres ; c'est que dans le système des oracles rendus par les démons, il y a du merveilleux ; et si l'on a un peu étudié l'esprit humain, on sait quelle force le merveilleux a sur lui. Mais je ne prétends pas m'étendre sur cette réflexion : ceux qui y entreront m'en croiront bien, sans que je me mette en peine de la prouver : et ceux qui n'y entreront pas, ne m'en croiraient pas peut-être après toutes mes preuves.

Examinons présentement, l'une après l'autre, les raisons qu'on a eues de croire les oracles surnaturels.

CHAPITRE IV.

Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les Oracles doivent être fort suspectes.

Il serait difficile de rendre raison des histoires et des oracles que nous avons rapportés, sans avoir recours aux démons; mais aussi tout cela est-il bien vrai? Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point.

Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle

passé à quelques savans d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.

En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de 7 ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant, pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurezvous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eût examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.

Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non-seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très-bien avec le faux.

De grands physiciens ont fort bien trouvé pourquoi les lieux souterrains sont chauds en hiver, et froids en été. De plus grands physiciens ont trouvé depuis peu que cela n'était pas.

Les discussions historiques sont encore plus susceptibles de cette sorte d'erreur. On raisonne sur ce qu'ont dit les historiens; mais ces historiens n'ont-ils été, ni passionnés, ni crédules, ni mal instruits, ni négligens? Il en faudrait trouver un qui eût été spectateur de toutes choses, indifférent, et appliqué.

Surtout quand on écrit des faits qui ont liaison avec la religion, il est assez difficile que, selon le parti dont on est, on ne donne à une fausse religion des avantages qui ne lui sont point dûs, ou qu'on ne donne à la vraie de faux avantages dont elle n'a pas besoin. Cependant on devrait être persuadé qu'on ne peut jamais ajouter de la vérité à celle qui est vraie, ni en donner à celles qui sont fausses.

Quelques chrétiens des premiers siècles, faute d'être instruits ou convaincus de cette maxime, se sont laissés aller à faire, en faveur du christianisme, des suppositions assez hardies, que la plus saine partie des chrétiens ont ensuite désavouées. Ce zèle inconsidéré a produit une infinité de livres apocryphes, auxquels on donnait des noms d'auteurs païens ou juifs; car comme l'église avait affaire à ces deux sortes d'ennemis qu'y avait-il de plus commode que de les battre avec leurs propres armes, en leur présentant des livres, qui quoique faits, à ce qu'on prétendait, par des gens de leur parti, fussent néanmoins très avantageux au christianisme? Mais à force de vouloir tirer de ces ouvrages supposés un grand effet pour la religion, on les a em

pêchés d'en faire aucun. La clarté dont ils sont les trahit, et nos mystères y sont si nettement développés, que les prophètes de l'ancien et du nouveau testament n'y auraient rien entendu auprès de ces auteurs juifs et païens. De quelque côté qu'on se puisse tourner pour sauver ces livres, on trouvera toujours, dans ce trop de clarté, une difficulté insurmontable. Si quelques chrétiens étaient bien capables de supposer des livres aux païens ou aux juifs, les hérétiques ne faisaient point de façon d'en supposer aux orthodoxes. Ce n'étaient que faux évangiles, fausses épîtres d'apôtres, fausses histoires de leurs vies; et ce ne peut être que par un effet de la providence divine, que la vérité s'est démêlée de tant d'ouvrages apocryphes qui l'étouffaient.

Quelques grands hommes de l'Église ont été quelque fois trompés, soit aux suppositions des hérétiques contre les orthodoxes, soit à celles des chrétiens contre les païens ou les juifs, mais plus souvent à ces dernières. Ils n'ont pas toujours examiné d'assez près ce qui leur semblait favorable à la religion; l'ardeur avec laquelle ils combattaient pour une si bonne cause, ne leur laissait pas toujours la liberté de choisir assez bien leurs armes. C'est ainsi qu'il leur arrive quelquefois de se servir des livres des sibylles, ou de ceux d'Hermès Trismégiste, roi d'Egypte.

On ne prétend point par là affaiblir l'autorité, ni attaquer le mérite de ces grands hommes. Après qu'on aura remarqué toutes les méprises où ils peuvent être tombés sur un certain nombre de faits, il leur restera une infinité de raisonnemens solides, et de belles découvertes, sur quoi on ne les peut assez admirer. Si avec les vrais titres de notre religion ils nous en ont

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