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grande reconnaissance. De plus, Van-Dale ne fait nulle difficulté d'interrompre très souvent le fil de son discours, pour y faire entrer quelqu'autre chose qui se présente; et dans cette parenthèse là, il y enchâsse une autre parenthèse, qui même n'est peut-être pas la dernière. Il a encore raison; car ceux pour qui il a prétendu écrire, sont faits à la fatigue en matière de lecture, et ce désordre savant ne les embarrasse pas. Mais ceux pour qui j'aurais fait une traduction, ne s'en fussent guère accommodés, si elle eût été en cet état. Les dames, et pour ne rien dissimuler, la plupart des hommes de ce pays-ci, sont bien aussi sensibles à Fagrément, ou du tour, ou des expressions, ou des pensées, qu'à la solide beauté des recherches les plus exactes, ou des discussions les plus profondes. Surtout, comme on est fort paresseux, on veut de l'ordre dans un livre, pour être d'autant moins obligé à l'attention. Je n'ai donc plus songé à traduire, et j'ai cru qu'il valait mieux, en conservant le fond et la matière principale de l'ouvrage, lui donner toute une autre forme. J'avoue qu'on ne peut pas pousser cette liberté plus loin que j'ai fait; j'ai changé toute la disposition du livre, j'ai retranché tout ce qui m'a paru avoir peu d'utilité en soi, ou trop peu d'agrément pour récompenser le peu d'utilité; j'ai ajouté, non-seulement tous les ornemens dont j'ai pu 'm'aviser, mais encore assez de choses qui prouvent ou qui éclaircissent ce qui est en question. Sur les mêmes faits et sur les mêmes passages que me fournissait Van-Dale, j'ai quelquefois raisonné autrement que lui; je ne me suis point fait un scrupule d'insérer beaucoup de raisonnemens qui ne sont que de moi; enfin, j'ai refondu tout l'ouvrage, pour

le remettre dans le même état où je l'eusse mis d'abord selon mes vues particulières, si j'avais eu autant de savoir que Van-Dale. Comme j'en suis extrêmement éloigué, j'ai pris sa science, et j'ai hasardé de me servir de mon esprit, tel qu'il est; je n'eusse pas manqué sans doute de prendre le sien, si j'avais eu affaire aux mêmes gens que lui. Au cas que ceci vienne à sa connaissance, je le supplie de me pardonner la licence dont j'ai usé; elle servira à faire voir combien son livre est excellent, puisque assurément ce qui lui appartient ici paraîtra encore tout-à-fait beau, quoiqu'il ait passé par mes

mains.

Au reste, j'apprends depuis peu deux choses qui ont rapport à ce livre. La première, que j'ai prise dans les Nouvelles de la République des Lettres, est que Moëbius, doyen des professeurs en théologie à Leipsick, a entrepris de réfuter Van-Dale. Véritablement il lui passe que les oracles n'ont pas cessé à la venue de Jésus-Christ, ce qui est effectivement incontestable, quand on a examiné la question; mais il ne lui peut accorder que les démons n'aient pas été les auteurs des oracles. C'est déjà faire une brèche très considérable au système ordinaire, que de laisser les oracles s'étendre au-delà du temps de la venue de Jésus-Christ; et c'est un grand préjugé qu'ils n'ont pas été rendus par des démons, si le Fils de Dieu ne leur a pas imposé silence. Il est certain que selon la liaison que l'opinion commune a mise entre ces deux choses, ce qui détruit l'une ébranle beaucoup l'autre, ou même la ruine entièrement; et peut-être après la lecture de ce livre, entrera-t-on encore mieux dans cette pensée; mais ce qui est plus remarquable, c'est que par l'extrait de la

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République des Lettres, il paraît qu'une des plus fortes raisons de Moebius contre Van-Dale, est que Dieu défendit aux Israëlites de consulter les devins et les esprits de Python; d'où l'on conclut que Python, c'est-àdire les démons, se mêlaient des oracles, et apparemment l'histoire de l'apparition de Samuel vient à la suite. Van-Dale répondra ce qu'il jugera à propos; pour moi, je déclare que, sous le nom d'oracle, je ne prétends pas comprendre la magie dont il est indubitable que le démon se mêle : aussi n'est-elle nullement comprise dans ce que nous entendons ordinairement par ce mot, non pas même selon le sens des anciens païens, qui, d'un côté, regardaient les oracles avec respect, comme une partie de leur religion; et de l'autre, avaient la magie en horreur aussi bien que nous. Aller consulter un nécromancien, ou quelqu'une de ces sorcières de Thessalie, pareille à l'Ericto de Lucain, cela ne s'appelait pas aller à l'oracle; et s'il faut marquer encore cette distinction, même selon l'opinion commune, on prétend que les oracles ont cessé à la venue de Jésus-Christ, et cependant on ne peut pas prétendre que la magie ait cessé. Ainsi, l'objection de Moebius ne fait rien contre moi, s'il laisse le mot d'oracle dans sa signification ordinaire et naturelle, tant ancienne que moderne.

La seconde chose que j'ai à dire, c'est que l'on m'a averti que le R. P. Thomassin, prêtre de l'Oratoire, fameux par tant de beaux livres, où il a accordé une piété solide avec une profonde érudition, avait enlevé à ce livre-ci l'honneur de la nouveauté du paradoxe, en traitant les oracles de pures fourberies, dans sa Méthode d'étudier et d'enseigner chrétiennement les poètes:

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J'avoue que j'en ai été un peu fâché; cependant je me suis consolé par la lecture du chap. XXI du livre II de cette Méthode, où je n'ai trouvé que dans l'article XIX, en assez peu de paroles, ce qui me pouvait être commun avec lui. Voici comme il parle : « La véritable >> raison du silence imposé aux oracles, était que par >> l'incarnation du verbe divin, la vérité éclairait le » monde, et y répandait une abondance de lumières » toute autre qu'auparavant. Ainsi, on se détrompait » des illusions des augures, des astrologues, des ob»servations des entrailles des bêtes, et de la plupart des oracles, qui n'étaient effectivement que des impostures où les hommes se trompaient les uns les >> autres par des paroles obscures et à double sens. Enfin, s'il y avait des oracles où les démons don» naient des réponses, l'avènement de la vérité in>> carnée avait condamné à un silence éternel le père du mensonge. Il est au moins bien certain qu'on >> consultait les démons lorsqu'on avait recours aux enchantemens et à la magie, comme Lucain le rap» porte du jeune Pompée, et comme l'Écriture l'assure » de Saül. » Je conviens que, dans un gros traité où l'on ne parle des oracles que par occasion, très brièvement et sans aucun dessein d'approfondir la matière, c'est bien en dire assez que d'attribuer la plupart des oracles à l'imposture des hommes, de révoquer en doute s'il y en a eu où les démons aient eu part, de ne donner une fonction certaine aux démons que dans les enchantemens et dans la magie, et enfin de faire cesser les oracles, non pas précisément parce que le fils de Dieu leur imposa silence tout d'un coup, mais parce que les esprits plus éclairés par la publication de

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l'Évangile, se désabusèrent; ce qui suppose encore des fourberies humaines, et ne s'est pu faire si promptement. Cependant, il me paraît qu'une question décidée en si peu de paroles peut être traitée de nouveau dans toute son étendue naturelle, sans que le public ait droit de se plaindre de la répétition; c'est lui remettre en grand ce qu'il n'a vu qu'en petit, et tellement en petit, que les objets en étaient quasi imperceptibles.

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Je ne sais s'il m'est permis d'alonger encore ma préface par une petite observation sur le style dont je me suis servi. Il n'est que de conversation; je me suis imaginé que j'entretenais mon lecteur. J'ai pris cette idée d'autant plus aisément, qu'il fallait, en quelque sorte, disputer contre lui; et les matières que j'avais en main étant le plus souvent assez susceptibles de ridicule, m'ont invité à une manière d'écrire fort éloignée du sublime. Il me semble qu'il ne faudrait donner dans le sublime qu'à son corps défendant; il est si peu naturel! J'avoue que le style bas est encore quelque ehose de pis: mais il y a un milieu, et même plusieurs; c'est ce qui fait l'embarras on a bien de la peine à prendre juste le ton que l'on veut, et à n'en point sortir.

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