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que je ne trouve pas bon que tous les tours que la terre fait chaque jour sur elle-même, soient précisément de vingt-quatre heures, et toujours égaux les uns aux autres; j'aurais assez d'inclination à croire qu'il y a des différences. Des différences, s'écria-t-elle; et nos pendules ne marquent-elles pas une entière égalité? Oh ! répondis-je, je récuse les pendules; elles ne peuvent pas elles-mêmes être tout-à-fait justes; et quelquefois qu'elles le seront en marquant qu'un tour de vingt-quatre heures sera plus long ou plus court qu'un autre, on aimera mieux les croire déréglées que de soupçonner la terre de quelque irrégularité dans ses révolutions. Voilà un plaisant respect qu'on a pour elle; je ne me fierais guère plus à la terre qu'à une pendule : les mêmes choses à peu près qui dérégleront l'une, dérégleront l'autre ; je crois seulement qu'il faut plus de temps à la terre qu'à une pendule pour se dérégler sensiblement ; c'est tout l'avantage qu'on lui peut accorder. Ne pourrait-elle pas peu à peu s'approcher du soleil? Et alors se trouvant dans un endroit où la matière serait plus agitée et le mouvement plus rapide, elle ferait en moins de temps sa double révolution, et autour du soleil, et autour d'elle-même. Les années seraient plus courtes, et les jours aussi; mais on ne pourrait s'en apercevoir, parce qu'on ne laisserait pas de partager toujours les années en trois cent soixantecinq jours, et les jours en vingt-quatre heures. Ainsi, sans vivre plus que nous ne vivons présentement, on vivrait plus d'années; et au contraire, que la terre s'éloigne du soleil, on vivra moins d'années que nous, et on ne vivra pas moins. Il y a beaucoup d'apparence, dit-elle, que quand cela serait, de longues suites de

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siècles ne produiraient que de bien petites différences. J'en conviens, répondis-je; la conduite de la nature n'est pas brusque, et sa méthode est d'amener tout par des degrés qui ne sont sensibles que dans les changemens fort prompts et fort aisés. Nous ne sommes presque capables de nous apercevoir que de celui des saisons pour les autres, qui se font avec une certaine lenteur, ils ne manquent guère de nous échapper. Cependant, tout est dans un branle perpétuel, et par conséquent tout change; et il n'y a pas jusqu'à une certaine demoiselle, que l'on a vue dans la lune avec des lunettes, il y a peut-être quarante ans, qui ne soit considérablement vieillie. Elle avait un assez beau visage; ses joues se sont enfoncées, son nez s'est allongé, son front et son menton se sont avancés, de sorte que tous ses agrémens sont évanouis, et que l'on craint même pour ses jours.

Que me contez-vous là? interrompit la marquise. Ce n'est point une plaisanterie, repris-je. On apercevait dans la lune une figure particulière, qui avait de l'air d'une tête de femme qui sortait d'entre des rochers, et il est arrivé du changement dans cet endroit là. Il est tombé quelques morceaux de montagnes, et ils ont laissé à découvert trois pointes, qui ne peuvent plus servir qu'à composer un front, un nez et un menton de vieille. Ne semble-t-il pas, dit-elle, qu'il y ait une destinée malicieuse qui en veuille particulièrement à la beauté? Ç'a été justement cette tête de demoiselle qu'elle a été attaquer sur toute la lune. Peut-être qu'en récompense, répliquai-je, les changemens qui arrivent sur notre terre embellissent quelque visage` que les gens de la lune y voient ; j'entends quelque vi

sage à la manière de la lune; car chacun transporte sur les objets les idées dont il est rempli. Nos astronomes voient sur la lune des visages de demoiselles; il pourrait être que des femmes, qui observeraient, y verraient de beaux visages d'hommes. Moi, Madame, je ne sais si je ne vous y verrais point. J'avoue, dit-elle, que je ne pourrais pas me défendre d'être obligée à qui me trouverait là : mais je retourne à ce que vous me disiez tout à l'heure ; arrive-t-il sur la terre des changemens considérables?

Il y a beaucoup d'apparence, répondis-je, qu'il y en est arrivé. Plusieurs montagnes élevées, et fort éloignées de la mer, ont de grands lits de coquillages, qui marquent nécessairement que l'eau les a autrefois couvertes. Souvent assez loin encore de la mer, on trouve des pierres où sont des poissons pétrifiés. Qui peut les avoir mis là, si la mer n'y a pas été? Les fables disent qu'Hercule sépara, avec ses deux mains, deux montagnes, nommées Calpé et Abila, qui étant situées entre l'Afrique et l'Espagne, arrêtaient l'Océan, et qu'aussitôt la mer entra avec violence dans les terres, et fit ce grand golfe, qu'on appelle la Méditerranée. Les fables ne sont pas tout-à-fait des fables; ce sont des histoires des temps reculés, mais qui ont été défigurées, ou par l'ignorance des peuples, ou par l'amour qu'ils avaient pour le merveilleux, très ancienne maladie des hommes. Qu'Hercule ait séparé deux montagnes avec ses deux mains, cela n'est pas trop croyable: mais que du temps de quelque Hercule, car il y en a cinquante, l'Océan ait enfoncé deux montagnes plus faibles que les autres, peut-être à l'aide de quelque tremblement de terre, et se soit jeté entre l'Europe et l'Afrique, je le

croirais sans beauconp de peine. Ce fut alors une belle tache que les habitans de la lune virent paraître tout à coup sur notre terre; car vous savez, Madame, que les mers sont des taches. Du moins l'opinion commune est que la Sicile a été séparée de l'Italie, et Cypre de la Syrie il s'est quelquefois formé de nouvelles îles dans la mer; des tremblemens de terre ont abîmé des montagnes, en ont fait naître d'autres, et ont changé le cours des rivières. Les philosophes nous font craindre que le royaume de Naples et la Sicile, qui sont des terres appuyées sur de grandes voûtes souterraines, remplies de soufre, ne fondent quelque jour, quand les voûtes ne seront plus assez fortes pour résister aux feux qu'elles renferment, et qu'elles exhalent présentement par des soupiraux tels que le Vésuve et l'Etna. En voilà assez pour diversifier un peu le spectacle que nous donnons aux gens de la lune.

J'aimerais bien mieux, dit la marquise, que nous les ennuyassions en leur donnant toujours le même, que de les divertir par des provinces abîmées.

Cela ne serait encore rien, repris-je, en comparaison de ce qui se passe dans Jupiter. Il paraît sur sa surface comme des bandes dont il serait enveloppé, et que l'on distingue les unes des autres, ou des intervalles qui sont entre elles, par des différens degrés de clarté ou d'obscurité. Ce sont des terres et des mers, ou enfin de grandes parties de la surface de Jupiter aussi differentes entre elles. Tantôt ces bandes s'étrécissent, tantôt elles s'élargissent; elles s'interrompent quelquefois, et se réunissent ensuite; il s'en forme de nouvelles en divers endroits, et il s'en efface, et tous ces changemens, qui ne sont sensibles qu'à nos meilleures lunettes, sont

en eux-mêmes beaucoup plus considérables que si notre Océan inondait toute la terre ferme, et laissait en sa place de nouveaux continens. A moins que les habitans de Jupiter ne soient amphibies, et qu'ils ne vivent également sur la terre et dans l'eau, je ne sais pas trop bien ce qu'ils deviennent. On voit aussi, sur la surface de Mars, de grands changemens, et même d'un mois à l'autre. En aussi peu de temps des mers couvrent de grands continens, ou se retirent par un flux et reflux infiniment plus violent que le nôtre, ou du moins c'est quelque chose d'équivalent. Notre planète est bien tranquille auprès de ces deux là, et nous avons grand sujet de nous en louer, et encore plus, s'il est vrai qu'il y ait eu dans Jupiter des pays grands comme toute l'Europe embrâsés. Embrâsés! s'écria la marquise. Vraiment ce serait-là une nouvelle considérable! Très considérable, répondis-je. On a vu en Jnpiter, il y a peut-être vingt ans, une longue lumière plus éclatante que le reste de la planète. Nous avons eu ici des déluges, mais rarement; peut-être que dans Jupiter ils ont rarement aussi de grands incendies, sans préjudice des déluges qui y sont communs. Mais, quoi qu'il en soit, cette lumière de Jupiter n'est nullement comparable à une autre, qui, selon les apparences, est aussi ancienne que le monde, et que l'on n'avait pourtant jamais vue. Comment une lumière fait-elle pour se cacher, dit-elle? il faut pour cela une adresse singulière.

Cellé-là, repris-je, ne paraît que dans le temps des crépuscules, de sorte que le plus souvent ils sont assez longs et assez forts pour la couvrir; et que quand ils peuvent la laisser paraître, ou les vapeurs de l'horizon la dérobent, ou elle est si peu sensible, qu'à moius 16

TOM. III.

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