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mouvement, et emporte ses planètes avec soi; d'autres dont les planètes s'élèvent ou s'abaissent, à l'égard de leur soleil, par le changement de l'équilibre qui les tient suspendues. Enfin, que voudriez-vous? En voilà bien assez pour un homme qui n'est jamais sorti de son tourbillon.

Ce n'en est guère, répondit-elle, pour la quantité des mondes. Ce que vous dites ne suffit que pour cinq ou six, et j'en vois d'ici des milliers.

Que serait-ce donc, repris-je, si je vous disais qu'il y a bien d'autres étoiles fixes que celles que vous voyez ; qu'avec des lunettes on en découvre un nombre infini qui ne se montrent point aux yeux; et que dans une seule constellation, où l'on en comptait peut-être douze ou quinze, il s'en trouve autant que l'on en voyait auparavant dans le ciel?

Je vous demande grâce, s'écria-t-elle ; je me rends; vous m'accablez de mondes et de tourbillons. Je sais bien, ajoutai-je, ce queje vous garde. Vous voyez cette blancheur qu'on appelle la voie de lait. Vous figureriez-vous bien ce que c'est ? Une infinité de petites étoiles invisibles aux yeux à cause de leur petitesse, et semées si près les unes des autres, qu'elles paraissent former une lueur continue. Je voudrais que vous vissiez, avec des lunettes, cette fourmilière d'astres, et cette graine de mondes. Ils ressemblent en quelque sorte aux îles Maldives, à ces douze mille petites îles ou bancs de sable, séparés seulement par des canaux de mer, que l'on sauterait presque comme des fossés. Ainsi, les petits tourbillons de la voie de lait sont si serrés, qu'il me semble que, d'un monde à l'autre, on pourrait se parler, ou même se donner la main. Du

moins, je crois que les oiseaux d'un monde passent aisément dans un autre, et que l'on y peut dresser des pigeons à porter des lettres comme ils en portent ici dans le Levant d'une ville à une autre. Ces petits mondes sortent apparemment de la règle générale, par laquelle un soleil dans son tourbillon, efface, dès qu'il paraît, tous les soleils étrangers. Si vous êtes dans un des petits tourbillons de la voie de lait, votre soleil n'est presque pas plus proche de vous, et n'a pas sensiblement plus de force sur vos yeux, que cent mille autres soleils des petits tourbillons voisins. Vous voyez donc votre ciel briller d'un nombre infini de feux qui sont fort proches les uns des autres, et peu éloignés de vous. Lorsque vous perdez de vue votre soleil particulier, il vous en reste encore assez; et votre nuit n'est pas moins éclairée que le jour du moins la différence ne peut pas être sensible; et pour parler plus juste, vous n'avez jamais de nuit. Ils seraient bien étonnés, les gens de ces mondes là, accoutumés comme ils sont à une clarté perpétuelle, si on leur disait qu'il y a des malheureux qui ont de véritables nuits, qui tombent dans des ténèbres profondes, et qui, quand ils jouissent de la lumière, ne voient même qu'un seul soleil. Ils nous regarderaient comme des êtres disgraciés de la nature, et notre condition les ferait frémir d'horreur.

Je ne vous demande pas, dit la marquise, s'il y a des lunes dans les mondes de la voie de lait; je vois bien qu'elles n'y seraient de nul usage aux planètes principales qui n'ont point de nuit, et qui d'ailleurs marchent dans des espaces trop étroits pour s'embarrasser de cet attirail de planètes subalternes. Mais savez

vous bien qu'à force de me multiplier les mondes si libéralement, vous me faites naître une véritable difficulté? Les tourbillons dont nous voyons les soleils, touchent le tourbillon où nous sommes. Les tourbillons sont ronds, n'est-il pas vrai? Et comment tant de boules en peuvent-elles toucher une seule? Je veux m'imaginer cela, et je sens bien que je ne le puis.

Il y a beaucoup d'esprit, répondis-je, à avoir cette difficulté là, et même à ne la pouvoir résoudre; car elle est très bonne en soi, et de la manière dont vous la concevez, elle est sans réponse; et c'est avoir bien peu d'esprit que de trouver des réponses à ce qui n'en a point. Si notre tourbillon était de la figure d'un dé, il aurait six faces plates, et serait bien éloigné d'être rond; mais sur chacune de ces faces on y pourrait mettre un tourbillon de la même figure. Si au lieu de six faces plates, il en avait vingt, cinquante, mille, il y aurait jusqu'à mille tourbillons, qui pourraient poser sur lui, chacun sur une face; et vous concevez bien, que plus un corps a de faces plates, qui le terminent au dehors, plus il approché d'être rond, en sorte qu'un diamant, taillé à facettes de tous côtés, si les facettes étaient fort petites, serait quasi aussi rond qu'une perle de même grandeur. Les tourbillons ne sont ronds que de cette manière là. Ils ont une infinité de faces en dehors, dont chacune porte un autre tourbillon. Ces faces sont fort inégales; ici, elles sont plus grandes; là, plus petites. Les plus petites de notre tourbillon, par exemple, répondent à la voie de lait, et soutiennent tous ces petits mondes. Que deux tourbillons, qui sont appuyés sur deux faces voisines, laissent quelque vide entre eux par en-bas, comme

cela doit arriver très souvent, aussitôt la nature, qui ménage bien le terrain, vous remplit ce vide par un petit tourbillon ou deux, peut-être par mille, qui n'incommodent point les autres, et ne laissent pas d'être un, ou deux, ou mille mondes de plus. Ainsi, nous pouvons voir beaucoup plus de mondes que notre tourbillon n'a de faces pour en porter. Je gagerais que, quoique ces petits mondes n'aient été faits que pour être jetés dans des coins de l'univers, qui fussent demeurés inutiles, quoiqu'ils soient inconnus aux autres mondes qui les touchent, ils ne laissent pas d'être fort contens d'eux-mêmes. Ce sont eux, sans doute, dont on ne découvre les petits soleils qu'avec des lunettes d'approche, et qui sont en une quantité si prodigieuse. Enfin, tous ces tourbillons s'ajustent les uns avec les autres le mieux qu'il est possible; et comme il faut que chacun tourne autour de son soleil, sans changer de place, chacun prend la manière de tourner qui est la plus commode et la plus aisée dans la situation où il est. Ils s'engrènent en quelque façon les uns dans les autres, comme les roues d'une montre, et aident mutuellement leurs mouvemens. Il est pourtant vrai qu'ils agissent aussi les uns contre les autres. Chaque monde, à ce qu'on dit, est comme un ballon qui s'étendrait, si on le laissait faire; mais il est aussitôt repoussé par les mondes voisins, et il rentre en lui-même, après quoi il recommence à s'enfler, et ainsi de suite : et quelques philosophes prétendent que les étoiles fixes ne nous envoient cette lumière tremblante, et ne paraissent briller à reprises, que parce que leurs tourbillons poussent perpétuellement le nôtre, et en sont perpétuellement repoussés.

J'aime fort toutes ces idées là, dit la marquise. J'aime ces ballons qui s'enflent et se désenflent à chaque moment, et ces mondes qui se combattent toujours ; et surtout j'aime à voir comment ce combat fait entre eux un commerce de lumière, qui apparemment est le seul qu'ils puissent avoir.

Non, non, repris-je, ce n'est pas le seul. Les mondes voisins nous envoient quelquefois visiter, et même assez magnifiquement. Il nous en vient des comètes qui sont ornées, ou d'une chevelure éclatante, ou d'une barbe vénérable, ou d'une queue majestueuse.

Ah! quels députés, dit-elle en riant. On se passerait bien de leur visite, elle ne sert qu'à faire peur. Ils ne font peur qu'aux enfans, répliquai-je, à cause de leur équipage extraordinaire; mais les enfans sont en grand nombre. Les comètes ne sont que des planètes qui appartiennent à un tourbillon voisin. Elles avaient leur mouvement vers ses extrémités; mais ce tourbillon étant peut-être différemment pressé par ceux qui l'environnent, est plus rond par en haut, et plus plat par en bas, et c'est par en bas qu'il nous regarde. Ces planètes qui auront commencé vers le haut à se mouvoir en cercle, ne prévoyaient pas qu'en bas le tourbillon leur manquerait, parce qu'il est là comme écrasé; et pour continuer leur mouvement circulaire, il faut nécessairement qu'elles entrent dans un autre tourbillon, que je suppose qui est le nôtre, et qu'elles en occupent les extrémités. Aussi sont-elles toujours fort élevées à notre égard; on peut croire qu'elles marchent au-dessus de Saturne. Il est nécessaire, vu la prodigieuse distance des étoiles fixes, que depuis Saturne jusqu'aux extrémités de notre tourbillon, il y ait un grand espace

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