ACTEURS.

MADAME PERNELLE, mere d'Orgon.
ORGON, mari d'Elmire.

ELMIRE, femme d'Orgon.

DAMIS, fils d'Orgon.

MARIANE, fille d'Orgon.

VALERE, amant de Mariane.

CLEANTE, beau-frere d'Orgon.
TARTUFFE, faux dévot.

DORINE, fuivante de Mariane.

MONSIEUR LOYAL, fergent.

UN EXEMPT.

FLIPOTE, fervante de madame Pernelle.

La fcene eft à Paris, dans la maifon d'Orgon.

LE TARTUFFE,

COMEDIE

EN CINQ ACTES.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

MADAME PERNELLE, ELMIRE, MARIANE, CLEANTE, DAMIS, DORINE, FLIPOTE.

MADAME PERNELLE.

ALLONS, Flipote, allons, que d'eux je me délivre.

ELMIRE.

Vous marchez d'un tel pas, qu'on a peine à vous fuivre.

MADAME PERNELLE.

Laiffez, ma bru, laiffez; ne venez pas plus loin:
Ce font toutes façons dont je n'ai pas besoin.

ELMIRE.

De ce que l'on vous doit envers vous l'on s'acquitte. Mais, ma mere, d'où vient que vous fortez fi vîte?

MADAME PERNELLE.

C'eft que je ne puis voir tout ce ménage-ci,

Et que de me complaire on ne prend nul fouci.
Oui, je fors de chez vous fort mal édifiée :

Dans toutes mes leçons j'y fuis contrariée;
On n'y respecte rien, chacun y parle haut,
Et c'est tout justement la cour du roi Pétaut 2,

DORINE.

Si....

MADAME PERNELLE.

Vous êtes, ma mie, une fille fuivante

Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente; Vous vous mêlez, fur-tout, de dire votre avis.

Mais....

DAMIS.

MADAME PERNELLE.

Vous êtes un fot, en trois lettres, mon fils: C'est moi qui vous le dis, qui fuis votre grand'mere; Et j'ai prédit cent fois à mon fils, votre pere,

Que vous preniez tout l'air d'un méchant garnement, Et ne lui donneriez jamais que du tourment.

Je crois.....

MARIANE.

MADAME PERNELLE.

Mon Dieu! fa fœur, vous faites la difcrete, Et vous n'y touchez pas, tant vous femblez doucette! Mais il n'eft, comme on dit, pire eau que l'eau qui dort, Et vous menez, fous cape, un train que je hais fort,

ELMIRE.

Mais, ma mere....

MADAME PERNELLE.

Ma bru, qu'il ne vous en déplaise,

Votre conduite, en tout, est tout-à-fait mauvaise;

Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux *;
Et leur défunte mere en ufoit beaucoup mieux.
Vous êtes dépenfiere; et cet état me bleffe",
Que vous alliez vêtue ainfi qu'une princeffe.
Quiconque à fon mari veut plaire seulement,
Ma bru, n'a pas befoin de tant d'ajustement.

CLEANTE.

Mais, madame, après tout....

MADAME PERNELLE.

Je vous eftime fort, vous aime et vous révere:
Mais enfin, fi j'étois de mon fils, son époux,
Je vous prierois bien fort de n'entrer point chez nous.
Sans ceffe vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d'honnêtes gens ne fe doivent point fuivre.
Je vous parle un peu franc, mais c'est là mon humeur,
Et je ne mâche point ce que j'ai fur le cœur.

DAMIS.

Votre monfieur Tartuffe eft bien heureux, fans doute...

MADAME PERNELLE.

C'eft un homme de bien qu'il faut que l'on écoute; Et je ne puis fouffrir, fáns me mettre en courroux, De le voir quereller par un fou comme vous.

DAMIS.

Quoi! je fouffrirai, moi, qu'un cagot de critique
Vienne ufurper céans un pouvoir tyrannique;
Et que nous ne puiffions à rien nous divertir,
Si ce beau monfieur-là n'y daigne confentir?

DORINE.

S'il le faut écouter et croire à fes maximes,

On ne peut faire rien, qu'on ne faffe des crimes,
Car il contrôle tout, ce critique zélé.

MADAME PERNELLE.

Et tout ce qu'il contrôle eft fort bien contrôlé.
C'est au chemin du ciel qu'il prétend vous conduire:
Et mon fils à l'aimer vous devroit tous induire.

DAMIS.

Non, voyez-vous, ma mere, il n'eft pere, ni rien,
Qui me puiffe obliger à lui vouloir du bien :
Je trahirois mon cœur de parler d'autre forte.
Sur fes façons de faire à tous coups je m'emporte :
J'en prévois une suite, et qu'avec ce pied-plat
Il faudra que j'en vienne à quelque grand éclat.

DORINE.

Certes, c'eft une chose auffi qui fcandalife,

De voir qu'un inconnu céans s'impatronise;

Qu'un gueux, qui, quand il vint, n'avoit pas de fouliers,
Et dont l'habit entier valoit bien fix deniers,
En vienne jufques-là, que de se méconnoître,
De contrarier tout, et de faire le maître.

MADAME PERNELLE.

He! merci de ma vie, il en iroit bien mieux,
Si tout le gouvernoit par fes ordres pieux!

DORINE.

Il paffe pour un faint dans votre fantaisie:

Tout fon fait, croyez-moi, n'est rien qu'hypocrific.