Page images
PDF
EPUB

Il est remarquable que, de tous les grands poëtes du dix-septième siècle, La Fontaine est le seul qui ait loué ce bon et grand Prince, dont la mémoire étoit alors toute récente. Faudroit-il donc croire que les autres ont craint de vanter un roi facile et populaire sous un roi fastueux et absolu? Quant au bon La Fontaine, on trouve tout simple qu'il ait aimé le bon Henri; et, puisqu'il étoit touché de ses vertus, il ne pouvoit manquer d'en faire l'éloge (1).

C'étoit trop peu d'une élégie pour soulager son âme oppressée; il composa une ode au Roi, et la fit parvenir à Fouquet lui-même, pour avoir son sentiment. Fouquet, plein de courage et de dignité dans son malheur, trouva que La Fontaine demandoit trop bassement pour lui une chose qu'on doit mépriser, c'est-à-dire, la vie. « C'est moi qui parle, répondit La Fon>> taine, moi qui demande une grâce qui nous >> est plus chère qu'à vous. Il n'y a point de

(1) C'est encore dans La Fontaine qu'on trouve le seul éloge poétique qui ait peut-être été fait de Catinat, sous le règne de Louis XIV. La Fontaine le qualifie bon pour la main et bon pour le conseil. Les autres poetes sentoient-ils moins que La Fontaine le mérite de ce guerrier philosophe? ou craignoient-ils plus que lui de louer un homme qui n'étoit pas dans les bonnes grâces de madame de Maintenon?

pres

» termes si humbles, si pathétiques et si
»sants, que je ne m'en doive servir en cette
>> rencontre ». Quels si grands bienfaits Fou-
quet avoit-il donc répandus sur La Fontaine,
pour lui inspirer tant de dévouement? quel-
ques foibles sommes d'un argent dont le poëte
fit toujours assez peu de cas; mais sa tendresse
libérale ne mesuroit point la reconnoissance
au bienfait, et ne croyoit pas qu'il lui fût pos-
sible de s'acquitter jamais. Sa douleur ne fut
ni fastueuse, ni passagère; elle fut sincère et
durable. Adressant à un ami, long-temps après
le fatal événement, les fragments de ce Songe
de Vaux, qu'il avoit entrepris pour célébrer
la magnificence et le goût de son bienfaiteur,
il lui dit:

Je soupire en songeant au sujet de mes veilles.
Vous m'entendez, Ariste, et, d'un coeur généreux,
Vous plaignez comme moi le sort d'un malheureux.
Il déplut à son roi, ses amis disparurent;
Mille voeux contre lui dans l'abord concoururent.
Malgré tout ce torrent, je lui donnai des pleurs ;
J'accoutumai chacun à plaindre ses malheurs.

Par suite de la disgrace de Fouquet, M. Jannart fut exilé à Limoges. La Fontaine voulut le suivre. En passant par Amboise, il alla visiter le château où son bienfaiteur avoit été enfermé d'abord. N'ayant pu se faire montrer l'in

térieur de la chambre, il fut long-temps à en considérer la porte, et il se fit conter la manière dont le prisonnier étoit gardé. « Je vous en ferois >> volontiers la description, dit-il dans le récit » de son voyage; mais ce souvenir est trop affligeant »; et cette description, qu'il ne vouloit pas faire, échappe aussitôt de sa plume, ou plutôt de son cœur, sans qu'il s'en aperçoive; puis il ajoute:

« Je l'ai faite insensiblement;

>> Cette plainte a pour moi des charmes.

» Sans la nuit on n'eût jamais pu m'arracher » de cet endroit. »>

[ocr errors]

C'est à sa femme que La Fontaine adressa sa relation dans quatre lettres en prose mêlées de vers. En les écrivant, il s'étonnoit lui-même de sa complaisance et de son courage. « J'emploie les heures qui me sont les plus pré» cieuses, à vous faire des relations, moi qui >> suis enfant du sommeil et de la paresse. Qu'on » me parle après cela des maris qui se sont sacri» fiés pour leurs femmes je prétends les sur» passer tous. » Sa femme ne lui étoit pas encore si indifférente, qu'il ne lui donnât de bons conseils, et ne s'occupât de lui inspirer des goûts un peu solides. « Vous ne jouez ni »> ne travaillez, ni ne vous occupez du ménage,

» lui dit-il; et hors le temps que vos bonnes » amies vous donnent par charité, il n'y a » que les romans qui vous divertissent..... Con» sidérez, je vous prie, l'utilité que ce vous » seroit, si, en badinant, je vous avois accou» tumée à l'histoire, soit des lieux, soit des » personnes ; vous auriez de quoi vous désen» nuyer toute votre vie, pourvu que ce soit >> sans intention de rien retenir, moins encore » de rien citer ce n'est pas une bonne qua» lité pour une femme d'être savante, et c'en >> est une très-mauvaise d'affecter de paroître » telle. » Son fils n'étoit pas encore sorti non plus de sa pensée, et il songeoit du moins à lui procurer de l'amusement. On lit vers la fin de sa première lettre : « Faites bien des recom>> mandations à notre marmot, et dites-lui que » peut-être j'amenerai de ce pays-là (Limoges) >> quelque beau petit chaperon pour le faire jouer et lui tenir compagnie.

[ocr errors]

A partir de cette correspondance, on ne trouve plus, dans ses écrits, aucune mention de sa femme. Ses relations avec elle devinrent de plus en plus rares, et elles finirent par cesser presque entièrement. Fixé à Paris par ses goûts et par ses liaisons, il ne retourna plus à Château-Thierry, où elle continuoit d'habiter, que pour vendre quelque portion de son bien:

1

il ne savoit pas le faire valoir autrement, et il eut bien raison de dire qu'il avoit mangé son fonds avec son revenu. Boileau, Racine, Chapelle, et d'autres amis l'accompagnoient ordinairement dans ces petits voyages. Il lui arriva une fois de mal quitter sa femme, et de passer plusieurs années sans l'aller voir. Racine et Boileau lui firent honte de cette longue brouillerie, et le déterminèrent à partir pour ChâteauThierry. Il prend la voiture publique, arrive chez lui, et demande sa femme. Un valet qui ne le connoissoit pas, lui dit qu'elle est au salut. Il va de là chez un ami qui lui donne à souper, puis à coucher, et enfin le régale pendant deux jours. La voiture repart pour Paris; il y reprend sa place. Quand ses amis le revoient, ils lui demandent s'il est réconcilié avec sa femme. J'ai été pour la voir, leur dit-il, mais je ne l'ai pas trouvée; elle étoit au salut.

On avoit fait entrer La Fontaine, en qualité de gentilhomme ordinaire, chez madame Henriette d'Angleterre, la première femme de MONSIEUR, cette princesse séduisante, dont il avoit décrit si complaisamment les charmes dans une de ses odes. MADAME ayant été enlevée par une mort aussi prématurée que soudaine, il ne fut que très-peu de temps auprès d'elle. A cette époque, il avoit peut-être vendu de son

« PreviousContinue »