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des girandoles, toujours en argent, allumées de dix bougies de cire blanche; devant chaque table, il y avait une cuvette d'argent pesant 1000 marcs. La plupart de ces beaux ouvrages, chefs-d'œuvre des orfèvres du temps, avaient été exécutés aux Gobelins, où existait non seulement une manufacture de tapisseries, mais encore des ateliers de bijouterie, d'ébénisterie, de marqueterie et d'orfévrerie, où les plus habiles ouvriers travaillaient, pour les bâtiments du Roi, sous la direction de Lebrun et d'après les dessins des plus excellents artistes.

On alla ensuite dans la salle de bal, construite par Levau2, partie en verdure, partie en décors imitant le marbre, et ornée d'orangers et de jets d'eau. A deux heures du matin, les danses terminées, on alla voir les illuminations du parc et les feux d'artifice, dont Gissey avait dirigé les préparatifs. La façade du château donnant sur les jardins était ornée de 45 figures, Janus, diverses Vertus, trophées de guerre, lyres, etc., représentés par des feux de couleurs diverses et d'un éclat extraordinaire. L'Allée-Royale était éclairée d'un bout à l'autre par 72 thermes en feux de couleur, d'où partirent des milliers de fusées. Des feux grégeois brûlaient sur le bassin de Latone. Enfin un premier feu d'artifice, qui coûta 3000 livres, fut tiré, par l'artificier Fivry, du côté du grand étang, devenu plus tard la pièce d'eau des Suisses; et quand tout le monde crut que la fête était terminée, un second feu de 2700 livres, fut tiré par Liégeois, vers la Tour d'eau. Enfin quand toutes les lumières s'éteignirent, « l'on s'aperçut, dit Félibien, que le jour, jaloux des avantages d'une si belle nuit, commençoit à poindre ».

Les dépenses de la fête s'élevèrent à 117,033 livres 3.

Déjà, comme nous l'avons dit, Louis XIV avait fait exécuter d'assez grands travaux, pour augmenter et embellir le parc La grotte de Thétis, construite par Pierre de Francine, était devenue le principal ornement des jardins. Nous en donnons la description faite par Mlle de Scudéri, en faisant

1 FÉLIBIEN.

2 Premier architecte du Roi. La salle de bal était établie là où est aujourd'hui le bassin de Cérès (Plan manuscrit de 1668). Comptes des Bâtiments.

remarquer qu'elle ne parle pas des groupes de Girardon et de Marsy, qui, en effet, ne furent placés que quelques années après.

Nous fùmes vers la Grotte, qui est au bout de l'allée, et comme elle a trois grandes arcades, qu'elle est ornée de bassetailles 1, la belle Etrangère l'eût prise pour un magnifique arc de triomphe, si elle n'eût pas remarqué que les arcades étoient fermées par des portes à jour toutes dorées, d'un travail admirable, avec un soleil à celle du milieu. La seule chose qui lui fit connoître d'aussi loin que c'étoit une grotte, fut un long rang de coquilles dorées, qui règne au haut des arcades. Mais lorsque les portes s'ouvrirent, et que toutes ces personnes aperçurent la merveilleuse beauté de cette grotte, elles dirent cent choses ingénieuses pour marquer leur admiration. En effet, il n'est pas possible, la première fois qu'on voit une si belle chose, de ne douter pas de ce qu'on voit et de ne s'imaginer pas que c'est un enchantement. Les yeux sont ravis, les oreilles sont charmées, l'esprit est étonné, et l'imagination est accablée, s'il faut ainsi dire, par la multitude des beaux objets.

Cette grotte est très-magnifique, grande 3, spacieuse, ayant trois enfoncemens, dont les diverses beautés ont pourtant du rapport entre elles. Le Soleil est encore représenté au haut de la grotte comme un astre dominant en tous lieux. Tous les ornemens que l'architecture peut recevoir, y paroissent formés par des coquillages, du moins ceux qui peuvent convenir aux eaux, comme des poissons et des oiseaux aquatiques, vrais ou fabuleux. On voit aussi en divers endroits des masques et des trophées d'armes industrieusement formés de coquillages et de nacres de diverses couleurs, dont la nuance et la variété jointe à une juste symétrie font mille objets tous nouveaux et tous surprenans, et des arabesques qui plaisent infiniment. On voit à toutes les encoignures de grandes coquilles de marbre jaspé, d'où l'eau s'épanche avec une abondance extrême. Neptune est représenté dans l'enfoncement du haut de la grotte, tenant une urne renversée, d'où il sort une si grande quantité d'eau, qu'il s'en forme une grande nappe de cristal mobile, s'il est permis de parler ainsi, qui occupe toute la largeur de la grotte, et par sa beauté, comme par son murmure, remplit l'esprit d'étonnement et

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Les sculptures de la façade étaient de Van Opstal (Comptes des Bâtiments).

* Ces belles grilles, dont nous pouvons encore admirer le dessin sur la gravure de Lepautre (Chalcographie, no 2574), avaient été exécutées en 1666 par Mathieu Breton et dorées par Goy. En 1667, on les boucha avec des nattes (Comptes des Bâtiments).

3 · Elle avait, à l'intérieur, 18 mètres de long sur 13 mètres et demi de large.

Elles furent posées en 1668.

d'admiration. On voit encore des Tritons et des Néréides en divers endroits, formés de nacre et d'autres coquillages qui jettent de l'eau abondamment et qui portent pour tribut à Neptune des oiseaux ou des poissons de leur empire.

A l'entrée de la grotte paroît une table de marbre rouge; il est vrai qu'elle devient bientôt une table d'eau par un jet d'une grosseur prodigieuse, qui part avec tant d'impétuosité, qu'on diroit qu'il va percer le haut de la grotte et monter jusques au ciel. Mais, outre ces grandes nappes d'eau, ces grandes coquilles, ces Tritons, ces Néréides et ce jet prodigieux, on voit quatre chandeliers aquatiques, s'il est permis de les nommer ainsi, qui sont d'une invention admirable; ils ont, au lieu de lumière, chacun six branches dorées en figure d'algue marine, qui jettent de l'eau en abondance, et dont les jets, se croisant, font un objet merveilleux et nouveau. Au-dessus des deux coquilles de marbre jaspé qu'on voit en entrant aux deux côtés de l'enfoncement de la grotte, paroît le chiffre du Roi, sur un fond de coquillage gris-de-lin, formé de petites coquilles de nacre, qui semblent des perles; la couronne fermée, qui est audessus du chiffre, est ornée de fleurs de lys de nacre, entremêlées d'ambre, qui semble de l'or. Plusieurs miroirs enchâssés dans des coquillages multiplient encore tous ces beaux objets, et mille oiseaux de relief, parfaitement imités, trompent les yeux pendant que les oreilles sont agréablement trompées car par une invention toute nouvelle, il y a des orgues cachés et placés de telle sorte, qu'un écho de la grotte leur répond d'un côté à l'autre, mais si naturellement et si nettement, que tant que cette harmonie dure, on croit effectivement être au milieu d'un bocage, où mille oiseaux se répondent, et cette musique champêtre mêlée au murmure des eaux, fait un effet qu'on ne peut exprimer.

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On place même quelquefois en divers endroits de ce beau lieu, des orangers, des festons de fleurs qui conviennent à tout le reste; mais enfin il paroît une si grande abondance d'eau dans cette belle grotte, qu'il semble qu'il faille que la mer en soit le réservoir : et pour montrer qu'on en a de reste, quand on veut faire voir tous ces aimables objets d'un peu plus loin, et qu'on a fait retirer la compagnie, mille petits jets d'eau croisés sortent à six pas de là, et ne s'élèvent qu'autant qu'il faut pour en défendre l'entrée, et non pas pour en ôter la vue 3.

Ces quatre chandeliers en rocaille avaient été faits par Berthier (Comptes des Bâtiments, 1670).

* Exactement il y avait un orgue hydraulique, dont l'harmonie, nous dit Denis, imite le ramage et le gazouillement des oiseaux. Les Comptes des Bâtiments nous apprennent qu'il fallait souvent le réparer.

3 Ces mille petits jets d'eau n'étaient pas toujours aussi inoffensifs; on voit sur la gravure de Pérelle que les badauds qui regardaient la Grotte à travers les grilles étaient quelquefois inondés lorsqu'on les faisait partir à l'improviste. Cette surprise existait dans toutes les grottes.

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