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La Cour ne retourna à Saint-Germain que le 27 février. Au commencement de novembre, le Roi fit à Versailles les réjouissances de la Saint-Hubert avec beaucoup plus de solennité que les années précédentes. Pendant six jours il y eut chasses, concerts, bal, festins et comédies. La troupe de Molière, du 6 au 9, joua Attila, tragédie nouvelle de Corneille, que Molière avait payée 2000 livres à son auteur, et trois pièces de M. de Visé : la Veuve à la mode, une pastorale et l'Embarras de Godard ou l'Accouchée. La Cour revint à Paris, le 9, pour passer l'hiver dans le palais des Tuileries.

1668.

Du 24 au 30 avril, le Roi, la Reine, Monsieur et Madame, se divertirent, « en cette agréable saison », à Versailles. Le registre de Lagrange nous apprend que pendant ce séjour la troupe de Molière vint jouer Amphitryon, le Médecin malgré lui, Cléopâtre, le Mariage forcé et l'Ecole des Femmes.

Après la paix d'Aix-la-Chapelle, Louis XIV résolut de donner une grande fète en sa maison de Versailles.

La faveur de Mule de la Vallière arrivait à sa fin. Mme de Montespan commençait, depuis 1667, à être la maîtresse préférée du Roi, bien que Mile de la Vallière restât « la maîtresse déclarée », selon le langage du temps. Athénaïs de Mortemart, mariée en 1663 au marquis de Montespan, avait alors vingtsix ans et était, dit Saint-Simon, « belle comme le jour ». Tous les contemporains, Mme de Sévigné, Mme de la Fayette, Loret, etc., parlent avec admiration de ses beaux cheveux blonds, de ses yeux bleus à la fois pleins de feu et de douceur, de la blancheur éblouissante de son teint, de l'élégance de sa taille; et les portraits qui restent d'elle attestent la vérité de ces éloges.

La Palatine, qui n'aimait pas Mme de Montespan, écrit:

La Montespan étoit plus blanche que La Vallière; elle avoit une belle bouche, de belles dents, mais elle avoit l'air effronté; on voyoit sur sa figure qu'elle avoit quelque projet en vue. Elle avoit de

1 Marc-Antoine ou Cléopâtre, tragédie par LA THоrillière.

beaux cheveux blonds, de belles mains, de beaux bras, ce que La Vallière n'avoit pas, mais celle-ci étoit fort propre, et la Montespan une sale personne 1.

Loret, dans ses vers de gazetier, dit :

L'adorable de Mortemart,
Très-aimable mignonne, car,
C'est une des plus ravissantes,
Des plus sages, des plus charmantes,
De toutes celles de la Cour.....
Fit la quête ce saint jour-là
D'un air si doux et si modeste.....
Ou pour parler plus dignement,
Avec un si noble agrément,
Que tout chrétien, tant fût-il sage,
Etoit charmé de son visage
Plutôt angélique qu'humain.....
Oh! que sa brillante jeunesse
De libertés fut larronesse,
Et que ses propos gracieux,

Et la douceur de ses beaux yeux,

Embellis de clartés divines,

Firent d'innocentes rapines,

Puisqu'il est vrai qu'au même instant,

Cet objet, toujours éclatant,

Qui de mille amours est la source,
Attaquoit les cœurs et la bourse.

Quand elle mourut, en 1706, à soixante-six ans, Saint-Simon* prétend « qu'elle étoit encore belle et paroissoit tout ce qu'elle avoit été » ; mais la Palatine dit précisément le contraire: « Je suis convaincue que vous n'avez pas autant de rides que moi, mais je ne m'en soucie nullement n'ayant jamais été belle, je n'y ai pas perdu grand'chose. Puis je vois que celles que j'ai connues belles jadis sont, à cette heure, plus laides que moi âme qui vive ne reconnoîtroit plus Mme de la Vallière; Mme de Montespan a la peau comme quand les enfants s'amusent à jouer avec du papier, à le plier et à le replier; tout son visage est recouvert de petites rides si rapprochées les unes des autres que c'en est étonnant; ses beaux cheveux

'Lettres, édit. G. Brunet, II, 89.

* Additions au Journal de Dangeau, XI, 382.

sont blancs comme la neige, et toute la figure est rouge'. » Mme de Montespan avait encore plus d'esprit que de beauté et de grâce.

Il n'étoit pas possible, dit Saint-Simon', d'avoir plus d'esprit, de fine politesse, des expressions singulières, une éloquence, une justesse naturelle qui lui formoit comme un langage particulier, mais qui étoit délicieux, et qu'elle communiquoit si bien par l'habitude, que ses nièces et les personnes assidues auprès d'elle, ses femmes, celles que, sans l'avoir été, elle avoit élevées chez elle, le prenoient toutes, et qu'on le sent et on le reconnoît encore aujour d'hui dans le peu de personnes qui en restent. C'étoit le langage naturel de son frère et de ses sœurs.

Voltaire dira plus tard, d'après les contemporains : « Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlé de plaisanterie, de naïveté et de finesse, qu'on appelait l'esprit des Mortemart. »

Mais toute médaille, quelque belle soit-elle, a son revers. Mme de Montespan, nous dit encore Saint-Simon, « étoit impérieuse, altière, dominante, moqueuse, et tout ce que la beauté et la toute-puissance qu'elle en tiroit entraîne après soi ». Même après sa disgrâce, « elle ne put jamais se défaire de l'extérieur de reine, qu'elle avoit usurpé dans sa faveur et qui la suivit dans sa retraite ».

Le Roi, qui rencontrait sans cesse Mme de Montespan chez la Reine ou chez Mule de la Vallière, son amie, fut séduit par sa grâce et surtout par son esprit; il déclara sa passion; Mme de Montespan résista, prévint son mari, qui trouvant sans doute la chose utile pour ses intérêts, laissa faire. a Mme de Montespan, écrit Dangeau, résista longtemps, avertit son mari, le pressa de l'emmener en Guyenne, puis succomba.» Plus tard, mais trop tard, M. de Montespan se fâcha. Il se livra alors à de violentes récriminations, fit du scandale et n'obtint pour tous résultats que ces paroles de sa femme « Il est ici qui fait des contes dans la cour; je

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3 Vers 1745, époque à laquelle Saint-Simon écrivait ses Mémoires.

Le maréchal de Vivonne.

5 La marquise de Thianges et l'abbesse de Fontevrault.

6 A Saint Germain, en 1668.

suis honteuse de voir que mon perroquet et lui amusent la canaille »>, et ces mots du Roi dans une lettre à Colbert: a Montespan est un fol. »

:

Le Roi, dit Mme de Caylus, prit donc de l'amour pour Mme de Montespan dans le temps qu'il vivoit avec Mme de La Vallière, en maîtresse déclarée; et Mme de Montespan, en maitresse peu délicate, vivoit avec elle même table, et presque même maison. Elle aima mieux d'abord qu'il en usât ainsi, soit qu'elle espérât par là abuser le public et son mari, soit qu'elle ne s'en souciât pas, ou que son orgueil lui fît goûter le plaisir de voir à tous les instans humilier sa rivale.

Mue de la Vallière accepta cette position humiliante et resta à la Cour jusqu'en avril 1674, qu'elle se retira définitivement chez les Carmélites. Pendant quatre ans, le Roi donna à la France le scandale de son double adultère et de ses deux maîtresses.

Le duc de Créqui, premier gentilhomme de la Chambre, le maréchal de Bellefonds, premier maître d'hôtel, et Colbert, surintendant des bâtiments, avaient organisé la fête avec une magnificence sans pareille. Trois mille personnes furent invitées.

La collation fut servie dans le bosquet de l'Etoile1, décoré de vases de fleurs, de sculptures exécutées par Le Hongre, Houzeau et Van Opstal, et de rocailles faites par Quesnel'.

Au lieu de sièges de gazon il y avoit tout autour du cabinet des couches de melons, dont la quantité, la grosseur et la bonté étoient surprenantes pour la saison. Ces couches étoient faites d'une manière surprenante..... Comme il y a cinq allées qui se terminent toutes dans ce cabinet et qui forment une étoile, l'on trouvoit ces allées ornées de chaque côté de 26 arcades de cyprès. Sous chaque arcade, et sur des sièges de gazon, il y avoit de grands vases remplis de divers arbres chargés de leurs fruits. Dans la première de ces allées, il n'y avoit que des orangers de Portugal. La seconde étoit toute de bigarotiers et de cerisiers mêlés ensemble. La troisième étoit bordée d'abricotiers et de pêchers. La quatrième de groseilliers

Je trouve ce détail et quelques autres relatifs à la fête sur un plan manuscrit du parc de Versailles en 1668 conservé au cabinet des Estampes et .dont nous reparlerons au chapitre du Parc. Ce plan a été gravé par F. de Lapointe en 1668. Cette date m'est donnée par les Comptes des Bâtiments, qui mentionnent le paiement fait à Lapointe.

ง Comptes des Bâtiments.

de Hollande. Et dans la cinquième l'on ne voyoit que des poiriers de différente espèce. Tous ces arbres faisoient un agréable objet à la vue, à cause de leurs fruits, qui paroissoient encore davantage contre l'épaisseur du bois'.

On se rendit ensuite au théâtre, construit par Vigarani avec de la feuillée, des tapisseries et divers décors imitant le marbre. Avant la représentation, on offrit aux dames des oranges et toutes sortes de fruits. Puis on joua les Fêtes de l'Amour et de Bacchus, opéra de Quinault, musique de Lulli, et George Dandin, pièce nouvelle de Molière. Il est probable que les mieux informés des spectateurs rirent de M. de Montespan, quand ils entendirent Lubin s'écrier en parlant de George Dandin:

De quoi s'avise-t-il d'être jaloux de sa femme et de vouloir qu'elle soit à lui tout seul? C'est un impertinent, et M. le Vicomte lui fait trop d'honneur.

Après la comédie, la compagnie passa dans un grand salon de verdure construit par Gissey. Ce salon", dont la décoration fut l'une des merveilles de la fête, mérite une description particulière.

Il y avoit, dit la Gazette, outre trois grands buffets et plusieurs autres ornemens, un rocher au milieu, qui représentoit le Parnasse avec Apollon et les Muses, le tout d'argent; et Leurs Majestés soupèrent à l'entour de cette admirable machine avec d'autant plus de plaisir, que les lumières la rendoient des plus brillantes, et qu'une infinité de cascades y formoient un très-agréable murmure.

Les tables et les buffets, destinés au souper, étaient couverts de girandoles, de grands vases, de figures, de bassins, de cassolettes, de pots à fleurs, tous en argent et merveilleusement travaillés; aux bouts des buffets étaient placés des guéridons d'argent de six pieds de haut, sur lesquels étaient

FÉLIBIEN, Relation de la fête du 18 juillet 1668.

Le théâtre était établi là où est aujourd'hui le bassin de Saturne (Plan manuscrit de 1668).

3 On sait que

Louis XIV disait : C'est un fol!

Henri Gissey, ingénieur et dessinateur des plaisirs du roi, membre de.. l'académie royale de peinture, mort en 1673.

5 Le salon destiné au souper était établi là où se trouve le bassin de Flore Plan manuscrit de 1668).

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