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Un concours infini de peuple vint pendant tout le temps que le corps du prince et de la princesse furent exposés et passoit au travers du salon, par la galerie, jusqu'à une barrière qu'on avoit faite pour ne donner passage que par l'autre salle des Gardes'. »

Les corps du Dauphin et de la Dauphine ne furent transportés à Saint-Denis que le 23 février.

Antichambre de la Reine (117).

Cette salle a conservé à peu près complètement sa décoration primitive. Le plafond cependant n'est plus le même. On a remplacé sous le premier empire la peinture de Vignon, Mars et sa planète, par un saint Marc de Paul Véronèse, transporté au Louvre pendant le règne de Napoléon III, et on a placé alors une bonne copie ancienne du tableau de Lebrun représentant la famille de Darius. Ce plafond est entouré de six camaïeux peints en bronze, sur lesquels on voit les actions mémorables de diverses reines: Rodogune jurant de venger son mari, par Vignon; Artémise combattant contre les Grecs; Zénobie combattant Aurélien; Ipsicrate suivant Mithridate à la guerre, par Paillet; Clélie à cheval; Arpélie arrachant à l'ennemi son mari prisonnier, par Vignon.

La duchesse de Bourgogne fit faire dans son antichambre, en 1710, un théâtre, afin de pouvoir se donner le plaisir de la comédie pendant les derniers temps de sa grossesse. La première représentation eut lieu le 9 janvier.

« Le théâtre est magnifique et agréable, dit Dangeau', et on le laissera jusqu'au carême afin que Mmo la duchesse de Bourgogne puisse encore voir la comédie dans son appartement après ses couches. Le spectacle fut fort beau. Il n'y avoit que des dames considérables et des courtisans. »

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Polyeucte et l'Esprit de contradiction, et que le 11 on représenta le Misanthrope. Elle ajoute que le théâtre établi dans la salle à manger est fort joli.

C'est dans l'antichambre de la Reine que se tenait le grand couvert, lorsque la Reine seule, ou quelquefois le Roi avec elle, y mangeait en public'. On a un curieux récit de l'un de ces repas en public de Marie Leczinska. Quoique la scène se passe à Fontainebleau, on peut la reproduire ici.

« Je vis, dit Casanova, la reine de France sans rouge, simplement vêtue, la tête couverte d'un grand bonnet, ayant l'air vieux et la mine dévote. Dès qu'elle fut près de la table, elle remercia gracieusement deux nonnes qui y déposoient une assiette avec du beurre frais. Elle s'assit, et aussitôt les courtisans se placèrent en demi-cercle à dix pas de la table. Je me tins auprès d'eux imitant leur respectueux silence. S. M. commença à manger sans regarder personne, tenant les yeux baissés sur son assiette. Ayant trouvé bon un mets qu'on lui avoit servi, elle y revint et alors elle parcourut des yeux le cercle devant elle, sans doute pour voir si, dans le nombre de ses observateurs, il n'y avoit pas quelqu'un à qui elle dût compte de sa friandise. Elle le trouva et dit : « M. de Lowendal! A ce nom je vois un superbe homme qui s'avance en inclinant la tête, et qui dit : « Madame! Je crois que ce ragoût est une fricassée de poulets. Je suis de cet avis, Madame. Après cette réponse, faite du ton le plus sérieux, la Reine continue à manger, et le maréchal reprend sa place à reculons. La Reine acheva de diner sans dire un mot de plus. >

D

Cet ennuyeux cérémonial fatiguait Marie-Antoinette, qui s'affranchit de cette gêne aussitôt qu'elle le put. « Un des usages les plus désagréables, dit Mme Campan 2, était, pour la Reine, celui de diner tous les jours en public. Marie Leczinska avait suivi constamment cette coutume', et MarieAntoinette l'observa tant qu'elle fut Dauphine. Le Dauphin dinait avec elle, et chaque ménage de la famille royale avait

1

A son petit couvert, la Reine mangeait dans sa chambre ou dans l'un de ses cabinets (Etat de la France, 1682, t. I, p. 408).

2 I, 101.

3

Elle soupait en particulier.

T. I.

13

tous les jours son diner public. Les huissiers laissaient entrer tous les gens proprement mis; ce spectacle faisait le bonheur des provinciaux. A l'heure] des diners on ne rencontrait, dans les escaliers, que de braves gens, qui, après avoir vu la Dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli, et qui couraient ensuite à perte d'haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert.

» On peut imaginer aisément que le charme de la conversation, la gaieté, l'aimable abandon, qui contribuent en France au plaisir de la table, étaient bannis de ces repas cérémonieux. Il fallait même avoir pris, dès l'enfance, l'habitude de manger en public pour que tant d'yeux inconnus dirigés sur vous n'otassent pas l'appétit. »

Salle des Gardes de la Reine (118).

Cette salle, appelée d'abord la salle du Billard, était à l'origine toute pavée et lambrissée de marbre; elle fut ensuite parquetée, mais les chambranles et les lambris de marbre furent conservés, et cette belle salle a encore toute sa décoration du temps de Louis XIV.

Le plafond représente Jupiter accompagné de la Justice et de la Pitié. C'est l'œuvre de Noël Coypel, qui a peint aussi aux voussures: Ptolémée Philadelphe rendant la liberté aux Juifs; Alexandre-Sévère faisant distribuer du blé; Trajan rendant la justice; Solon expliquant ses lois. Coypel peignit aussi, sur la corniche, une balustrade d'or, avec quantité d'hommes et de femmes « qui admirent la magnificence de ce lieu 1».

On remarque dans l'ameublement actuel de la salle des Gardes aux angles, quatre vases de porphyre rouge, qui étaient autrefois dans la Grande-Galerie ; sur la cheminée, deux navicelles en porphyre rouge avec garniture de cuivre doré ; une table en bois sculpté-doré, dont le dessus est une plaque d'échantillons de marbres, évidemment faite aux Gobelins sous Louis XIV. Nous citerons aussi le portrait de la duchesse de Bourgogne par Santerre.

COMBES.

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L'événement principal de l'histoire de la salle des Gardes est la défense qu'y firent les Gardes du corps, le 6 octobre 1789, pour arrêter les bandes armées qui avaient envahi le château et voulaient pénétrer dans l'appartement de la Reine.

« Le 6 octobre 1789, les Gardes du corps avaient passé la nuit dans cette salle et dans les salles voisines. A six heures du matin, le château est envahi par une foule d'hommes et de femmes armés de piques, de fusils et de sabres, qui se portent vers l'escalier de la Reine. Les Gardes du corps, sans chefs et sans ordre, essaient vainement de contenir cette masse sur le palier de l'escalier et sont refoulés dans leur salle où ils se barricadent. Bientôt deux panneaux de la porte de la salle des Gardes sont enfoncés, et la populace s'y précipite en proférant des cris de mort contre la Reine. Un des gardes, Varicour, qui avait été placé en sentinelle à la porte de l'appartement de la Reine et qui la barrait avec son mousqueton, reçoit un coup de sabre sur la main; il est désarmé et entraîné dehors jusque sur la place d'Armes, où on lui tranche la tête. Un autre garde, Durepaire, le remplace à la porte de l'appartement de la Reine; il est saisi par sa bandoulière, terrassé et trainé jusqu'à la porte du grand escalier par des gens des deux sexes qui crient : « Il faut lui couper le cou. » Un homme veut lui plonger une pique dans la poitrine. Durepaire s'en saisit et, ce point d'appui l'aidant à se relever, il arrache la pique des mains de son agresseur, s'en sert pour parer les coups qui lui sont portés et parvient à se dégager. Pendant ce temps, un autre Garde du corps, Miomandre de Sainte-Marie, avait repris le poste de Varicour et de Durepaire. Il ouvre la porte de l'antichambre, crie à une des femmes de service : « Sauvez la Reine! » et referme la porte. Il pare un premier coup de pique; un second le terrasse, et alors un homme armé d'un fusil l'étourdit d'un coup de crosse et le dépouille; cependant il parvint à se relever et à rejoindre Durepaire. Mais le dévouement des Gardes du corps avait donné le temps à la Reine de se réfugier auprès du Roi, et à la Garde nationale de délivrer le château de la populace qui l'avait envahi 1. »

1 SOULIÉ.

IV

LES PETITS APPARTEMENTS DE LA REINE

(122).

Les petits appartements de la Reine ont été entièrement remaniés et décorés à l'époque de Marie-Antoinette. Bien qu'il soit impossible de faire connaitre exactement leur état primitif et les transformations qu'ils ont subies avant le règne de Louis XVI, nous réunirons ici quelques faits qui permettent d'entrevoir leur histoire.

A l'époque de Marie-Thérèse les petits appartements avaient très-peu d'étendue; les bâtiments actuels n'existaient pas pour la plupart. La Reine y avait un oratoire décoré par J.-B. de Champagne, qui avait mis tous ses soins à peindre la sainte Thérèse du plafond'. On sait encore que Noël Coypel avait décoré le tympan de la porte de cet oratoire, et que Boule avait fait des ouvrages à la « petite chambre de la Reine 3».

3

En 1699, le duc de Bourgogne ayant atteint l'âge fixé pour vivre avec la duchesse de Bourgogne, à laquelle Louis XIV avait donné l'appartement de la Reine, on éleva dans la petite cour de Monseigneur un bâtiment qui coupa cette cour en deux; et, au premier étage, on fit pour le duc de Bourgogne un logement, qui établit en même temps une communication entre l'appartement du Roi et l'appartement de la duchesse de Bourgogne.

Louis XIV décida que le duc de Bourgogne coucherait dans l'appartement de la duchesse et qu'il viendrait le matin s'habiller dans son appartement particulier. Ce fut le 22 octobre

1 Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie royale de peinture, publiés par L. DUSSIEUX, SOULIÉ, ETC., I, 348. 2 Voir au no 702 du Catalogue des dessins du Louvre, par M. Reiset. Comptes des Bâtiments de 1672.

3

$ Par l'antichambre du Roi.

DANGEAU, 1699, 1er juillet.

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