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que les importunités des personnes les plus recommandables de la cour avaient eu tant de peine à lui arracher, il raya ce chiffre trop modique, et y substitua, de sa main, celui de 6,000 francs'. Il eut même plus d'une fois occasion de causer avec elle, et, revenu de ses préventions, il finit par désirer sa société. Il pourvut aux dépenses nécessaires pour qu'elle eût un plus grand nombre de domestiques, un carrosse et un train conforme à celui de gouvernante des enfants d'un roi. C'est en cet état que madame de Sévigné nous la dépeint, lorsque, dans sa lettre du 4 décembre 1673, elle écrit à sa fille : « Nous soupâmes encore hier, avec madame Scarron et l'abbé Têtu, chez madame de Coulanges: nous causâmes fort; vous n'êtes jamais oubliée. Nous trouvâmes plaisant d'aller ramener madame Scarrọn, à minuit, au fond du faubourg Saint-Germain, fort au delà de madame de la Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne; une belle et grande maison, où l'on n'entre point; il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements : elle a un carrosse, des gens et des chevaux; elle est habillée modestement et magnifiquement, comme une femme qui passe sa vie avec des personnes de qualité; elle est aimable, belle, bonne, et négligée; on cause fort bien avec elle. Nous revinmes gaiement à la faveur des lanternes, et dans la sûreté des voleurs 3

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Louis XIV, en voyant plus souvent les enfants qu'il

'SÉVIGNÉ, Lettres (20 mars 1673, Lettre de madame de Coulanges), t. III, p. 146, édit. G.; t. III, p. 75 et 76, édit. M.

2 MADAME DE COULANGES, Lettres (20 mars 1673).

3 SÉVIGNÉ, Lettres (4 décembre 1673), t. II, p. 248, édit. G.; t. III, p. 158, édit. M.

avait confiés à madame Scarron, conçut pour eux une vive tendresse, et il voulut les avoir près de lui. Ce fut ainsi qu'à la grande satisfaction de madame de Montespan madame Scarron fut appelée à la cour pour y demeurer près d'elle, et, par elle, introduite dans la société intime du roi.

CHAPITRE IV.

1671-1677.

Madame de Sévigné s'inquiète sur son fils. Elle ne fréquentait que des sociétés de cour. Son fils recherchait des sociétés de ville, indépendantes de la cour. - Détails sur madame Dufresnoy et sur Louvois. - Réflexions sur ce qui procure le plus de jouissances dans les réunions et dans les fêtes.

voyait. Détails sur chacune d'elles.

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Des femmes que Sévigné · Détails sur mademoiselle

Raymond, sur les dames de Salins, de Montsoreau, de la Sablière et sur Ninon de Lenclos. - Sévigné devient amoureux d'elle, et lui sacrifie la Champmeslé. - Ninon n'est point satisfaite du baron de Sévigné, et lui donne son congé comme amant; mais elle le garde comme ami. Madame de Sévigné emmène son fils en Bretagne. 11 retourne à Paris. - Il s'y serait dérangé de nouveau; mais la campagne contre la Hollande va s'ouvrir, et Sévigné part pour l'armée.

Madame de Grignan et les affaires qui la concernaient, les états de Provence et ceux de Bretagne, n'étaient pas alors ce qui occupait le plus les pensées de madame de Sévigné. Son fils avait tout ce qui rend aimable, tout ce qui peut mériter l'estime : une figure agréable, une gaieté charmante, un bon cœur, de l'esprit et de l'instruction; mais, depuis son retour de Candie, son penchant pour les femmes, son oubli de tout devoir religieux' inquiétaient sa mère : non qu'il fût né avec des passions très-vives; mais le pouvoir de l'exemple, la facilité de son caractère lui avaient inspiré un goût prononcé pour les plaisirs. Il

'SÉVIGNÉ, Lettres (15 avril 1671), t. II, p. 23, édit. G.; t. II, p. 19, édit. M.

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était parvenu à un âge où le fils le plus respectueux et le plus reconnaissant éprouve le besoin de s'affranchir de la tutelle d'une mère. Madame de Sévigné comprit cela; et, pour conserver sur son fils un peu de l'ascendant qu'elle avait eu jusqu'alors, elle changea de rôle. Au lieu d'une mère, Sévigné trouva en elle une sœur, une confidente; au lieu de lui montrer un visage sévère, elle parut se plaire avec lui plus qu'elle n'avait fait jusqu'alors; au lieu de lui adresser des réprimandes, elle lui donna des conseils. Ce fut ainsi qu'elle obtint toute sa confiance, et qu'il s'accoutuma à lui tout dire. Sans doute elle eut à supporter d'étranges confidences, de nature à lui donner des scrupules, et à lui faire douter si elle ne poussait pas trop loin la condescendance maternelle. Mais cette violence qu'elle se fit lui réussit; elle parvint à accroître encore l'amour et la vénération que son fils avait pour elle. Ce sentiment devint un heureux contre-poids à d'autres sentiments moins purs. Elle ne put, il est vrai, garantir Sévigné de dangereuses séductions; mais elle parvint du moins à les rendre passagères, à empêcher qu'elles n'eussent des résultats désastreux pour sa santé et sa fortune.

Sévigné, avant le départ de sa mère pour les Rochers, avait quitté son régiment à Nancy, parce qu'une dame', qui lui plaisait, n'était plus dans cette ville. Il se rendit à Saint-Germain en Laye, où était la cour, revint ensuite à Paris, prit pour maîtresse une jeune et célèbre actrice; et, ce qui effraya le plus madame de Sévigné,

1 Madame de Sévigné nomme cette dame Madruche; mais elle souligne ce nom, qui en cache évidemment un autre qu'elle n'a pas voulu mettre. SÉVIGNÉ, Lettres (25 février 1671), t. I, p. 344.

il se laissa séduire par Ninon de Lenclos. Ce fut pour le soustraire à l'influence de cette enchanteresse que madame de Sévigné, comme nous l'avons dit, entraîna son fils aux Rochers, lors de la tenue des états de Bretagne; mais, comme il n'avait pas encore atteint l'âge où il devait en faire partie, les visites à faire', les grands repas, les assemblées lui firent regretter Paris et les liaisons qu'il y avait formées 2. Il quitta donc sa mère avant la fin des états. « Mon fils partit hier, écrit madame de Sévigné à sa fille. Il n'y a rien de bon, ni de droit, ni de noble que je ne tâche de lui inspirer ni de lui confirmer : il entre avec douceur et approbation dans tout ce qu'on lui dit; mais vous connaissez la faiblesse humaine. Ainsi je mets tout entre les mains de la Providence, et me réserve seulement de n'avoir rien à me reprocher sur son sujet 3. »

Ce n'est pas que le baron de Sévigné ne vît, du reste, aussi bonne société que celle que fréquentait sa mère; mais cette société était différente. Toutes les personnes que voyait madame de Sévigné, tant ses anciennes que ses nouvelles connaissances, tenaient plus ou moins à la cour. La gloire du monarque, qui rejaillissait sur cette cour, et l'ambition du grand nombre de ceux qui aspiraient à s'élever jusqu'à elle par les hauts grades ou les honneurs, en avaient fait un monde à part, et absolvaient tacitement, dans l'opinion publique, les travers et même les vices de ceux qui en faisaient partie.

Le duc de la Rochefoucauld ne paraissait plus à cette

1 SÉVIGNÉ, Lettres (10 juin 1671), t. I, p. 95, édit. G.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (24 et 28 juin 1671), t. II, p. 109 et 113, édit. G.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (5 juillet 1671), t. II, p. 125, édit. G. ; t. II, p. 104, édit. M.

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