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timés; ceux de madame de Montespan ne paraissaient pas; leur existence était encore un secret. Dans ses chasses à Fontainebleau ou à Saint-Germain en Laye, lorsque Louis XIV montait en voiture, accompagné de ses deux maîtresses, la place d'honneur était réservée à la Vallière'; de sorte que, depuis qu'elle avait été enlevée du couvent de Chaillot2, on doutait si la tendresse que le monarque avait conservée pour elle ne l'emporterait pas sur sa nouvelle passion. Mais la fierté de Montespan s'irritait de cet humiliant partage, et se vengeait, dans l'intimité, de la contrainte qu'elle éprouvait en public. La Vallière supportait les capricieuses hauteurs et les insultants sarcasmes d'une rivale sans pitié, dans l'espérance que sa soumission, ses humbles complaisances et le spectacle de sa douleur toucheraient un cœur qu'elle était habituée à posséder tout entier, auquel elle se sacrifiait et voulait jusqu'à la fin se sacrifier 3.

Au milieu de ce conflit de rivalités, apparaissait de temps à autre celle qui s'était chargée d'élever pour Dieu et pour le roi les innocents fruits d'un coupable amour. Lorsque madame Scarron allait voir la favorite, par son esprit, son enjouement, elle faisait sur elle diversion aux

érigées en duché-pairie par lettres patentes données à Saint-Germain en Laye au mois de mai 1667.

'Mémoires de François DE MAUCROIX; 1842, in-12, p. 32 et 33 chap. xx.

2 Voyez la 3o partie de ces Mémoires, p. 209, chap. xII.

3 CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 379.- Lettres de madame DE MAINTENON, édit. de Sautereau de Marsy, t. 1, p. 50 (Lettre à mademoiselle d'Heudicourt, 24 mars 1669).- LA BEAumelle, édit. de 1756, t. I, p. 48. - Bossuet, ŒŒuvres, édit. de Versailles, t. XXXVII, p. 57, 59, 65 (Lettre au maréchal de Bellefonds, 25 décembre 1673). DE BAUSSET, Hist. de Bossuet, liv. VI, t. II, p.30-35.

tristesses et aux ennuis de la cour. Belle et gracieuse, la modeste gouvernante ne semblait vouloir plaire que pour apaiser les orages du cœur et calmer les troubles de l'âme. Son maintien, cet air de satisfaction intérieure, témoignages d'une conscience pure et d'une vie bien réglée, donnaient à toutes ses paroles, à ses conseils salutaires, à ses pieuses réflexions une puissance presque irrésistible. Le roi était contrarié et jaloux des longs entretiens de madame de Montespan avec madame Scarron; il voulut y mettre obstacle, ce qui accrut encore chez la favorite le désir de jouir de la société de madame Scarron'. On sut bientôt l'étroite intimité qui existait entre elles deux. Les personnes qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s'approcher de madame de Montespan recherchèrent madame Scarron. Elle qui, de son propre aveu, était dévorée du désir de s'attirer des louanges et avide de considération et d'estime 2, se répandit dans le monde, et fréquenta les personnes les plus estimées, les plus considérées, les plus capables d'apprécier sa vertu et ses qualités personnelles. C'est alors que madame de Sévigné se lia plus particulièrement avec elle; c'est aussi par les lettres de madame de Sévigné que nous pouvons suivre les premiers progrès de l'élévation de cette femme, qui se doutait peu qu'elle deviendrait la compagne d'un roi qui lui adressait si rarement quelques brèves paroles. Mais cependant madame Scarron pouvait déjà prévoir que les enfants que, d'après le désir de madame de Montespan, le roi lui avait confiés, mais dont elle n'avait

LA BEAUMELLE, Mémoires de Maintenon, t. VI, p. 210 (1or entretien).

2 LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire, t. I, p. 151.

voulu se charger que par son ordre, seraient un jour pour elle un moyen d'influence1.

Dans les lettres de madame de Sévigné, nous apprenons que madame Scarron allait souvent chez madame de Coulanges, avec Segrais, Barillon, l'abbé Testu, Guilleragues, les comtes de Brancas et de Caderousse, et madame de la Fayette. Dans ces réunions, l'éloge de madame de Grignan, lorsque sa mère était présente, trouvait souvent sa place 2.

Madame Scarron, pendant quelque temps, soupa presque tous les jours chez madame de Sévigné 3. « C'est un plaisir, dit celle-ci, de l'entendre raisonner sur les horribles agitations d'un certain pays qu'elle connaît bien; sur les tristes ennuis des dames de Saint-Germain, dont la plus enviée de toutes [madame de Montespan] n'est pas toujours exempte3. » Jamais madame Scarron, quand elle était avec madame de Sévigné, ne laissait échapper l'occasion de louer madame de Grignan 4, et de répéter tout ce que madame de Richelieu, la maréchale d'Albret et les autres personnes de la cour avaient dit de flatteur sur le lieutenant général gouverneur de Provence, et sur sa belle épouse. Madame Scarron

1 MAINTENON, Lettres, t. I, p. 50 (Lettre du 24 mars 1669), édition 1806, in-12; t. I, p. 48, édit. 1756, in-8°. Conférez la 1re partie de ces Mémoires, p. 467, 2o édition, et 2° partie, p. 451 de la 1 édition.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (6 janvier 1672), t. II, p. 338, édit. G; t. II, p. 286, édit. M.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (25 décembre 1671), t. II, p. 325, édit. G.; t. II, p. 275, édit. M.-(13 janvier 1672), t. II, p. 342, édit. Ġ. ; t. II, p. 290, édit. M.

4 SÉVIGNÉ, Lettres (9 mars 1672), t. II, p. 421, édit. G.; t. II, p. 358, édit. M.

faisait jouer la petite Blanche lorsqu'elle la rencontrait chez madame de Sévigné, et poussait la complaisance jusqu'à la trouver jolie'.

Mais bientôt arrive le moment où les enfants que madame Scarron élève dans le plus profond mystère quittent le sein des nourrices, et éprouvent ces alternatives de santé qui menacent sans cesse l'existence du premier âge. Madame Scarron n'hésite pas ; elle a compris son rôle et les sacrifices pénibles qu'il exige d'elle. On ne la voit plus ni à l'hôtel d'Albret, ni à l'hôtel de Richelieu, ni chez madame de Coulanges, ni chez madame de Sévigné2. Elle est dans Paris, et on l'ignore. Le petit nombre de personnes avec lesquelles elle communique par lettres ne répondent à aucune des questions qu'une légitime curiosité suggère à tous ceux qui la connaissent; elle ne sort que rarement de la retraite qu'elle s'est choisie, et seulement pour de pieux devoirs. Hors de chez elle, elle n'ôte jamais son masque. Les enfants dont elle a soin sont souvent conduits au château, et reçoivent les caresses paternelles. Un jour elle les amena, les fit entrer avec une nourrice dans la chambre où étaient le roi et madame de Montespan, et elle resta dans l'antichambre. Le roi trouva plaisant de demander à cette nourrice de qui étaient ces enfants, et si l'on connaissait leur père. La nourrice répondit qu'elle présumait que la dame sa maîtresse en était la mère: ses soins assidus, ses agitations et sa douleur, lorsqu'ils étaient malades, l'indiquent assez; mais quant au

'SÉVIGNÉ, Lettres (26 février 1672), t. II, p. 400, édit. G.; t. II, p. 339, édit. M.

2

SÉVICNÉ, Lettres (26 décembre 1672, Lettre de madame de Coulanges), t. 111, p. 64.

père, elle l'ignore: elle pense que ce sont les enfants naturels de quelque duc ou de quelque président au parlement'.

Ce propos fit rire le roi et madame de Montespan; mais le roi admira une si généreuse affection, un cœur capable d'un si fort attachement, un secret si bien gardé, tant de constance et de prudence. Cette femme qu'il n'aimait pas, qui fut la protégée de Fouquet, qui porte le nom odieux de l'auteur de la Mazarinade; cette femme qui lui déplaît encore comme une précieuse bel esprit, comme une prude dévote, il ne peut s'empêcher de lui accorder son estime; et Louis XIV était un de ces hommes chez lesquels l'estime triomphe de toutes les répulsions. Lorsqu'il fut revenu de la campagne de Hollande, non-seulement il ne mit plus aucun obstacle aux entretiens de madame Scarron avec madame de Montespan, mais il aimait à la rencontrer chez elle, parce que, par sa douce gaieté et son esprit, elle faisait distraction aux langueurs qui souvent attiédissent les tête-à-tête de l'amour satisfait. Son âge, un peu au-dessus de celui du roi, et sa dévotion ôtaient alors toute idée de jalousie à madame de Montespan; et peut-être fut-elle la dernière à s'apercevoir qu'alors le roi, lorsqu'il la venait voir, « souffrait impatiemment l'absence de cette gouvernante de ses enfants, qu'il trouvait aimable et de bonne compagnie. » Aussi, lorsque peu après on lui présenta l'état des pensions, et qu'il remarqua le nom de la veuve Scarron porté pour une somme de 2,000 francs, d'après une concession

I LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire de madame. de Maintenon, t. II, p. 11, et t. VI, p. 213 (x1° entretien).— Madame SCARRON (Lettre à mademoiselle d'Heudicourt, du 24 décembre 1672), t. I, p. 52 de l'édit. de Sautereau de Marsy; 1806, in-12. 2 Cucisy, Mémoires, dans Petitot, t. LXVI, p. 393-395.

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