Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

subir comme épouse l'humiliation d'une tendresse partagée; puis les retours et les écarts successifs d'un cœur trop scrupuleux pour ne pas se débattre dans ses chaînes et trop faible pour les rompre '. Elle se fit adorer, dans la province, par ceux que repoussaient l'humeur grondeuse et les formes sévères de son mari. Lorsque, pendant la guerre civile de la Fronde, celui-ci eut été blessé, et qu'une fièvre ardente mettait ses jours en danger, elle qui, dans ces temps de trouble et de trahison, ne pouvait se fier à personne, prit en main, sans hésiter, le gouvernement de la Saintonge et de l'Angoumois, dont la défense avait été confiée au duc de Montausier 2. Déjà envahies par des troupes rebelles, les populations commençaient à se révolter. Madame de Montausier, de la ruelle maritale qu'elle ne quittait ni jour ni nuit, envoya des ordres et des instructions, qui furent si bien donnés, si bien exécutés, qu'en peu de temps les soulèvements cessèrent, et que les troupes hostiles à la cause royale furent repoussées hors des limites de la province 3.

Lorsque madame de Montausier eut été nommée gouvernante des enfants de France et dame d'honneur de la reine, tous ses moments furent absorbés par les devoirs de ses places; et c'est alors que madame de Motteville lui reproche d'être plus dévouée à l'estime publique qu'à l'estime particulière 4. Hélas! c'est qu'à cette cour dont

1 Mémoires de Montausier, t. I, p. 46, 84, 136. —Tallemant des REAUX, 2o édit., 1840, in-12, t. III, p. 254; t. II, p. 252 de l'édition in-8°.

• Conférez la 1" partie de ces Mémoires, p. 447, seconde édition, chap. XXXII.

3 Mémoires de M. le duc de Montausier, p. 135, 143 et 148.

4 MOTTEVILLE, t. XL, p. 156. TALLEMANT DES RÉAUX, 2o édition, in-12, t. III, p. 249.

elle faisait partie, et où l'intérêt de son mari et de sa fille la forçait de rester, sa vertu souffrait cruellement : elle y remplissait des fonctions qui la rendaient journellement spectatrice de la vie intime du monarque ; et, dans une telle situation, elle sentait le besoin d'être protégée par l'estime publique contre la crainte de perdre la sienne 1. Elle avait succédé, comme dame d'honneur de la reine, à la duchesse de Navailles, si glorieusement chassée pour n'avoir pu tolérer les entrées nocturnes du roi dans la chambre des filles, et avoir fait murer la porte par où il venait.

Lorsque le roi s'éprit de madame de Montespan, madame de Montausier fut en butte à d'odieux soupçons. La reine fut avertie de cette nouvelle passion par une lettre anonyme, qui accusait madame de Montausier d'avoir conduit cette intrigue 2. On sut bientôt que l'auteur de cette lettre était M. de Montespan. Il renouvela à madame de Montausier, chez laquelle il s'était introduit sans être annoncé, l'accusation écrite, et il l'accabla d'injures. Le noble cœur de Julie fut brisé par cet outrage. Elle n'était pas encore remise de la douleur qu'il lui avait causée, lorsqu'en se rendant dans la chambre de la reine, et par un couloir obscur où en plein jour était allumé un flambeau, elle vit une grande femme qui venait droit à elle : quand elle fut proche, le fantôme disparut 3. Proféra-t-il, comme on l'a depuis prétendu, des plaintes ou des reproches? Il ne paraît pas qu'il en fut ainsi, puisque la frayeur qu'avait causée à madame de Montausier cette mystérieuse apparition fut telle,

MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 116 et 117.

2 MONTPENSIER, Mémoires, ibid.

3 MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 196 (année 1670).

qu'elle ne put calmer son imagination et s'empêcher d'en parler à tout le monde; et la vive impression qu'elle en ressentit subsistant toujours, elle tomba malade. On fut obligé de la transporter à son hôtel (l'hôtel de Rambouillet); là elle fut visitée par la reine et par toute la cour, surtout par madame de Sévigné, qui, dans ses fréquentes assiduités auprès du lit de madame de Montausier', observa avec douleur les progrès du mal auquel elle devait succomber2. La gazette officielle, en faisant connaître le jour du décès de cette femme tant célébrée par les beaux esprits, dit qu'elle sera regrettée de toute la France, comme elle l'est de la cour et de sa famille. Cette même gazette ajoutait qu'un courrier avait été envoyé à Richelieu, afin d'annoncer à la duchesse de Richelieu le choix que le roi avait fait d'elle pour occuper la place de dame d'honneur de la reine, qu'avait madame de Montausier 3. Madame de Sévigné, par une seule phrase, nous apprend l'activité qu'exigeait cette place de la part de celle qui l'exerçait; et en même temps ce qu'avait été l'hôtel de Rambouillet, et l'opinion qu'on avait de la nouvelle dame d'honneur, comparée à celle qui l'avait précédée 4. « Nous parlâmes fort de ma

I

1 SÉVIGNÉ, Lettres (13 mars 1671), t. I, p. 372, édit. G.; t. I, p. 287, édit. M.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (15 mai 1672), t. I, p. 71, édit. G. TAUSIER, Mémoires, t. II, p. 28, 31, 33.

MON

3 Recueil des gazettes nouvelles, ordinaires et extraordinaires, 1672, in-4o, p. 1120 (21 novembre 1671). LOUIS XIV, Œuvres,

t. V, p. 489 (Lettre du roi à la duchesse de Richelieu, datée de Versailles le 16 novembre 1671). Ainsi cette lettre de nomination est du lendemain même de la mort de la duchesse de Montausier.

4 SÉVIGNÉ, Lettres (12 janvier 1680), t. VI, p. 297, édit. G.; t. VI, p. 103, édit. M.

dame de Richelieu, qui renouvelle de jambes, et qui, n'ayant pas le temps de dormir ni de manger, doit craindre enfin la destinée d'une personne qui avait plus d'esprit qu'elle et plus accoutumée au bruit; car, avant que madame de Montausier fût au Louvre, l'hôtel de Rambouillet était le Louvre : ainsi elle ne faisait que changer d'habitation. »>

Il paraît que c'est à madame Scarron, dont elle avait été une des protectrices, que la duchesse de Richelieu dut d'avoir été nommée dame d'honneur; c'est du moins ce que croyait madame de Sévigné, qui ajoute : « Si cela est ainsi, madame Scarron est digne d'envie; et sa joie est la plus solide qu'on puisse avoir en ce monde'. » Réflexion juste: la plus grande jouissance serait de faire du bien à ceux qui nous en ont fait, si l'on n'en goûtait pas une plus parfaite encore en faisant du bien à ceux qui nous ont fait du mal.

Ce passage de la lettre de madame de Sévigné est le premier indice du crédit que madame Scarron obtenait à la cour, où cependant elle ne paraissait pas publiquement. Elle avait acquis un grand ascendant sur madame de Montespan, avec laquelle elle s'était liée depuis longtemps. Son esprit, sa prudence, sa discrétion, sa haute raison, son dévouement, et même le redoublement de piété qu'on remarquait en elle depuis quelque temps2, contribuaient à accroître l'estime et l'amitié de madame de Montespan, et affermissaient la confiance

'SÉVIGNÉ, Lettres (6 décembre 1671), t. II, p. 305, édit. G.; t. II, p. 259, édit. M.

[ocr errors]

2 Conférez la 3e partie de ces Mémoires, p. 94 et 95, chap. v. CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 382. LA BEAUMELLE, Mémoires de madame de Maintenon, chap. 1 et 11, p. 1-18.

qu'elle avait en elle. Malgré le désordre où elle vivait, madame de Montespan, élevée par une mère pieuse, avait, aussi bien que le roi, une foi sincère dans la religion. Selon l'esprit de ce temps, elle croyait atténuer ses torts envers Dieu en se soumettant aux pratiques et aux privations ordonnées par l'Église. Madame de Caylus affirme que madame de Montespan jeûnait austèrement tous les carêmes '.

Avec l'ardeur et les lumières d'une nouvelle convertie, madame Scarron comprit tout ce que sa vertu lui donnait d'ascendant sur des consciences qui avaient besoin d'être rassurées, sur des âmes qui ne pouvaient se purifier que par le sacrifice de leurs honteuses passions. Les humbles fonctions d'institutrice mettaient au nombre de ses devoirs de chercher à ramener à l'obéissance des lois de l'Église et aux principes de la morale le père et la mère des enfants de race royale2 à l'éducation desquels, avec une tendresse toute maternelle, elle sacrifiait ses plus belles années.

A cette époque, madame de Montespan avait déjà eu deux enfants du roi3, et cependant sa liaison avec lui semblait encore voilée par la présence de la Vallière. Celle-ci paraissait être la seule maîtresse déclarée. Le roi l'avait titrée 4, ses enfants avaient été reconnus et légi

'CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 388.

2 Le premier mourut à l'âge de trois ans ; le second, Auguste de Bourbon, depuis duc du Maine, était né le 31 mars 1670. Conférez CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 384, et la 3o partie de ces Mémoires, chap. XII, p. 208 à 213.

3 Anne-Marie de Bourbon, dite mademoiselle de Blois, naquit à Vincennes le 2 octobre 1666, et Louis de Bourbon, comte de Vermandois, naquit un an après, le 2 octobre 1667.

4 La terre de Vaujour et la baronnie de Saint-Christophe furent

« PreviousContinue »