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portrait de sa fille, peint par Mignard : elle avait refusé rabutinement, comme elle le dit, cette faveur à ses plus intimes amis, au bel abbé, l'évêque de Carcassonne, à l'abbesse de Fontevrault, sœur de madame de Montespan, enfin même à MADEMOISELLE 2. Le chevalier de la Garde ne put rien faire pour son cousin, le comte de Grignan ; la riche pension de 18,000 livres dont il jouissait (36,000 fr.) fut supprimée, et il fut presque entièrement ruiné 3.

A toutes ces personnes que le mariage de mademoiselle de Sévigné avec le comte de Grignan avait placées dans des rapports de famille et d'intimité tant avec elle qu'avec madame de Sévigné, il faut joindre la marquise du Puy du Fou, mère de la seconde femme du comte de Grignan 4. Elle avait peu d'esprit, mais sa bonté la faisait chérir. Comme elle demeurait à Paris, madame de Sévigné la voyait souvent, et même la recherchait, à cause de l'attachement qu'elle avait conservé pour celui qui avait été son gendre, et de l'amitié qu'elle avait pour madame de Grignan. Madame de Sévigné passait des heures entières avec madame du Puy du Fou, et lui confiait sa

Ce portrait, ou plutôt une copie de ce portrait, est dans le Musée de Versailles; mais celui qui est à côté, entouré de même d'une guirlande de fleurs, n'est pas le portrait de la marquise de Sévigné (Marie de Rabutin-Chantal), quoique indiqué comme tel dans les catalogues. Voyez la note à la fin de notre 2o partie.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (19 août, 9 septembre 1675), t. IV, p. 35, 89, édit. G.; t. III, p. 460, édit. M. - Ibid. ( 16 juillet et 15 août 1677), Ibid., t. V, p. 133 et 188, édit. M. décembre 1689), t. IX, p. 267, 274.

t. V, p. 286, 287, 349, édit. G..

3 SÉVIGNÉ, Lellres (25 et 28

(8 janvier 1690), t. IX, p. 297, édit. M.

4 Voyez la 3o partie de ces Mémoires, t. III, p. 128, note 5, et p. 140.

petite-fille Marie-Blanche, et madame du Puy du Fou en avait soin comme de son propre enfant'.

Les Simiane étaient aussi cousins des Grignan 2; et, parmi les nouvelles connaissances que son séjour en Provence procura à madame de Grignan, on remarque la marquise de Simiane, dont le fils épousa celle à qui nous devons la publication des Lettres. Madame de Sévigné avait eu occasion de rencontrer dans le monde madame de Simiane, et elle félicite sa fille d'avoir en elle une compagnie agréable 3. Elle fait l'éloge de son amabilité, mais elle ne lui reconnaît pas une excellente tête; elle la blâme de vouloir se séparer de son mari, à cause des fréquentes infidélités qu'il lui faisait, ajoutant assez lestement : « Quelle folie ! Je lui aurais conseillé de faire quitte à quitte avec lui 4. >>>

La maison de madame de Grignan se composait d'un nombreux personnel, conforme au rang qu'elle tenait en Provence; et ceux qui en faisaient partie paraissent avoir été bien choisis pour la soulager dans les devoirs qu'elle avait à remplir, et la distraire de ce qu'ils pouvaient avoir de pénible. Deux femmes de chambre étaient attachées à son service; et l'une d'elles, nommée Deville, fille de son

SÉVIGNÉ, Lettres (13 mars, 8 et 13 mai 1671), t. I, p. 373; t. II, p. 63 et 72, édit. G. Ibid. (14 mars 1696), t. XI, p. 284, édit. G.

2 Voyez la 3e partie de ces Mémoires, 2o édit., p. 130, note 4, p. 129, note 2.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (28 juin 1671), t. II, p. 115, édit. G.; t. II, p. 96, édit. M.

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4 SÉVIGNÉ, Lettres (8 mai, 12 août 1676), p. 70, édit. G.; t. IV, p. 289 et 419, édit. M. t. IX, p. 237.

IV, p. 430; t. V, (18 novembre 1695),

maître d'hôtel', en savait assez pour l'aider, et, au besoin, pour la suppléer dans ses correspondances. Une demoiselle de Montgobert, pieuse mais enjouée, d'un esprit original, plaisait beaucoup à madame de Sévigné2; elle était demoiselle de compagnie; et Ripert3, l'intendant des Grignan, était un homme d'esprit et d'une société agréable : il avait sa chambre au château de Grignan, à côté de celle des deux pages 4.

Madame de Sévigné instruisait avec grand soin madame de Grignan des variations de la mode. Elle savait que sa fille, par sa beauté et par son rang, avait en Provence le privilége d'être le patron sur lequel les femmes se réglaient"; et c'est à la cour de Louis XIV qu'alors la mode avait,

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SÉVIGNÉ, Lettres (6 mai, 21 juin 1671), t. II, p. 62, édit. G., et p. 15 de la lettre du 21 juin, rétablie, 1826, in-8°. Ibid. (5 juin et 8 juillet 1671 ), t. II, p. 126, 131, édit. G. L'autre femme de chambre se nommait Cateau. M. de Grignan, en la mariant, en fit une nourrice.

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2 SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars, 4 avril 1671), t. I, p. 382; t. II, p. 5, édit. G. (6 octobre 1675), t. IV, p. 20, édit. M.; t. IV, p. 31, édit. G. (23 février 1676, t. IV, p. 348, édit. G. (14 juin 1677), t. V, p. 91, édit. M. - (11 octobre 1679), t. V, p. 459, édit. M. (14 février 1680), t. VI, p. 160.- (10 juillet 1680), t. VI, p. 370.— (17 juillet 1680), t. VI, p. 376. (18 août 1680), t. VI, p. 422.

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(8 septembre 1680), t. VI, p. 450.

p. 20, 23, 33.

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3 Voyez la 3o partie de ces Mémoires, p. 326 et 465, et SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars 1671, 26 juillet 1675), t. I, p. 38 et 39 de l'édit. de la Haye, p. 379 et 380, édit. G.

4 Inventaire des papiers Simiane, Mss. de la Bibliothèque royale. Inventaire des meubles de la maison de Grignan, dressé le 27 novembre 1672. La chambre de M. d'Uzès était près de celle de mademoiselle de Montgoubert (sic).

5 SÉVIGNÉ, Lettres (21 juin 1671), p. 10 et 11 de la lettre rétablie, 1826, in-8°.

pour toute l'Europe, établi le siége de son empire. Les lettres de madame de Sévigné fourniraient d'exacts et nombreux détails à celui qui voudrait nous retracer les lois absolues et les bizarres volontés de cette capricieuse reine du monde élégant. C'est surtout lorsqu'elle était à Aix', que madame de Grignan avait ses plus fréquentes réunions et étalait le plus de luxe. Madame de Sévigné faisait fréquemment à sa fille des cadeaux de modes nouvelles, et lui envoyait des cravates, des éventails, et autres petits objets; mais madame de Grignan ayant écrit à sa mère qu'elle se proposait de se faire peindre et de lui faire présent de son portrait, madame de Sévigné lui envoya un tour de perles de douze mille écus, acheté à la vente de l'ambassadeur de Venise. Elle lui écrivait en même temps: « On l'a admiré ici : si vous l'approuvez, qu'il ne vous tienne point au cou; il sera suivi de quelques autres". >>

Cependant, même à Aix, madame de Grignan pouvait se soustraire au monde et à la dissipation; et elle n'y manquait pas aux époques où la religion lui en faisait un devoir. Elle se retirait alors dans le couvent des sœurs de Sainte-Marie, où par un privilége spécial, et à cause de son aïeule la bienheureuse Chantal, elle était admise temporairement sur le pied de religieuse, et avait sa cellule particulière 3.

Le séjour de madame de Grignan chez les sœurs de

I SÉVIGNÉ, Lettres. (15 mars, 4 avril, 19 et 30 août ), t. I, p. 382; t. II, p. 2, 5, 192, 211, édit. G.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (9 mars 1672), t. II, p. 414, édit. G.; t. II, p. 352, édit. M.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (8 avril 1671), t. II, p. 6, édit. G.; t. II, p. 5, édit. M.

Sainte-Marie n'était jamais bien long, et n'avait lieu qu'à de grands intervalles. Cette existence calme et reposée pouvait lui plaire pendant quelques jours, par son contraste avec l'agitation de sa vie habituelle; mais elle n'avait pas, comme sa mère, le goût de la retraite et de la campagne, les rêveries d'une âme profondément émue, les palpitations d'un cœur avide de tendresse et d'amour. Ces troubles intérieurs, qui étaient à la fois pour madame de Sévigné une source intarissable de jouissances et de tourments, lui étaient inconnus. Elle savait que sa réputation de beauté, de savoir, de raison, de prudence, s'était accrue à la cour depuis son départ, et par son année de séjour en Provence. Le rang qu'elle tenait dans ce pays flattait son orgueil : là, peut-être, elle se félicitait de n'être pas éclipsée par sa mère comme à Versailles, comme à Paris. C'eût été pour elle déchoir que de cesser d'être la première, que de se retrouver sur un degré d'infériorité ou mème d'égalité. M. de Grignan ne pensait pas ainsi : il aurait mieux aimé être auprès du monarque, que d'avoir l'honneur de le représenter dans une province lointaine; les peines et les soins du gouvernement lui étaient à charge. Ayant appris que le maréchal de Bellefonds voulait quitter sa place de premier maître d'hôtel du roi, il était disposé à acquérir cette charge; mais madame de Grignan s'y opposa, et le fit rester en Provence. On peut juger combien cette résolution affligea sa mère, qui n'osa s'en plaindre que bien doucement. «Ma chère enfant, lui ditelle, cette grande paresse de ne vouloir pas seulement sortir un moment d'où vous êtes, me blesse le cœur. Je

'SÉVIGNÉ, Lettres (29 janvier 1672), t. II, p. 366.

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