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Grignan '; et, à cette occasion, madame de Sévigné prit le soin de lui donner une devise: c'était une fusée poussée à une grande élévation, avec ces mots italiens: Che peri, purchè s'innalzi, « Qu'elle périsse, pourvu qu'elle s'élève. » Le plus jeune de tous les Grignan, il n'avait point cette morgue de famille qui faisait dire à M. de Guilleragues que tous les Grignan étaient des glorieux. Lorsqu'on lui opposait l'exemple du chevalier Adhémar3, « Celui-là, disait-il pour ne pas se rétracter, n'est que glorioset. >> Ce singulier sobriquet de petit Glorieux resta au chevalier Adhémar 4. De tous ses frères, il était le plus attentif et le plus complaisant pour madame de Grignan; il lui servait de secrétaire lorsque quelque indisposition l'empêchait de tenir la plume 5. Ce fut là sans doute ce qui valut à madame de Grignan les malins vaudevilles et les épigrammes que l'on composa sur elle 6, moins cependant à propos d'Adhémar qu'au sujet du frère de celui-ci, nommé, à cause de sa taille, le grand chevalier. Il se trouvait alors

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* SÉVIGNÉ, Lettres (1er novembre 1671), t. II, p. 236, édit. M. 2 Ibid. (11 novembre 1671), t. II, p. 242, édit. M. — (2 décembre 1671), t. II, p. 300, édit. G. Cette devise est celle de Porchère d'Augier, dans la description du carrousel. Voyez TALLEMANT, Historiettes, t. III, p. 318.

3 Ibid. (15 novembre 1671.)

4 SÉVIGNÉ, Lettres (23 et 30 août 1671), t. II, p. 201, 211, édit. G.; t. II, p. 168, édit. M.

5 SÉVIGNÉ, Lettres (6 septembre 1671).

6 Conférez la parodie de la fable de la Cigale et de la Fourmi, dans le Recueil de pièces curieuses et nouvelles tant en prose qu'en vers; la Haye, 1695, in-12, t. II, seconde partie. p. 230. - Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine, 1re édit., 1820, in 8o, Voyez ci-dessus, 3e partie de ces Mémoires, chap. vin,

p. 392. p. 127.

au château de Grignan, et mourut l'année suivante à Paris, de la petite vérole, chez son oncle l'évêque d'Uzès'. C'est à ce chevalier de Grignan que madame de Sévigné défendait de monter à cheval en présence de sa fille, tant le souvenir de la fausse couche qu'il avait occasionnée par sa chute faisait d'impression sur elle. Tels étaient dans la famille de Grignan les hommes qui se réunissaient au château de Grignan, et en composaient la société. Les filles que le comte de Grignan avait eues de son premier mariage avec Angélique-Claire d'Angennes étaient encore trop jeunes pour y figurer 3. L'aînée n'avait que dix ans, et la cadette seulement sept ans, lorsque leur père se remaria avec mademoiselle de Sévigné 4. Le duc de Montausier, leur oncle par alliance, puisqu'il avait épousé Julie d'Angennes, s'opposait à ce qu'elles allassent demeurer chez leur belle-mère, craignant que celle-ci ne se prévalût de l'innocence de leur jeune âge, et ne leur inspirât prématurément de l'inclination pour la vie religieuse cependant il finit par céder aux instances de madame de Grignan, et s'aperçut bientôt qu'il ne s'était pas trompé dans ses prévisions 5. Louise-Catherine-Adhémar, l'aînée des deux filles de M. de Grignan et de Claire d'Angennes, excitée par sa belle-mère, ses oncles et

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1 SÉVIGNÉ, Lettres (22, 27, 29 janvier, 3 et 10 février 1671), t. II, p. 300, 307, 309, 313, 319, édit. M. - (4 novembre 1671), t. II,

p. 203, édit. G.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (19 août 1671), t. II, p. 196, édit. G. Voyez ci-dessus, 3 partie de ces Mémoires, chap. xv, p. 84.

Voyez la 3o partie de ces Mémoires, chap. vш, p. 136.

4 DANGEAU, Journal mss. en date du 24 janvier 1684, cité dans les Lettres de SÉVIGNÉ, t. VII, p. 398, édit. M.

5 SÉVIGNÉ, Lettres (4 août 1677), t. V, p. 172, et la note 1, édit. M. (25 janvier 1687), t. VII, p. 411, édit. M.

toute sa famille, dans son penchant à la dévotion, voulut entrer aux Carmélites; mais la délicatesse de sa santé ne lui permit pas de soutenir les austérités de l'ordre: elle ne put achever son noviciat; elle se retira comme pensionnaire dans un couvent, et y vécut avec autant de régularité et de piété que la religieuse cloîtrée la plus attachée à ses devoirs. Sur le bien de sa mère, il lui revenait quarante mille écus; elle en fit don à son père; et madame de Grignan ne déguise pas qu'elle se servit de l'influence qu'elle avait acquise sur cette jeune fille, pour la déterminer à prendre cette résolution. Bussy profite de cette occasion pour lancer un sarcasme piquant, mais juste ', contre madame de Grignan; et madame de Sévigné, au contraire, chez qui la tendresse pour sa fille, et sa continuelle préoccupation pour tout ce qui concernait ses intérêts et sa grandeur, étouffaient tout autre sentiment, la félicite d'avoir « fait merveille », et exprime, par les termes les plus énergiques, son admiration pour Catherine-Adhémar, qu'elle appelle une fille céleste, par opposition à sa sœur cadette, qui est pour elle la fille terrestre 2. En effet, celle-ci, Françoise-Julie, qu'on nommait ordinairement mademoiselle d'Alérac 3, quoique soumise à la même éducation et aux mêmes influences que sa sœur, eut des goûts très-différents : elle aimait le monde, et elle se plaisait beaucoup dans la société de madame de Sé

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1 SÉVIGNÉ, Lettres (18 janvier 1687), t. VII, p. 414, édit. M. 2 Ibid. (18 août, 11, 18 et 25 septembre 1680), t. VI, p. 420, 455, 458, 459, 465, 473, édit. M. · Ibid. (2 et 16 octobre 1680, 1er octobre et 24 décembre 1684, 8 mai et 25 octobre 1686), t. VII, p. 10, 24, 93, 176, 382, 398 et 400, édit. M.

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3 Conférez la 3° partie de ces Mémoires, p. 136,

vigné, qui la trouvait aimable '. Jolie et faite pour plaire', elle fut recherchée en mariage par le chevalier de Polignac et M. de Belesbat. Ces deux mariages se rompirent, non par le fait de madame de Grignan. Pourtant le défaut d'accord entre la belle-mère et la belle-fille fut tel, que celle-ci abandonna brusquement la maison paternelle, et se retira chez son oncle par alliance, le duc de Montausier, et ensuite au couvent des Feuillantines 3. Elle se maria enfin avec le marquis de Vibraye, sans la participation et aussi sans l'opposition de sa famille.

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Des trois sœurs qu'avait le comte de Grignan, une seule doit nous occuper, puisque celle qui se fit religieuse à Aubenas ', et celle qui se maria au marquis de Saint-Andiol (en 1661)6, ne sont mentionnées que deux ou trois fois dans la correspondance de madame de Sévigné. Il n'en est pas de même de Thérèse-Adhémar de Monteil; celle-ci épousa le comte de Rochebonne 7, qui commanda long

1 SÉVIGNÉ, Lettres (20 septembre 1684), t. VII, p. 165, édit. M. 2 SÉVIGNÉ, Lettres (13 décembre 1684), t. VII, p. 213, édit. M. 3 SÉVIGNÉ, Lettres (1er mars, 20 et 24 septembre, 13 décembre 1684, 15 août 1685, 1er mai 1686 ), t. VII, p. 141, 165, 168, 176, 212, 335, 382, édit. M.- Ibid. (27 septembre 1687, 9 mars et 30 avril 1689), t. VIII, p. 17, 373, et la note.

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4 Elle fut mariée le 7 mai 1689. Conférez le Journal mss. de Dangeau à cette date, cité par M. Monmerqué dans SÉVIGNÉ, Lettres (30 avril 1689), t. VIII, p. 455, édit. M.

5 Conférez la 3o partie de ces Mémoires, t. III, p. 136. VIGNÉ, Lettres (6 octobre 1673), t. III, p. 106, édit. M. — ( 15 juin 1680), t. VI, p. 323, édit. M.

6 SÉVIGNÉ, Lettres (8 juillet 1685), t. VIII, p. 73, édit. G.

7 Il était de plus chanoine, comte et chamarier de l'église SaintJean de Lyon. Conférez la 3o partie de ces Mémoires, 2o édit., chap. vi, p. 138, note 4.

temps à Lyon pour le roi. La comtesse de Rochebonne ressemblait beaucoup à son frère, le comte de Grignan : c'est dire assez qu'elle n'était pas belle; aussi est-ce par antiphrase et en plaisantant que madame de Sévigné la qualifie de jolie femme 1. Sa laideur, et la surdité dont elle était affligée, étaient rachetées par le plus heureux caractère. Elle s'était liée d'amitié avec madame de Grignan, et l'affection que celle-ci avait pour elle s'étendait jusqu'à ses enfants. Elle en avait un grand nombre; presque tous étaient remarquables par leur esprit précoce, leurs jolies figures, la fraîcheur de leur teint et leurs grâces enfantines2.

Un des parents du comte de Grignan, que madame de Sévigné aimait le mieux, était le chevalier comte de la Garde, qui avait été gouverneur de la ville de Furnes et lieutenant des gardes du corps de la reine mère 3. Sa baronnie de la Garde était voisine du comté de Grignan, et il allait fréquemment au château. Lorsqu'il échoua dans le projet de mariage qu'il avait conçu, on était presque certain qu'il resterait célibataire 4; et comme la forte pension dont il jouissait le rendait riche, on croyait qu'il avantagerait le comte de Grignan. Dans cet espoir, madame de Sévigné avait pour lui de grands égards; il fut la seule personne à laquelle elle permit de faire copier le

1 SÉVIGNÉ, Lettres (27 juillet 1672), t. III, p. 41, édit. M. (19 juillet, 16 et 19 août, 27 septembre, 4 octobre 1671.)

2 SÉVIGNÉ, Lettres (10 octobre 1673, 6 novembre 1675, 28 août 1676, 23 juin 1677, 15 et 20 mai 1689), t. II, p. 190, 196, 242, 249; t. III, p. 107; t. IV, p. 75 et 146; t. V, p. 113; t. VIII, p. 470; t. IX, p. 42, édit. G.

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3 Conférez la 3o partie de ces Mémoires, 2o édit., p. 129, note 3. 4 SÉVIGNÉ, Lettres ( 17 mai, 24 juin, 8 juillet 1676), t. IV, p. 299, 308, 373, édit. M. — Ibid. ( 4 décembre 1689), t. IX, p. 238, édit. M

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