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France, était gouverneur de cette province. C'était à l'époque où les militaires d'un haut grade hésitaient à donner le monseigneur aux maréchaux de France. Grignan, Lavardin, Beuvron et autres évitaient la difficulté en faisant écrire leurs femmes, leurs mères, leurs sœurs. Le marquis d'Ambres, plus franc ou plus fier, refusa net le monseigneur au maréchal d'Albret 1; et tous deux en appelèrent au jugement du roi sur ce différend. Le roi ordonna à d'Ambres de donner le titre de monseigneur à d'Albret. Cette décision fut la loi à laquelle tout le monde se soumit. D'Ambres, dont elle choquait l'orgueil, en s'y conformant, écrivit à d'Albret une lettre insolente, qui lui attira une réponse de même sorte. Le résultat de cette querelle fut que d'Ambres quitta le service 2. C'était, dit Saint-Simon, un « grand homme très-bien fait, trèsbrave homme, avec de l'esprit et de la dignité dans les manières. » Il fut despote dans ses domaines et à la cour, où il paraissait souvent, quoique froidement accueilli par le roi, auquel il survécut, ayant prolongé sa carrière jusqu'à l'âge de quatre-vingt-un ans 3.

Ce n'était pas seulement par ses victoires, par la bravoure de ses troupes, par le génie de ses généraux et de ses marins que Louis XIV agitait toutes les puissances de l'Europe et pesait sur elles; c'était encore par l'activité de ses négociations, l'adresse et l'habileté de ses diplomates.

Paris, Didot, 1839, in-8°, p. 411. – SÉVIGNÉ, Lettres (3 avril 1671), t. I, p. 319, édit. M.

1 SÉVICNÉ, Lettres (3 avril 1671), t. I, p. 411, édit. G.; t. I, p. 319, édit. M.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (19 et 27 août 1675), t. IV, p. 29 et 69, édit. G.; t. III, p. 406, 433 et 434, édit. M.

3 Il mourut en 1721, sa femme en 1693. SÉVIGNÉ, Lettres (1693), t. X, p. 446, édit. G.

Jamais toutes ces causes de succès n'agirent avec plus d'évidence et de force que durant les conférences de Cologne et dans tout le temps qui précéda la paix de Nimègue. Jamais monarque ne sut plus que Louis XIV profiter avec habileté de la bonne fortune; ce qui est peut-être plus rare que de savoir trouver des ressources contre la mauvaise. C'est bien à tort qu'en s'emparant des fautes de la vieillesse de Louis XIV on a voulu lui ravir la gloire due à ses belles années, et attribuer l'éclat de cette partie de son règne aux seuls grands hommes dont il savait s'entourer. Aujourd'hui que tout ce qu'il y a d'important à connaître de cette grande époque de notre histoire a été mis au jour, nous savons que tout aboutissait à ce roi; et si Condé, Turenne, Louvois lui soumettaient leurs idées pour la guerre; si Colbert, Louvois, Pomponne, le Tellier traitaient et préparaient les grandes affaires de l'intérieur et de l'extérieur, c'était lui seul qui ordonnait ; lui seul répartissait le travail entre ses ministres, ses commandeurs, ses guerriers, ses chefs d'escadre; de sorte qu'aucun conflit d'autorité ne pouvait nuire à l'action du gouvernement. Il saisissait avec un coup d'œil d'aigle l'ensemble et les résultats des opérations militaires, les intérêts compliqués des différents États, s'attachant à connaitre et à influencer les personnages qui les gouvernaient. Il ne confiait de ses secrets, de ses pensées, à ses serviteurs les plus dévoués, que ce qui leur était strictement nécessaire pour bien opérer dans les différentes affaires dont ils étaient chargés. Les deux puissances qu'il avait eu le talent d'enchaîner aux intérêts de la France étaient la Suède et l'Angleterre. Pour ce dernier pays, il avait employé toutes les ressources de l'intrigue, de la corruption; et il était parvenu à entraîner Charles II, ses minis

tres et ses ambassadeurs dans la sphère de son ambitieuse politique, contre les intérêts de l'Angleterre, contre la volonté du parlement anglais, affaibli dans son opposition à la couronne par le souvenir récent des dernières révolutions et dominé par la crainte d'en produire encore une nouvelle. Il résultait de cette situation des deux États une sorte d'alliance et de confraternité entre la cour de France et celle d'Angleterre; et la seconde imitait la première, beaucoup plus brillante et plus riche.

Charles II, qui pendant l'usurpation de Cromwell avait passé en France sa jeunesse, conservait sur le trône ses inclinations pour les mœurs faciles, élégantes de ce pays. Sa cour, comme celle de Louis XIV, fut brillante, polie, remarquable par l'éclat des fêtes, des beautés qui y brillėrent; et elle fut aussi le théâtre de beaucoup d'intrigues amoureuses, auxquelles les courtisans se complaisaient, à l'exemple du monarque. Ces rapports de goûts, d'occupations, de divertissements contribuèrent à former les liens qui unissaient les souverains et la noblesse des deux pays on s'occupait en France des aventures, des intrigues galantes d'Angleterre, comme en Angleterre de celles de France.

Une des femmes qui avaient fait le plus de bruit à Paris, pour sa beauté, était la comtesse de Northumberland.

Madame de la Fayette envoya, le 30 septembre 1672, à madame de Sévigné, à Aix, une lettre du comte de Sunderland, la chargeant de la faire remettre à la comtesse de Northumberland, à Aix. « M. de la Rochefoucauld, que le comte de Sunderland voit très-souvent, s'est chargé de lui remettre ce paquet. Comme vous n'êtes plus à Aix, ajoute-t-elle, je vous supplie d'écrire un mot à madame de Northumberland, afin qu'elle fasse réponse, et qu'elle vous

mande qu'elle l'a reçu : vous m'enverrez sa réponse. On dit ici que si M. de Montaigu n'a pas un heureux succès de son voyage; il passera en Italie, pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux de madame de Northumberland qu'il court le pays. Mandez-moi un peu ce que vous verrez de cette affaire, et comme quoi il sera traité '. >>

Montaigu était alors l'amant de la duchesse de Brissac; il la négliga dès qu'il commença à faire sa cour à la comtesse de Northumberland".

D'après ce que nous venons de dire des cours de France. et d'Angleterre, on serait tenté de croire que le mystérieux paquet de l'ambassadeur anglais était relatif à une intrigue d'amour, et que le comte de Sunderland, qui avait succédé à Montaigu en qualité d'ambassadeur en France, était encore son rival à l'égard de la comtesse de Northumberland.

Ces apparences n'avaient rien de réel. La réputation de la comtesse de Northumberland fut toujours intacte; et Robert Spencer, second comte de Sunderland, qui fut deux fois ambassadeur en France et deux fois premier ministre d'Angleterre, avait épousé une très-belle femme : c'était Anne Digby, fille du fameux lord Digby, comte de Bristol, dont Bussy a raconté, dans son libelle, les amours avec la duchesse de Châtillon3.

I SÉVIGNÉ, Lettres (30 décembre 1672), t. III, p. 137, édit. G.; t. III, p. 66, édit. M.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (26 mai 1673), t. III, p. 155, édit. G.; t. III, p. 83, édit. M.

1

3 Madame de Sévigné and her contemporaries; London, 1841, in-12, t. II, p. 236. BUSSY, Histoire amoureuse des Gaules, p. 142 et 149, édit. avec l'estampe du salon de la Bastille, in-18 de 258 pages. HAMILTON, Mémoires de Gramont, t. I, p. 201 des

Œuvres, édit. de Renouard, in-8°, 1802.

Lord Digby, dont la vie si remplie d'aventures fut, selon l'expression d'Horace Walpole, une contradiction perpétuelle, avait été fort lié, au temps de la Fronde, avec le duc de la Rochefoucauld, et il ne manqua pas de lui recommander son gendre et sa fille. Celle-ci fut présentée à la cour de Louis XIV, où, parmi tant de femmes remarquables, sa beauté fit sensation 1.

Il n'en fut pas ainsi de lady Northumberland, au jugement de madame de la Fayette, dont les appréciations, il faut le dire, sont presque toujours sévères et souvent peu ' bienveillantes quand il s'agit des personnes de son sexe. Dans sa lettre du 15 avril 1673, elle écrit à madame de Sévigné : « Madame de Northumberland me vint voir hier; j'avais été la chercher avec madame de Coulanges. Elle me parut une femme qui a été fort belle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne ni où il soit resté le moindre air de jeunesse : j'en fus surprise. Elle est assez mal habillée, point de grâce: enfin, je n'en fus point du tout éblouie. Elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou, pour mieux dire, ce que je dis; car j'étais seule. M. de la Rochefoucauld et madame de Thianges, qui avaient envie de la voir, ne vinrent que comme elle sortait. Montaigu m'avait mandé qu'elle viendrait me voir; je lui ai fort parlé d'elle; il ne fait aucune façon d'être embarqué à son service, et paraît très-rempli d'espérance 2. »

En effet, Montaigu partit le 24 mai, pour se rendre en Angleterre; lady Northumberland, deux jours après 3.

Recueil des gazettes de 1673, p. 100 et 292, 28 janvier et 27 mai

1673.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (15 avril 1673), t. III, p. 151, édit. G. ; t. III, p. 79, édit. M.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (26 mai 1673), tom. III, p. 155, édit. G.

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