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Grand compositeur de devises, il avait fini par adopter celle que madame de Sévigné lui avait donnée, et il fit graver sur son cachet un aigle qui approche du soleil, avec ces mots du Tasse : L'alte non temo. Quant au petit abbé de Montigny, il venait de prendre possession de son évêché de Saint-Pol de Léon, et avait été reçu, l'année précédente, à l'Académie française; il a été plusieurs fois mentionné dans ces Mémoires'. Autant il avait autrefois charmé par son esprit et ses vers madame de Sévigné, autant elle aimait à l'entendre disputer avec la Mousse sur la philosophie de Descartes. Hélas! elle prévoyait peu qu'elle le perdrait avant la fin des états. Elle le vit retourner à Vitré, où il mourut, à la fleur de l'âge, dans les bras de son frère l'avocat général, qui l'aimait tendrement.

« Je lui offris, écrit madame de Sévigné à madame de Grignan, en parlant de ce dernier, de venir pleurer en liberté dans mes bois : il me dit qu'il était trop affligé pour chercher cette consolation. Ce pauvre petit évêque avait un des plus beaux esprits du monde pour les sciences, c'est ce qui l'a tué; comme Pascal, il s'est épuisé. Vous n'avez pas trop affaire de ce détail; mais c'est la nouvelle du pays, et puis il me semble que la mort est l'affaire de tout le monde 2. >»

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t. II, p. 184 et 185, édit. M. — (4 octobre 1671), t. II, p. 249, édit. G.; t. II, p. 211, édit. M. (27 mai 1672), t. III, p. 41. (14 septembre 1675), t. IV, p. 101, édit. G.; t. III, p. 469, édit. M. Registre des états de Bretagne, Mss. Bl., no 75, p. 339.

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Voyez la 3 partie, chap. v, p. 89-96. Conférez D'OLIVET, Hist. de l'Académie française; 1729, in-4o, p. 113. — Sévigné, Lettres (30 août 1671), t. II, p. 111, édit. G.; t. II, p. 176, édit. M.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (2, 23, 27 et 30 septembre 1671), t. II, p. 213, 237, 245, édit. G.; t. II, p. 177, 196, 199, 206 et 207, édit. M Montigny mourut le 28 septembre, à trente-cinq ans.

Aussitôt après l'arrivée du duc de Chaulnes à Vitré1, cette petite ville prit un aspect de grandeur et de luxe qui étonna madame de Sévigné elle-même. On vit entrer un régiment de cavalerie avec ses beaux chevaux, sa musique, et nombre d'officiers richement escortés. La variété * des costumes brodés d'or, les femmes parées, les brillants équipages, le bruit des violons, des hautbois et des trompettes, produisirent dans cette ville, peu de jours avant si calme, une agitation qui électrisa madame de Sévigné, et lui fit trouver du plaisir à ce qu'elle avait auparavant si fort redouté. « Je n'avais jamais vu les états, dit-elle 2; c'est une assez belle chose. Je ne crois pas qu'il y ait une province rassemblée qui ait un aussi grand air que celle-ci; elle doit être bien pleine : du moins il n'y en a pas un seul à la guerre ni à la cour; il n'y a que le petit guidon [son fils, qui était guidon des gendarmes], qui peut-être y reviendra un jour comme les autres.>>

Les assises des états de Bretagne se composaient de tous les commissaires du roi, c'est-à-dire, du gouverneur, des lieutenants généraux, du premier président du parlement, de l'intendant, des avocats généraux, du grand maître des eaux et forêts, des receveurs généraux des finances, etc., au nombre d'environ vingt-cinq personnes. Puis venaient nosseigneurs les députés de l'ordre de l'Église, au nombre de vingt-deux; ceux de l'ordre de la noblesse, au nombre de cent soixante-quatorze, le duc de Rohan, baron de Léon, à leur tête, et, en dernier lieu, soixante-dix députés de l'ordre du tiers3. Dans sa

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1 SÉVIGNÉ, Lettres (5 août 1671), t. II, p. 170 et 171, édit. G.; t. II, p. 143, édit. M.

2 Ibid., t. II, p. 172, édit. G.; t. II, p. 143, édit. M.

3 Recueil de la tenue des états de Bretagne, de 1629 à 1723, ma

lettre en date du 5 août, madame de Sévigné dit : « Après ce petit bal, on vit entrer tous ceux qui arrivaient en foule pour ouvrir les états. Le lendemain, M. le premier président, MM. les procureurs et avocats généraux du parlement, huit évêques, M. de Morlac, Lacoste et Coëtlogon le père, M. Boucherat qui vient de Paris [c'est le même qui fut depuis chancelier de France], cinquante bas Bretons dorés jusqu'aux yeux, cent communautés. Le soir, devaient venir madame de Rohan d'un côté, et son fils de l'autre, et M. de Lavardin, dont je suis étonnée1. » Fort liée avec le marquis de Lavardin, madame de Sévigné avait des raisons de croire qu'il ne devait pas arriver si prompte

ment.

On a dit à tort que madame de Sévigné s'étonnait que M. de Lavardin fût venu, parce que, lieutenant général et non gouverneur, il ne pouvait paraître qu'au second rang, et que, dans ce cas, les lieutenants généraux s'absentaient souvent. Ce ne peut être le motif de l'étonnement de madame de Sévigné.

Non-seulement le duc de Chaulnes avait été nommé par lettres patentes commissaire du roi pour la tenue des états (le 6 mai), mais d'autres lettres patentes, datées du 25 juin, le nommaient aussi gouverneur et lieutenant général du duché de Bretagne; place vacante, disent ces lettres, « depuis la mort de la feue reine, notre très-honorée dame et mère. » Or, le marquis de Lavardin, nommé

nuscrit de la bibliothèque du Roi, Bl.-Mant., no 75, in-fol., p. 340, année 1671. — Liste de nosseigneurs les états de Bretagne, tenant à Morlaix, 20 octobre 1772. A Morlaix, chez Jacques Vatar, libraire.

'SÉVIGNÉ, Lettres (5 août 1671), t. II, p. 172, édit. G.; t. II, p. 143, édit. M.

lieutenant général aux huit évêchés, devait présenter les lettres patentes de la nomination du gouverneur aux assises des états; ce qu'il fit dans la séance du 22 août, après avoir fait l'éloge du duc de Chaulnes. « Celui-ci était, dit le procès-verbal, placé sur une chaise à bras (un fauteuil) et sous le dais, le marquis de Lavardin à sa droite, sur une chaise à bras et sur une plate-forme plus basse. »> Les motifs que le roi fait valoir pour demander des secours extraordinaires à la province sont : « pour la construction d'un grand nombre de vaisseaux, la fourniture de nos arsenaux, l'achèvement du superbe bâtiment du Louvre, etc. '. » On dépensa cette année fort peu d'argent pour le Louvre, mais en récompense on en dépensa beaucoup pour la marine ; et on doit compter, comme dépenses extraordinaires, l'hôtel des Invalides, qui fut commencé cette année; la fondation d'une académie d'architecture; les leçons publiques de chirurgie et de pharmacie, qui furent établies au Jardin royal (Jardin des Plantes)”.

Madame de Sévigné regrette beaucoup que son gendre n'ait point à traiter avec les Bretons des intérêts du roi. Les états réunis à Vitré ne ressemblaient guère, en effet, à ceux tenus à Lambesc. Autant ces derniers s'étaient montrés parcimonieux et indociles envers le comte de Grignan, autant les premiers furent libéraux et prodigues pour le duc de Chaulnes 3. « Les états, dit-elle, ne doi

I Cet et cætera termine l'énumération des besoins. Recueil de la tenue des états de Bretagne, Mss. de la Biblioth. royale, cote Bl.-Mant., no 75, in-folio, p. 339-347.

2 FORBONNAIS, Recherches et considérations sur les finances de France, édit. in-12, t. III, p. 95.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (28 octobre 1671), t. II, p. 274, édit. G.; t. II, p. 232, édit. M.

vent pas être longs; il n'y a qu'à demander ce que veut le roi; on ne dit pas un mot: voilà ce qui est fait. Pour le gouverneur, il trouve, je ne sais comment, plus de quarante mille écus qui lui reviennent. Une infinité de présents, de pensions, de réparations de chemins et de villes, quinze ou vingt grandes tables, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie, voilà les états; j'oublie trois à quatre cents pipes de vin qu'on y boit'. >>

A ces diners, à ces bals, à ces comédies, madame de Sévigné assiste souvent, malgré le désir qu'elle aurait de se tenir toujours aux Rochers. Elle dit : « La bonne chère est excessive; on remporte les plats de rôti tout entiers; et pour les pyramides de fruits, il faut faire hausser les portes 2. » Mais celui qui surpasse en luxe de table le gouverneur lui-même, c'est d'Harouïs, le trésorier des états de Bretagne, qui avait épousé une Coulanges, et était par conséquent allié à la famille de madame de Sévigné. Elle dit à madame de Grignan : « M. d'Harouïs vous écrira; sa maison va être le Louvre des états: c'est un jeu, une chère, une liberté jour et nuit, qui attirent tout le monde 3. » D'Harouïs s'était engagé à payer cent mille francs aux états de plus qu'il n'avait de fonds, « et trouvait, dit madame de Sévigné, que cela ne valait pas la peine de le dire : un de ses amis s'en aperçut. Il est vrai que ce ne fut qu'un cri dans toute la Bretagne, jusqu'à ce qu'on lui ait fait justice: il est adoré

'SÉVIGNÉ, Lettres (5 août 1671), t. II, p. 173, édit., G.; t. II, p. 144, édit. M.

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2 SÉVIGNÉ, Lettres (ibid.), t. II, p. 170, édit. G.; t. II, p. 142, edit. M.

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Ibid., t. II, p. 172, édit. G.; t. II, p. 143, édit. M. t. II, p. 211, édit. G.; t. II, p. 176, édit. M.

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