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ment. Ces haines et ces rivalités de province lui paraissaient bien mesquines, et elle écrivait à sa fille : « Adhémar m'aime assez, mais il hait trop l'évêque et vous le haïssez trop aussi : l'oisiveté vous jette dans cet amusement; vous n'auriez pas tant de loisir si vous étiez ici 1. » Mais à l'époque dont nous nous occupons, madame de Sévigné était fort animée contre Forbin-Janson, et ne pouvait lui pardonner une conduite qu'elle eût trouvée fort légitime si elle n'avait nui qu'à ses seuls intérêts. Cette fois, son amour pour sa fille la rendit non-seulement injuste, mais ingrate. Ce fut lui, ce fut Forbin-Janson qui, dans les trois jours de son voyage à Marseille, lui fit les honneurs de la Provence avec un éclat, une grâce, une complaisance qu'elle ne peut s'empêcher de reconnaître dans ses lettres, et qui prouvent qu'il avait pour elle autant d'amitié que d'estime. Peut-être aussi le désir de se rendre agréable à l'amie de M. de Pomponne, qui, sans aucun doute, la lui avait recommandée, contribua-t-il à la conduite qu'il tint en cette circonstance. Elle fut flattée, mais non satisfaite, des prévenances dont elle était l'objet; elle y voyait de la duplicité; elle eut le tort de ne rien déguiser de ce qu'elle pensait. L'aigreur de ses paroles ne changea en rien les manières de l'évêque, et ne parut pas avoir altéré ses bons sentiments pour elle. Elle était femme, elle était mère; il la plaignit, et lui pardonna ses reproches. Du reste, elle peint vivement les plaisirs qu'elle éprouva pendant ce petit voyage. Elle fut enchantée de voir Marseille par un beau temps, mais qui ne dura guère. Avant d'y arriver, du

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1 SÉVIGNÉ, Lettres (9 mars 1672), t. II, p. 353, édit. M. ; t. II, p. 416, édit. G. Sur Adhémar, le beau-frère de madame de Grignan, qui prit le nom de chevalier de Grignan, voyez la lettre du jeudi 22 décembre à midi, t. III, p. 127, édit. G.

haut de cette colline qu'on nomme la Vista, elle contemple avec admiration la ville, le port, la multitude des bastides qui l'environnent, et la mer. « Je suis ravie, dit-elle, de la beauté singulière de cette ville. Je demande pardon à Aix, mais Marseille est bien plus joli, et plus peuplé que Paris à proportion; il y a cent mille âmes au moins : et de vous dire combien il y en a de belles, c'est ce que je n'ai pas le loisir de compter 1. »

I

Elle paraît surtout charmée de ce mélange de costumes et de populations qui, pour une Parisienne et une femme de la cour, était en effet neuf et surprenant. « La foule des chevaliers qui vinrent hier voir M. de Grignan à son arrivée fut grande; des noms connus, des Saint-Herem, etc., des aventuriers, des épées, des chapeaux du bel air, une idée de guerre, de romans, d'embarquement, d'aventures, de chaînes, de fers, d'esclaves, de servitude, de captivité moi qui aime les romans, je suis transportéc. M. de Marseille vint hier au soir; nous dinons chez lui; c'est l'affaire des deux doigts de la main 2. »

Le lendemain jeudi, 22 décembre, elle écrit à sa fille deux fois dans la journée, à midi3 et à minuit; et tou

1 Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, édit. de la Haye, 1726, t. I, p. 311. La date est: A Marseille, mercredi 1672; ajoutez 21 décembre; t. III, p. 124, édit. G.; édit. 1734, t. II, p. 216.-SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 124, édit. G.; t. III, p. 54, édit. M. (Dans toutes ces éditions il faut compléter la date, et mettre Mercredi 21 décembre 1672, et transposer la lettre.)

2 SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 125, édit. G.; t. III, p. 55, édit. M.; édit. de la Haye, 1726, t. I, p. 311 (mercredi 21 décembre). Dans toutes ces éditions la date est : Marseille, mercredi... 1672; ajoutez 21 décembre.

3 Lettres de MARIE RABUTIN-CHANTAL, édit. de la Haye, 1726, t. I,

jours l'évêque de Marseille l'accompagne. « Nous dinâmes hier chez M. de Marseille; ce fut un très-bon repas. Il me mena l'après-dîner faire les visites nécessaires, et me laissa le soirici. Le gouverneur me donna des violons, que je trouvai très-bons; il vint des masques plaisants: il y avait une petite Grecque fort jolie : votre mari tournait autour. Ma fille, c'est un fripon. Si vous étiez bien glorieuse, vous ne le regarderiez jamais. Il y a un chevalier de SaintMesmes qui danse bien, à mon gré; il était en Turc; il ne hait pas la Grecque, à ce qu'on dit... Si tantôt il fait un moment de soleil, M. de Marseille me mènera béer. » Et dans la lettre écrite à minuit: « J'ai été à la messe à SaintVictor avec l'évêque; de là, par mer, voir la Réale et l'exercice, et toutes les banderoles, et des coups de canon, et des sauts périlleux d'un Turc. Enfin on dine, et après diner me revoilà, sur le poing de l'évêque de Marseille, à voir la citadelle et la vue qu'on y découvre; et puis à l'arsenal voir tous les magasins et l'hôpital, et puis sur le port, et puis souper chez ce prélat, où il y avait toutes les sortes de musique. » Et c'est à la suite de cette petite fète qu'il lui avait donnée qu'elle eut le courage de lui faire des reproches sur l'affaire du courrier. « Il n'y a point de réponse, dit-elle, à ne pas me vouloir obliger dans une bagatelle, où lui-même, s'il m'avait véritablement estimée, aurait trouvé vingt expédients au lieu d'un. » Elle termine cependant en disant : « Soyez certaine que, quand je serais en faveur, il ne m'aurait pas mieux reçue ici '. »

p. 313.

SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1734, t. II, p. 218, édit. 175*, t. II, p. 321; t. III, p. 56, édit. M.; t. III, p. 126, édit. G. (Jeudi 22 décembre 1672).

1 Lettres de MARIE RABUTIN-CHANTAL, édit. de la Haye, 1726, t. I,

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SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1734, t. II, p. 220; édit. 1754,

Madame de Sévigné partit le lendemain vendredi, 23 décembre, à cinq heures du matin, pour se rendre à Grignan '. Elle revint à Aix avec sa fille, qui faillit de mourir en accouchant. On peut juger des angoisses de madame de Sévigné tant que dura le danger 2. Probablement l'enfant ne vécut point, il n'en est nulle part fait mention.

Madame de Grignan fut cependant promptement rétablie, puisque, ayant accouché en mars, elle n'éprouvait plus au commencement d'avril, du mal qu'elle avait ressenti, qu'une grande lasṣitude 3.

Madame de Sévigné passa à Aix, chez son gendre, tout l'hiver et une partie de l'été suivant.

t. III, p. 323; t. III, p. 58, édit. M.; t. III, p. 128, édit. G. Dans toutes ces éditions, la date est: A Marseille, jeudi à minuit 1672; il faut la compléter, et mettre Jeudi 22 décembre, et transposer les deux lettres.

I SÉVIGNÉ, Lettres (20 mars 1673), t. JII,, p. 149, édit. G.; t. III, p. 77, édit. M. C'est une lettre de madame de Coulanges. Conférez encore celle du 24 février, t. III, p. 73, édit. M. ; t. III, p. 144, édit. G. SÉVIGNÉ, Lettres (15 et 27 juillet 1673), t. III, p. 164 et 168, édit. G.; t. III, p. 90 et 94, édit. M. BUSSY-RABUTIN, Lettres, édit. 1737, t. I, p. 117, 118 et 121.

2

-

3 SÉVIGNÉ, Lettres (10 avril 1673), t. III, p. 149 et 150, édit. G.; t. III, p. 78, édit. M.

CHAPITRE X.

1673.

Séjour de madame de Sévigné en Provence.

Louis XIV.

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Des lettres qu'elle

écrit à ses amis de Paris. - Des lettres qu'elle reçoit. - Nouvelles qui lui sont données par M. de la Rochefoucauld, madame de Cou. langes, madame de la Fayette. - Levée du siége de Charleroi. — Crédit de madame Dufresnoy. Occupations nombreuses de Ses égards pour la reine. Il laisse madame de Montespan à Courtray. Habileté de sa politique. Il fait à cheval toute la campagne de 1673. - Madame de Coulanges se fait peindre. Voit en secret madame Scarron. Rendez-vous du beau monde chez la maréchale d'Estrées. Détails sur cette dame, sur madame de Marans, la comtesse du Plessis, de Clérambault, M. de Mecklembourg. Congrès pour la pacification. De madame de Monaco et du comte de Tott. - De l'abbé de Choisy en Bourgogne. L'abbé Têtu déplaît à madame de

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Coulanges. Madame de la Fayette.

De sa paresse à écrire. — Ses vapeurs, ses prétentions à dominer la société parisienne. Le roi donne une rente à son fils. Recherchée par le fils du prince

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Sa correspondance avec Briord quand M. le Duc est
Madame de la Fayette et sa société vont diner à Livry.

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- Chez qui. - Nouvelles de conversions et d'aventures galantes. - Du marquis d'Ambres. - Sur le titre de monseigneur.-Influence personnelle de Louis XIV sur la politique et les destinées de l'Europe. Alliance intime de Louis XIV et de Charles II. — On s'occupait dans le monde de ce qui se passait dans les deux cours. De Montaigu. De sa liaison avec la duchesse de Brissac. De son mariage avec la comtesse de Northumberland. - Le roi prend Maëstricht. La Trousse est envoyé en Bourgogne.

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dame de la Fayette en demande pour lui à sa mère. Question

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