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dame de Grignan, donné occasion à la calomnie de s'exercer par de malins vaudevilles '.

Ni Villeroi ni même madame de Coulanges ne vinrent à Grignan. Madame de Coulanges quitta Lyon le 1er novembre, pour s'en retourner à Paris, exprimant à madame de Sévigné le regret de s'éloigner d'elle, et disant à Corbinelli, qui de Grignan lui avait écrit qu'il voulait être son confident : « Venez vous faire refuser à Paris 2.

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Conférez le Recueil de chansons, vaudevilles, épigrammes, épitaphes et autres pièces satiriques, historiques, avec des remarques curieuses, Mss. de la Biblot. royale, t. III, depuis 1666 jusqu'à 1672.

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SÉVIGNÉ, Lettres (30 octobre 1672), t. III, p. 123, édit. G. Ibid., t. III, p. 53.

CHAPITRE IX.

1673.

Séjour de madame de Sévigné et de sa fille à Grignan. — La présence de madame de Sévigné en Provence a un intérêt politique. Pourquoi la Provence était difficile à administrer.

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Révolte

de cette province sous Louis XIV. — Puissance des états, des parlements, des magistrats municipaux restreinte par la création des intendants. En 1639, on substitue l'assemblée des communautés à l'assemblée des états. - Le parlement de Provence s'unit à celui de Paris pendant la Fronde. Le comte d'Alais est gouverneur, ensuite le duc de Mercœur. - Mazarin conduit le roi à Aix en 1660. – Mesures de rigueur. — Mesures plus douces. -Influence de Forbin-Janson dans l'assemblée des communautés, dans la ville d'Aix sur le clergé, le parlement. Il s'établit une rivalité entre les deux familles les plus notables de la province, celle de Forbin-Janson, évêque de Marseille, celle de Grignan, lieutenant général gouverneur. - Quels étaient à la cour les appuis de l'une et de l'autre. Madame de Grignan se met en hostilité avec Forbin-Janson malgré les conseils de sa mère. - Pourquoi le premier président Forbin d'Oppède ne lui était pas contraire. Elle reste à Grignan à cause de sa grossesse; madame de Sévigné se rend à Aix et ensuite à Lambesc avec M. de Grignan. Ouverture de l'assemblée des communautés. — Leur composition. Discours de l'assesseur. - Vigueur des remontrances. - Le don gratuit est accordé. — On refuse au lieutenant général gouverneur l'entretien de ses gardes. Cinq mille francs lui sont donnés à titre de gratification. On lui refuse de l'indemniser pour les frais du courrier qui doit porter les cahiers de l'assemblée. De la Barben offre de les porter en cour à ses frais. On accepte. L'évêque de Marseille, l'année précédente, avait porté gratuitement ces cahiers, et discuté avec Colbert. — L'assemblée ne tenait que trois jours pour les aftaires générales. — Madame de

-

Grignan et madame de Sévigné quittent Lambesc pour aller visiter Marseille. Madame de Sévigné est désirée à Marseille.

Elle est mécontente de Forbin-Janson.

Ce prélat, évêque de Marseille, justifié. Madame de Sévigné écrit à Arnauld d'Andilly, avec l'intention de le déprécier dans l'esprit de Pomponne. Comparaison de l'évêque de Marseille et de M. de Grignan. Talents et capacités de l'évêque de Marseille. Il devient successivement évêque de Beauvais, cardinal, grand aumônier. portrait et son beau caractère. Comment il reçoit madame de Sévigné à Marseille. — Il l'accompagne partout, lui donne des diners et des fêtes. Elle lui fait de vive voix d'injustes repro

ches.

- Son

Elle est ingrate à son égard. Elle est enchantée de Marseille. Après trois jours de voyage, elle retourne à Grignan. Couches malheureuses de madame de Grignan.

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de Sévigné et sa fille reviennent à Aix, et y séjournent.

Madame

Le besoin de faire cesser le déchirement de cœur qu'elle éprouvait lorsqu'elle était séparée de sa fille chérie, le désir de jouir de sa société, de lui épargner des fatigues pendant sa grossesse, de l'assister dans ses couches avaient été les seuls motifs du long voyage que madame de Sévigné venait d'achever '. Mais l'état des affaires, la division qui régnait entre deux familles rivales donnaient à son arrivée en Provence et au séjour qu'elle devait y faire une assez grande importance politique. Sa présence dans ce pays semblait être le signal d'un accord que, dans l'intérêt public, les uns désiraient, et que les autres redoutaient.

De tous les pays qui, par des traités, des alliances, la ruine des grands feudataires, avaient été annexés plutôt qu'incorporés à la France, la Provence était celui qui

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SÉVIGNÉ, Lettres (15 et 27 juillet 1673), t. III, p. 164 et 168, édit. G.; t. III, p. 80 et 94, édit. M. (11 septembre 1672), t. III, p. 120, édit. G.; t. III, p. 51, édit. M. Lettre de madame de Coulanges : « Le bruit court que vous ne travaillez pas à patrons, etc. »

avait eté le plus difficile à réduire sous le niveau du sceptre royal, et il était encore celui qui exigeait le plus d'habileté et de discernement dans le maniement des affaires et dans le choix des hommes.

Il y avait à cela plusieurs causes. La Provence avait été, dès les siècles les plus reculés, séparée du reste de la Gaule sauvage. Par la civilisation grecque et romaine, elle était restée le pays le plus prospère, le plus éclairé et le plus riche. La féodalité n'y avait pas, autant que dans le reste de la France, appesanti son joug asservissant. Dans les grandes villes, les franchises municipales dataient, pour plusieurs, du temps des Romains; elles avaient formé dans le moyen âge des espèces de républiques presque indépendantes. Alors que toute la navigation des peuples de l'Europe se concentrait dans la Méditerranée, Marseille, enrichie par le génie actif de ses habitants, était devenue une des premières villes du monde. Comme ce pays avait été chrétien bien avant l'invasion des barbares, et qu'Arles était, dans les derniers temps de l'empire romain en Occident, la capitale de toute la Gaule, la Provence renfermait deux archevêchés, et elle comptait un plus grand nombre d'évêchés qu'aucune autre portion de territoire français aussi circonscrite. Enfin, c'est par cette contrée qu'après la nuit des siècles d'invasion avaient commencé à reparaître les sciences, la poésie, la littérature et les arts. Il résultait de toutes ces causes, pour la Provence, une forte nationalité, qui avait d'autant plus de peine à se fondre dans la nationalité française que le peuple parlait une langue riche, harmonieuse, pittoresque et plus propre à exprimer les doux sentiments du cœur que les dialectes franco-germaniques du nord de la Loire,

La langue provençale, la langue des troubadours, n'était pas celle que parlaient, dans le nord de la France, les trouvères, le roi et sa cour: ainsi les origines, la législation, les mœurs tendaient à faire de la Provence un pays distinct et séparé de la France. Il en était de même du gouvernement et de l'administration. La Provence possédait ce qui n'avait pu s'établir chez nous, des assemblées régulières d'états généraux, c'est-à-dire une assemblée législative qui se réunissait tous les ans et où les trois ordres, celui des ecclésiastiques, ceux de la noblesse et du tiers état, étaient parfaitement représentés par les grandes notabilités, qui délibéraient en commun sur les affaires communes. Pour les affaires particulières de chaque partie du territoire, il y avait encore des assemblées de communautés, qui se réunissaient toutes les fois que le besoin le requérait. Arles et Marseille, terres adjacentes, villes impériales, n'étaient point comprises dans cette organisation; elles avaient leurs priviléges, leur constitution municipale, leur législation à part, et étaient plus démocratiquement organisées. Un parlement, cour suprême de justice, toujours composé d'hommes habiles et éclairés, chargé de l'exécution des lois faites par le pays et pour le pays, maintenait sous sa puissante juridiction les villes, les communautés, les seigneuries.

De l'assemblage de ces classes, de ces corporations, de ces associations diverses résultaient sans doute des dissidences que des intérêts différents ou opposés faisaient naître; l'harmonie ne régnait pas toujours entre le parlement, les états et les villes; mais quand il s'agissait de défendre contre l'autorité les priviléges et les droits de la Provence, ils se réunissaient et agissaient en commun.

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