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fêtes, des parties de chasse et des repas splendides faits à Saint-Maur au milieu de la nuit, sans aucun égard pour les prescriptions du carême ou plutôt avec la coupable intention d'assaisonner la débauche par l'impiété. Le duc d'Enghien, fils du prince de Condé, était un des grands promoteurs de ces orgies; et madame de Sévigné figura dans une de ces parties, où se trouvaient les deux filles de la maréchale de Grancey, qu'on appelait les anges (l'une, mademoiselle de Grancey, avait le titre de madame, parce qu'elle était chanoinesse; l'autre était madame de Marey), et avec elles mesdames de Coëtquen et de Bordeaux, et la comtesse de Soissons 1. La présence à la cour du chevalier de Lorraine, qui était l'indispensable acteur dans toutes ces parties, fournit aussi à madame de Sévigné l'occasion d'entretenir madame de Grignan d'une des filles d'honneur de la reine, mademoiselle de Fiennes. Elle avait été enlevée par le chevalier de Lorraine avant qu'il fût exilé; il la délaissa, quoiqu'il en eût eu un fils qui fut élevé avec les enfants de la comtesse d'Armagnac, à la vue du public, dit madame de Sévigné. Après son retour, il reconnut cet enfant.

2.

Le chevalier de Lorraine, profondément dissimulé, avait cependant une physionomie ouverte et enjouée, qui convenait à madame de Sévigné; il déplaisait à sa fille, probablement meilleure physionomiste. Lui, Vardes et Villeroi

I

SÉVIGNÉ, Lettres (6 avril 1672), t. II, p. 449, édit. G.; t. II, p. 379, édit. M. La France galante, ou Histoire amoureuse de la cour, nouv. édit., à Cologne, chez Pierre Marteau, 1695, in-18, p. 287, 355, 356, 357. — Ibid., p. 304, 385.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (30 mars, 1er et 20 avril 1672), t. II, p. 442, 446 et 447, édit. G.; t. II. p. 377, édit. M. Conférez ci-dessus la 3 partie de ces Mémoires, chap. xi, p. 221.

étaient considérés comme les plus dangereux séducteurs; mais Villeroi l'emportait alors sur ses deux rivaux par sa jeunesse, par les agréments de sa personne, par la magnificence et le goût de sa parure, la grâce de ses belles manières, son habileté et son adresse dans tous les exercices du corps, sa force et sa belle santé, qui le rendaient en tout infatigable 1.

Madame de Coulanges ne tarit pas dans ses lettres sur les louanges qu'elle donne au charmant. Madame de Sévigné témoigne pour son amie, sur l'effet de cet engouement, des craintes qui paraissent sérieuses; et, à ce sujet, elle fait un aveu trop important pour que son biographe le laisse passer inaperçu.

Elle était à Livry, où son cousin Coulanges vint la voir; et elle écrivit à sa fille le 2 juin, alors qu'elle se disposait à se rendre à Lyon et en Provence : « M. de Coulanges, dit-elle, est charmé du marquis de Villeroi. Il (Coulanges) arriva hier au soir. Sa femme, comme vous dites, a donné tout au travers des louanges et des approbations de ce marquis. Cela est naturel ; il faut avoir trop d'application pour s'en garantir. Je me suis mirée dans sa lettre, mais je l'excuse mieux qu'on ne m'excusait2. » Le marquis de Villeroi n'était alors âgé que de vingt-neuf ans, et madame de Sévigné en avait quarante-six. Dans ce retour qu'elle fait sur elle-même, elle ne pouvait penser au temps présent; elle fait allusion à l'époque de sa jeunesse, alors que,

1 SÉVIGNÉ, Lettres (7 et 28 juillet 1680), t. IV, p. 362 et 392, édit. M.; t. VII, p. 92 et 131, édit. G. SAINT-SIMON, Mémoires authentiques, t. XII, p. 235, 238, édit. 1829, in-8°.. Euvres complètes de Louis de Saint-Simon, t. XII, p. 155, édit. 1791, in-8°. 2 SÉVIGNÉ, Lettres (2 juin 1672), t. III, p. 50, édit. p. 458, édit. M.

G.; t. II,

compromise par la publication du perfide ouvrage de Bussy, elle ne trouva personne qui voulût l'excuser de s'être trop complue aux louanges que lui donnait son cousin, et de ne s'être pas assez refusée au plaisir que lui faisaient éprouver ses spirituelles saillies et sa réjouissante conversation'.

Le marquis de Villeroi alla d'abord à Lyon, pour obéir aux ordres du roi; mais il s'en écarta presque aussitôt, et partit pour se rendre près de l'électeur de Cologne, voulant servir Louis XIV au moins dans l'armée de ses alliés2. Ce zèle ne réussit pas, et le roi lui ordonna de retourner à Lyon 3.

A cette époque, le marquis de Villeroi était réellement amoureux d'une femme de la cour. Il avait retrouvé à Lyon une madame Salus, femme d'un financier, qu'il avait séduite. Quand il la revit après un assez long intervalle, il trouva chez elle une madame Carles, qui lui parut plus belle, et les attentions qu'il eut pour celle-ci divisèrent les deux amies 4; mais ni l'une ni l'autre ne purent le distraire d'une passion où, contre son ordinaire, son cœur était engagé. Nous avons vu, par l'exemple de Sidonia, que, bien différent de Vardes, le marquis de Villeroi, quand il était véritablement épris d'une femme, ne gardait plus ni discrétion ni mesure. Il est probable que les paroles qu'il prononça chez la comtesse de Soissons et qui furent la cause de son exil avaient trait à cette pas

I Conférez la 2o partie de ces Mémoires, chap. xxv, p. 360.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (6 juin 1672), t. II, p. 463, édit. M.; t. III, p. 56, édit. G.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (24 juin 1672), t. III, p. 15, édit. M.; t. III, p. 79, édit. G.

4 SEVICNÉ, Lettres (1er août 1672), t. III, p. 112, 114,

sion. L'inconduite fut le seul motif qu'allégua Louis XIV pour justifier sa rigueur envers le jeune Villeroi ; et le vieux maréchal duc, son père, reçut de la bouche royale l'assurance que la pénitence ne serait pas de longue durée'. Mais Villeroi, à la fois dévoré par l'amour et par l'ambition, était désesperé de se voir condamné à un honteux repos quand il aurait pu se distinguer à la conquête de la Hollande par des actions d'éclat, et gagner des grades à l'armée. Il était désolé surtout que son exil à Lyon l'éloignât d'une maîtresse adorée. Très-peu disposé à se prévaloir des liaisons qu'il avait formées ou à en chercher de nouvelles, il se retira dans sa terre de Neufville, à quatre lieues de Lyon, n'y recevant personne. Madame de Coulanges écrit à madame de Sévigné : « Écoutez, madame, le procédé du charmant. Il y a un mois que je ne l'ai vu; il est à Neufville, outré de tristesse ; et quand on prend la liberté de lui en parler, il dit que son exil est long; et voilà les seules paroles qu'il ait proférées depuis l'infidélité de son Alcine 2. Il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de Salus, plus d'amusement : il a un mépris pour les femmes qui empêche de croire qu'il méprise celle qui outrage son amour et sa gloire........... Je suis de votre avis, madame, je ne comprends pas qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais qu'il ait tort étant présent, je le comprends mieux. Il me paraît plus aisé de conserver son idée sans défauts pendant l'absence; Alcine

1 SÉVIGNÉ, Lettres (12 février 1672), t. II, p. 384 et 386, édit G.; t. II, p. 325, édit. M.

2 Allusion au septième chant de l'Orlando furioso, qui contient l'histoire de Ruggiero et d'Alcina.

n'est pas de ce goût; le charmant l'aime de bien bonne foi c'est la seule personne qui m'ait fait croire à l'inclination naturelle; j'ai été surprise de ce que je lui ai entendu dire là-dessus..... Le bruit de la reconnaissance que l'on a pour l'amour de mon gros cousin se confirme. Je ne crois que médiocrement aux méchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il est, a été préféré à des tailles plus fines ; et puis, après un petit un grand. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place 1?»

1

Et quatre mois après, de retour à Paris ainsi que Villeroi 2, madame de Coulanges écrit encore à son amie : « Le marquis de Villeroi est si amoureux qu'on lui fait voir ce que l'on veut. Jamais aveuglement ne fut pareil au sien; tout le monde le trouve digne de pitié, et il me parait digne d'envie : il est plus charmé qu'il n'est charmant; il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte Caderousse pour quelque chose, et puis un autre pour quelque chose encore : un, deux, trois, c'est la pure vérité! Fi! je hais les médisances. »>

Madame de Coulanges, toujours préoccupée et en quelque sorte tourmentée de l'illusion de Villeroi et de la ruse dont il est la dupe, dit encore : « L'histoire du charmant est pitoyable; je la sais..... Orondate était peu amoureux auprès de lui : c'est le plus joli homme, et son Alcine la plus indigne femme 3. »

I MADAME DE COULANGES, dans SÉVIGNÉ, Lettres (3 octobre 1672), t. III, p. 122, édit. G.; t. III, p. 52, édit. M.

2 MADAME DE COULANGES, dans SÉVIGNÉ, Lettres (24 février 1673), t. III, p. 143 et 144, édit. G.; t. III, p. 73, édit. M.

3 MADAME DE COULANGES, dans SÉVIGNÉ, Lettres (20 mars 1673 ), t. III, p. 149, édit. G.; t. III, p. 53, édit. M.

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