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son inari, mais elle trouvait peu de personnes disposées à sympathiser aux marques de sa douleur, et même à croire à leur sincérité 1.

Après les trois jours donnés à madame de Coulanges, madame de Sévigné partit de Lyon, s'embarqua le vendredi 29 juillet au matin, et alla coucher à Valence. Puis elle fut confiée aux soins des patrons de barque choisis par l'intendant. « J'ai de bons patrons, dit-elle dans sa lettre à madame de Grignan; surtout j'ai prié qu'on ne me donnât pas les vôtres, qui sont de francs coquins : on me recommande comme une princesse. » Le trajet qu'elle avait parcouru dans cette journée était de 99 kilomètres, ou 24 lieues trois quarts. Le lendemain, samedi 30 juillet, elle était, à une heure après midi, à Robinet sur le Robion, lieu où l'on débarque pour se rendre à Montélimart. Madame de Grignan vint la prendre dans sa voiture; et, après avoir franchi les quatre lieues qui séparent le château de Grignan de Montélimart, la mère et la fille se trouvèrent enfin réunies sous le même toit. Leur séparation avait duré un an et sept mois 2. La distance parcourue par madame de Sévigné depuis Paris était de 620 kilomètres ou 150 lieues de poste. Dix-sept jours avaient été employés pour faire ce trajet; mais on doit en retrancher huit pour les séjours à Montjeu et à Lyon; il en résulte que la journée. moyenne était de 67 kilomètres ou de 16 lieues par jour.

SÉVIGNÉ, Lettres (18 mai, 28 octobre, 26 décembre 1671), t. II, p. 78, 273 et 290, édit. G. — (19 août 1676), t. V, p. 83. (17 janvier 1680.)

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2 SÉVIGNÉ, Lettres (6 février 1671), t. I, p. 305, édit. G.; t. I, p. 231, édit. M. Ibid. (27 juillet 1672), t. III, p. 110, édit. G.; t. III, p. 42, édit. M. Conférez ci-dessus la 3o partie de ces Mémoires, p. 320.

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La durée de ce trajet eût été plus longue si une partie n'en avait pas été faite par eau. Rendue à Grignan sans autre accident que la perte d'un de ses chevaux qui se noya, madame de Sévigné, ainsi que son oncle, ses femmes de chambre et son abbé de la Mousse, arrivèrent en parfaite santé, quoiqu'elle annonce malignement que ce dernier, dès son entrée à Lyon, était tout étonné de se trouver encore en vie après un si grand et si périlleux voyage.

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CHAPITRE VIII.

1672.

Le court séjour de madame de Sévigné à Lyon accroît son intimité

avec madame de Coulanges.

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Fâcheux effets

Le cheva

Le marquis de

à Grignan, elle lui annonce l'arrivée de Villeroi à Lyon. — Cet exil est la cause du rappel du chevalier de Lorraine. de ce rappel. - Débauche chez M. le duc d'Enghien. lier de Lorraine habile à séduire les femmes. Villeroi plus séduisant encore. Il est nommé le charmant. Aveu singulier de madame de Sévigné. — Son explication. — Conjectures sur la cause de l'exil de Villeroi. · Il se rend à l'armée de l'électeur de Cologne. - Le roi le force de retourner à Lyon. Ses intrigues d'amour à Lyon.—Il se retire à sa terre de Neufville, désespéré de l'infidélité d'une maîtresse de la cour, désignée dans les lettres sous le nom d'Alcine.- Les indiscrétions de Villeroi sur cette liaison ont été la cause de son exil. Alcine n'est point la comtesse de Soissons. Détails sur cette comtesse et sur sa liaison avec Villeroi. Le gros cousin de madame de Coulanges n'est point Louvois, mais son frère l'archevêque de Reims. Portrait de cet archevêque et détails sur ses liaisons avec la duchesse d'Aumont. Il suit le roi à l'armée, et inaugure, dans la cathédrale de Reims, des drapeaux pris sur les Hollandais. Alcine est la duchesse d'Aumont. - Détails sur cette duchesse. Son caractère, sa vie décente. Ses liaisons amoureuses. - Dévote dans l'âge avancé. traste entre certaines dévotes.

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chesse d'Aumont, avant sa conversion, avec Caderousse, le marquis de Biran et le marquis de Villeroi. - Le mystère de sa liaison avec l'archevêque de Reims est dévoilé par le beau-fils de la duchesse d'Aumont, le marquis de Villequier. On n'ajoute pas foi à ses révélations. La comtesse de Soissons reprend son ascendant sur le marquis de Villeroi. On s'intéressait

aux intrigues amoureuses des hommes renommés par leurs séductions. Cause de l'indulgence générale pour les fautes que l'amour fait commettre. Vardes séduit mademoiselle de Toiras. Scène de désespoir entre ces deux amants, jouée par madame de Coulanges et par Barillon. Madame de Sévigné redoute la visite de Villeroi à Grignan. Bruit qui court à Paris sur Vardes et Madame de Coulanges part pour Lyon, et se rend à

Villeroi.
Paris.

Le court séjour de madame de Sévigné à Lyon et le peu de temps passé dans la société de madame de Coulanges accrurent encore leur attachement mutuel. Ces deux amies ne pouvaient se passer l'une de l'autre ; toutes deux, connaissant parfaitement le monde et la cour, s'intéressaient plus vivement à tout ce qui s'y passait; toutes deux aimaient à railler et à médire', non par haine, non par malice, non par envie, mais pour exercer leur esprit, pour s'amuser et s'instruire mutuellement de ce qui se passait autour d'elles. Quand elles ne pouvaient converser ensemble, elles s'écrivaient. Madame de Sévigné, le jour même de son départ de Lyon, écrivit à madame de Coulanges, et puis encore le lendemain en arrivant à Grignan 2.

Une des réponses de madame de Coulanges roule presque en entier sur le marquis de Villeroi, gouverneur de Lyon, et qui venait d'y arriver; il regrettait beaucoup de n'y plus retrouver madame de Sévigné. Celle-ci, avant son départ de Paris, avait su que le marquis de Villeroi était exilé à Lyon, et elle avait mandé cette nouvelle à sa fille. Le motif de cette sévérité de Louis XIV envers un de ses courtisans qu'il aimait le mieux, et qui avait

1 Voyez la 3o partie de ces Mémoires, p. 397-400.

2 COULANGES, dans SÉVIGNÉ, Lettres (1er août 1672), t. III, p. 112, édit. G.; t. III, p. 44, édit. M.

été le compagnon de son enfance, était inconnu. On savait seulement qu'il était le résultat d'une indiscrétion et de paroles imprudentes prononcées chez la comtesse de Soissons. C'est cet exil qui donna occasion à MONSIEUR de demander au roi le rappel du chevalier de Lorraine. Ce rappel ne surprit pas moins que la défense faite à Villeroi d'accompagner Louis XIV à l'armée et l'ordre qu'il reçut de se rendre à Lyon. Au milieu des grands événements de la guerre, on s'en préoccupa à la cour. Les détails de l'entretien des deux frères au sujet de ce rappel nous prouvent combien était grand l'effet du despotisme de Louis XIV sur sa famille, la crainte qu'il inspirait à tout ce qui l'entourait et la profonde humiliation de MONSIEUR. Il faut que les singulières particularités de cet entretien aient été racontées par le roi lui-même ou par MONSIEUR, pour que madame de Sévigné, en les transmettant à sa fille, puisse lui écrire : « Vous pouvez vous assurer que tout ceci est vrai : c'est mon aversion que les faux détails, mais j'aime les vrais. Si vous n'êtes de mon goût, vous êtes perdue, car en voici d'infinis2. » Il est difficile d'admettre qu'il y ait eu un seul témoin de cette étrange scène.

Ce retour du chevalier de Lorraine produisit, parmi les courtisans de MONSIEUR, un redoublement de débauche qui scandalisait cette cour galante et si peu scrupuleuse. C'est alors que les lettres de madame de Sévigné et les libelles du temps nous signalent un honteux libertinage, des

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'SÉVIGNÉ, Lettres (6 avril 1671), t. II, p. 451, édit. G. juin 1672), t. III, p. 79, édit. G.; t III, p. 15, édit. M. — ( 10 février 1672), t. II, p. 378, 380, édit. G.; t. II, p. 321, édit. M. * SÉVIGNÉ, Lettres (12 février 1672), t. II, p. 379.

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