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à quoi nous sommes fort sujets quand nous sommes ensemble. Mais Dieu ne l'a pas voulu, ou le grand Jupiter, qui s'est contenté de me mettre sur sa montagne, sans vouloir me faire voir ma famille entière1. »

Cependant une grande partie de cette famille, prévenue de son arrivée, s'empressa de lui rendre visite à Montjeu. La première qui y vint fut Françoise de Rabutin, veuve du comte Antoine de Toulongeon, sœur du baron de Chantal, père de madame de Sévigné, et belle-mère de Bussy par sa fille Gabrielle, qu'elle avait perdue en 1646. Quoique alliée à leur famille par tant de titres, cette comtesse de Toulongeon n'était point aimée de madame de Sévigné ni de Bussy. Elle était fort avare, mais cependant charitable envers les pauvres 2. Madame de Sévigné avait considéré comme un devoir indispensable de s'arrêter chez elle quelques jours 3. Pour éviter la dépense que lui aurait occasionnée une telle réception, elle se hâta de prévenir madame de Sévigné. Cette tante de Toulongeon résidait à Autun. Son fils possédait la terre d'Alonne, du bailliage de Montcenis; il la fit par la suite ériger en comté de son nom, et, par ordre du roi, Alonne se nomma Toulongeon. Ce lieu, voisin d'Autun, devint, par les embellissements qu'y fit le comte de Toulongeon, un

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'SÉVIGNÉ, Lettres (22 juillet 1672). (11 juillet 1672), t. III, p. 34, édit. M. — (13 octobre 1677), t. V, p. 432. — Bussy, Mémoires, édit. d'Amst., 1721, t. I, p. 93 et 125. Voyez ci-dessus, t. I, p. 119 de ces Mémoires.

2 SÉVIGNÉ, Lettres ( 22 juillet 1672, 4 juin 1687, 5 mars 1690), t. III, p. 41; t. VII, p. 449; t. VIII, p. 435; t. IX, p. 338. BUSSY, Lettres, t. I, p. 306.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (31 décembre 1684), t. VII, p. 505, édit. G. t. VII, p. 222, édit. M. − ( 30 mai 1687), t. VII, p. 446, édit. M.

des plus agréables séjours de la Bourgogne. Chazeu, dont madame de Sévigné admirait tant la pureté de l'air, la belle situation et la vue riante, était aussi du bailliage d'Autun, dans la paroisse de Laizy, et très-rapproché de Toulongeon, de Montjeu, aussi bien que d'Autun; de sorte que lorsque Bussy allait se fixer dans cette demeure favorite, il ne manquait pas de société ".

Madame de Toulongeon s'empressa d'aller à Montjeu rendre visite à sa cousine; madame de Sévigné, qui la voyait pour la première fois, fut charmée de la trouver si jolie et si aimable. Bussy, dont elle était la belle-sœur, regrettait auprès d'elle tout ce que l'âge lui avait fait perdre 3. Il disait qu'il lui avait donné de l'esprit, mais qu'elle le lui avait rendu avec usure: et, en effet, les vers les plus agréables qu'il ait faits sont ceux qu'elle lui a inspirés 4. Elle était un des ornements de la société qui se réunissait à Montjeu, et il est probable qu'elle contri

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SÉVIGNÉ, Lettres (22 juillet 1685), t. VIII, p. 90, édit. G. (18 janvier 1687 ), t. VII, p. 414, édit. M.; t. VIII, p. 208, édit. G. GARREAU, Description du gouvernement de Bourgogne,

2o édit., 1734, in-8°, p. 641; fre édit., p. 320.

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SÉVIGNÉ, Lettres (3 septembre 1677), t. V, p. 215, édit. M.; t. V, p. 379, édit. G. GARREAU, Description de la Bourgogne,

p. 416; il écrit Chaseul.

3 SÉVIGNÉ, Lettres ( 11 juillet 1672), t. III, édit. G.; t. III, p. 40, édit. M. XAVIER GIRAULT, Détails historiques sur les ancétres, les possessions et les descendants de madame de Sévigné, dans les Lettres inédites de madame de Sévigné, 1819, in-12, p. XLIV; dans les Lettres de Sévigné, édit. G., t. I, p. xcII.

4 BUSSY DE RABUTIN, Lettres (10 et 21 juillet 1686 et 27 août 1687), t. VI, p. 180, 251, 254, édit. 1727, in-12. (19 et 28 mars 1688), t. VI, p. 275 et 277.- (18 janvier, 3 mai 1690), t. VII, p. 119.

(5 septembre 1690), t. VII, p. 148.

bua beaucoup, ainsi que madame de Sévigné, à la réconciliation de Bussy avec Jeannin de Castille, qui eut lieu l'année suivante '. Cette réconciliation fut sincère; et le nom du seigneur de Montjeu revient assez fréquemment dans les lettres de madame de Sévigné et dans celles de Bussy 2. Jeannin de. Castille, plus heureux que Bussy, obtint plus tôt que lui la permission de se présenter devant Louis XIV, et termina heureusement ses affaires 3. Si son fils, qui mourut avant lui, ne répondit pas à ses espérances, il eut la consolation de voir sa petite-fille épouser un prince d'Harcourt. Cette princesse d'Harcourt donna le jour à deux filles, qui furent la duchesse de Bouillon et la duchesse de Richelieu.

Madame de Sévigné s'arrêta cinq jours à Autun, et n'en partit que le samedi 23 juillet. Après un trajet de 51 kilomètres ou 12 lieues depuis Autun, madame de Sévigné arriva à Châlon-sur-Saône, où elle coucha. Elle s'embarqua le lendemain, dimanche 24, pour Lyon; et quoiqu'elle n'eut que 125 kilomètres ou 32 lieues à parcourir, elle n'arriva le jour suivant qu'à six heures, du soir 4. «M. l'intendant de Lyon (du Gué-Bagnols), sa femme et madame de Coulanges vinrent me prendre au

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SÉVIGNÉ, Lettres (21 octobre 1673), t. III, p. 115, édit. M.; t. III, p. 195, édit. G.

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2 SÉVIGNÉ, Lettres (15 septembre, 13 octobre 1677, 27 juin 1678), t. V, p. 257, 261, 341.- Ibid. (9 décembre 1638), t. VIII, p. 201, édit. M. Ibid. (14 août 1691), t. IX, p. 471. — Bussy, Lettres (20 février 1687), t. VI, p. 218.

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3 BUSSY, Lettres (9 mars et 11 juillet 1687), t. VI, p. 224 et

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4 SÉVIGNÉ, Lettres (27 juillet 1672), t. III, p. 109, édit. G.; t. III, p. 42, édit. M. — RICHARD, Guide classique du voyageur en France, p. 15, édit. 1833, in-12, p. 241.

sortir du bateau de midi (25 juillet). Je soupai chez eux ; j'y dînai hier. »

Madame de Coulanges s'était rendue avec son mari à Lyon, immédiatement après Pâques, pour le mariage de sa sœur, mademoiselle du Gué, avec Bagnols, cousin issu de germain 2, riche de 45,000 livres de rente. Bagnols devint depuis intendant de Flandre; et le jeune baron de Sévigné nous forcera bientôt d'occuper nos lecteurs de sa femme. Elle ne plut guère à madame de Sévigné, qui fut bien aise que les nouveaux mariés se proposassent d'aller à Paris, plutôt que de céder aux invitations plus polies que sincères qu'elle était obligée de leur faire. Madame de Coulanges, bien autrement engagée aussi à faire ce voyage, promit de l'accompagner à Grignan, à condition que madame de Sévigné ne se hâterait pas trop de quitter Lyon. Le plaisir que toute cette famille de Bagnols eut à jouir pendant quelques jours de la société de madame de Sévigné fit qu'on ne crut jamais lui prodiguer assez de soins, assez d'attentions. « On me promène, on me montre, je reçois mille civilités. J'en suis honteuse ; je ne sais ce qu'on a à me tant estimer >>

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Elle alla dans une des deux bastilles de Lyon, celle de Pierre-Encise, rendre visite à un ami prisonnier, dont il est difficile de deviner le nom par la seule lettre initiale F. Il n'en est pas de même d'un monsieur M., chez lequel elle dit qu'on doit la mener pour voir «son cabinet

' Pâques, en l'année 1672, était le 17 avril.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (17 février 1672), t. II, p. 391, édit. G.; t. II, p. 332, édit. M.

3 SÉVIGNÉ, Lettres (27 juillet 1672), t. III, p. 109, édit. G.; t. III, p. 43, édit. M.

et ses antiquailles. » Nul doute qu'il ne soit ici question de M. Mey, riche amateur des beaux-arts, Italien d'origine, dont les étrangers qui passaient à Lyon allaient visiter la maison, située à la montée des Capucins, célèbre par sa belle vue, la magnifique collection de tableaux et les beaux objets d'antiquité qu'elle renfermait. On y admirait surtout alors ce beau disque antique en argent connu sous le nom de bouclier de Scipion, qui fut acheté par Louis XIV après la mort de M. Mey et qui est aujourd'hui un des ornements du cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale '.

Cependant ce ne fut pas chez l'intendant que logea madame de Sévigné, mais chez un beau-frère de M. de Grignan, Charles de Châteauneuf, chanoine-comte et chamarier de l'église de Saint-Jean de Lyon : « C'est, dit-elle, un homme qui emporte le cœur, une facilité et une liberté d'esprit qui me convient et qui me charme. » Elle fut aussi très-satisfaite de faire connaissance avec la sœur de M. de Grignan, la comtesse de Rochebonne, qui ressemblait à son frère d'une manière étonnante. Elle était veuve du comte de Rochebonne, commandant du Lyonnais. Madame de Sévigné reçut la visite d'une autre veuve parente de Bussy-Rabutin, Anne de Longueval, veuve de Henri de Senneterre, marquis de Châteauneuf, que sa mère fut accusée d'avoir fait assassiner 2. La marquise de Senneterre porta longtemps le deuil, et sembla regretter

* SPON, Recherches des antiquités et curiosités de la ville de Lyon; 1675, in-8°, p. 196, pl. MARION DUMERSAN, Histoire du

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Cabinet des médailles; 1838, in-8°, p. 12.

2 Lettres de madame de RABUTIN-CHANTAL, édit. de La Haye, 1726, in-12, t. I, p. 260. Le nom du marquis de Senneterre est en toutes lettres dans cette édition.

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