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bufe à chaque inftant. Il voit le mépris des bienféances gagner également tous les états, pénétrer dans les palais des Rois, dans les Confeils des Nations, dans le fanctuaire de la Religion & de la juftice. Il voit le droit du plus fort, fermer partout la bouche à l'équité, impofer filence au droit des gens, & se mettre au deffus de ces antiques formalités qui faifoient autrefois jufqu'à un certain point la fauve-garde des Peuples. En fuppofant les guerres moins longues, il croit que c'est moins l'effet de l'humanité que de l'impuiffance, & fi à certains égards elles paroiffent moins cruelles, il penfe que c'eft à la crainte des repréfailles & non pas aux fentimens de compaffion que l'on doit l'attribuer. A l'égard de ce qu'on appele la paix, elle lui laiffe toujours entrevoir une guerre fourde & cachée, dans laquelle on cherche à s'affoiblir & à fe nuire réciproquement, en attendant le moment favorable pour l'explosion.

Dans ce terrain défriché & cultivé par la Philofophie moderne, combien ne voit-il pas de plantes falutaires arrachées par des mains mal-adroites ou malfaifantes, à côté des mauvaises qu'elles prétendoient déraciner. Combien d'arbres utiles par leur fruit & par leur ombrage n'ont-elles pas abattus dans ce qu'elle

appele la forêt des préjugés; Combien de mauvaises femences n'y ont-elles pas répandues. D'un autre côté, il voit cette même Philofophie toujours plus occupée à détruire qu'à édifier, à répandre des doutes qu'à préfenter des vérités, cherchant à ébranler tantôt les fondemens de la Morale, & tantôt ceux de toute espèce d'autorité, abufant des privilèges de la liberté pour introduire la licence, brifant les freins les plus propres à contenir l'homme méchant, arrachant les anciennes barrières qui féparoient le jufte de l'injufte, & le vice de la vertu, pour y fubftituer des fils auffi foibles qu'imperceptibles; n'admettant d'autres principes des actions morales, que l'in, térêt particulier refferré dans le court espace de la vie humaine. Il voit enfin le Monde prefqu'entier féduit par la voix de ces nouveaux maîtres, embrasser avidement leur doctrine, & s'en prévaloir pour s'abandonner fans gêne à tous fes défirs déréglés.

Que conclure de cette différente manière de voir les chofes, fi ce n'eft qu'il peut y avoir de la prévention des deux parts, en forte qu'en adoptant fans réserve l'un de ces deux expofés, on pourroit être à peu-près fûr d'avoir admis quelqu'erreur. Mais lequel de ces deux tableaux approche le plus de la vérité? S'il

ne falloit que compter les fuffrages, je pense

que la pluralité feroit pour l'opinion du mal en pis; s'il étoit néceffaire & poffible de les pefer, peut être le bon vieux temps, malgré tous les ridicules qu'on lui donne, gagneroitil encore fa caufe. Les plus fages écrivains de tous les fiècles, ceux qui paroiffent avoir le mieux vus, ceux même qui fe piquent le moins de févérité, femblent pencher pour ce fentiment ( I ).

Gardons-nous cependant de croire, que le Monde foit condamné fans retour à un continuel accroiffement de détérioration. 'Depuis le temps qu'on l'accufe de fe corrompre de plus en plus, il devroit être parvenu au dernier degré de putréiaction. Mais non, le Confervateur de l'Univers, fans doute, ne l'a pas voulu; d'heureufes, de falutaires crifes arrivent quelquefois au moment que le mal semble être

parvenu

(1) Je ne citerai qu'Horace; Horace qu'on ne fauroit accufer de morofité, Horace Epicurien déclaré, Horace vivant dans le fiècle d'Augufte, trouvoit que le Monde alloit de mal en pis; je n'en veux pour preuve, que ces vers remarquables par la briéveté avec laquelle il paffe quatre générations en revue.

Etas parentum pejor avis tulit
Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiofiorem.

parvenu à son comble. L'Histoire nous préfente diverses époques dans lesquelles la machine paroît fe remonter, & où la race humaine semble reprendre fes premières forces & donner des fignes de convalefcence.

Le Monde moral est sujet à ses révolutions comme le Monde phyfique. De même que les Planètes, les vices ainfi que les vertus, ont leur lever & leur coucher, leurs phases, leurs périodes & leurs éclipfes. L'obfervateur attentif les prévoit & les annonce à l'avance, mais avec cette différence entre l'obfervateur phyfique & l'obfervateur moral, que celui-ci peut en prédire plus fûrement les malignes influences, & indiquer les moyens de s'en garantir.

Voyons donc quels font les préfages qui pourroient annoncer quelque épidémie dans les Mœurs plus ou moins funeste, plus ou moins prochaine, & plus ou moins contagieufe. Voyons à quelles marques on peut connoître les premiers fymptômes du mal; après quoi nous penferons aux remèdes. Il ne faut ni s'endormir fur le danger, ni s'en effrayer au point de n'ofer l'envifager de près, & faire les efforts néceffaires pour s'en garantir.

Ainfi l'on peut bien, fi l'on veut, laiffer aller le Monde comme il va, mais qu'on ne fe laffe point de chercher à rendre fa marche

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plus fûre, de l'avertir des mauvais pas, de lui faire éviter les ornières qu'il fe creuse continuellement à lui-même, lorfqu'il pourroit s'y embourber, d'oppofer des digues aux torrens qu'il pourroit rencontrer fur fon paffage, & de placer des gardefoux fur les bords de tous les chemins dangereux & où la tête pourroit lui

tourner.

CHAPITRE III..

Des fignes de corruption dans les Mours.

CE n

E n'eft pas toujours par des forfaits que s'annonce la dépravation dans les Moeurs. Une fociété, à l'aide du vernis de la civilifation, pourroit ne préfenter au premier coup d'œil, rien qui répugnât fenfiblement aux principes du jufte & de l'honnête, rien qui heurtât ouvertement les premières notions de la Morale, rien en un mot de bien révoltant ou d'effrayant; mais, qui mieux obfervée, laifferoit appercevoir dans fon fein le germe de tous les vices, & le principe de tous les défordres. Il eft bon de connoître ces différens fymptômes, pour pouvoir juger de l'étendue & de l'immi

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