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DU GOUVERNEMENT

DES MEURS.

INTRODUCTION.

Q

UELLE que foit la corruption dont on accufe notre fiècle, il faut convenir cependant qu'on y rend encor une espèce d'hommage aux Moeurs. Le nombre de ceux qui les bravent ouvertement eft petit, en comparaison de ceux qui paroiffent les refpecter. Au milieu de nos immoralités, de nos propos licentieux, de nos maximes relâchées, de nos paradoxes, de nos fyftêmes de liberté, & de nos actes d'indépendance, au milieu de ce choc continuel d'intérêts & de paffions qui agitent le Monde en mille fens contraires, & dans lefquels chacun rapporte tout à foi & à fon avantage particulier, on convient affez généralement, que tout

A

bien compté, les Moeurs peuvent & doivent contribuer au bonheur des individus & des familles, comme à celui des fociétés & des Nations.

Celui même qui ne croit pas que les Mœurs foient faites pour lui, en fouhaite l'apparence chez ceux dont l'honneur peut l'intéreffer, & en exige la réalité de la part de ceux à qui il donne fa confiance. L'époux infidèle, ne voit pas de bon œeuil les galanteries de fa femme, & la mère galante ne fouffre pas volontiers que fa fille fe déshonore en fuivant ses traces; le concuffionaire trouve fort mauvais que fon intendant le vôle, & que fes domeftiques le pillent; le féducteur exige de la fidélité chez la perfonne qu'il a féduite; le négociant, au moment qu'il médite une banqueroute frauduleuse, chasse fon commis qui a détourné quelques deniers de sa caiffe; le libertin, au fortir d'une partie de débauche, s'emporte contre fon domestique qui s'eft enivré, en l'attendant dans le prochain cabaret. C'eft ainfi que l'homme qui rarement se rend justice à lui-même, eft toujours porté à charger les autres du joug qu'il s'efforce de fecouer. C'est ainfi que l'intérêt particulier vient quelquefois au fecours de la morale, & empêche les droits de la vertu de tomber en prefcription..

Il ne faut donc pas être furpris, fi dans tous les temps, & dans les fiècles mêmes les plus dépravés, on a conftamment recommandé les Mœurs, & fi leur éloge fe trouve dans prefque toutes les bouches. Plus les Nations fe font civilifées, plus les Peuples fe font éclairés, plus les intérêts qui lient & qui divisent les hommes fe font multipliés, & plus on en a fenti la néceffité. Auffi voit-on qu'aucune matière n'a été auffi fouvent traitée, & n'a été maniée par autant de différentes mains. Sans parler de ceux qui ont fait de la Morale proprement dite, l'objet de leurs méditations & de leurs recherches, il femble que la fcience des Moeurs foit de tous les refforts & à toutes les portées; j'ai prefque dit de tous les goûts. Si d'un côté la Religion, la Philofophie, la Politique paroiffent fous leurs différens rapports s'en occuper d'une manière directe, d'un autre, on voit l'Hiftoire déposer en leur faveur, l'Eloquence plaider leur cause, la Poëfie, la Peinture même s'empreffer à leur rendre hommage. Les Mours jouent le plus beau rôle fur nos théâtres, l'art dramatique veut qu'on les refpecte, & profcrit févèrement tout Ice qui pourroit les bleffer. Nos Romans les plus généralement goûtés, font ceux où elles font le plus ménagées, & préfentées fous l'afpect le plus attrayant. Enfin, diverfes Académies favan

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tes,

littéraires ou patriotiques, ont cru ne pouvoir mieux faire connoître l'intérêt qu'elles prennent au bonheur de l'humanité, qu'en s'occupant auffi des Moeurs, & en faisant du jufte tribut des louanges qui leur font dues, un objet d'émulation.

Quelques-unes ont invité l'Eloquence, à faire fentir leurs heureufes influences fur la profpérité des Nations, & à en relever les avantages; d'autres ont couronné des peintures riantes, ou des tableaux touchans de l'innocence, tracés par les mains de la Poëfie, & animés de fon feu; plufieurs enfin, ont présenté à la méditation de nos fages, des queftions intéressantes fur cet important fujet (1). Tout cela a produit des chefs d'oeuvres en divers genres; mais ces chefs d'œuvres qu'ont-ils produit?

Il reftoit peut-être encor un pas à faire ; & j'avoue que je fuis furpris qu'il n'ait pas encor été fait. C'étoit d'inviter ceux qui prennent vérita

(1) Entr'autres les Académies de Dijon, de Befançon, de Marseille, la Société économique de Berne. L'éloquent paradoxe couronné par cette première, & le courage que ce fuccès dut naturellement infpirer à fon Auteur, a contribué, peut-être plus que toute autre chofe, à la production des divers ouvrages qui font fortis depuis lors de la plume de ce célèbre Ecrivain, & ce jugement mérite par là même, de tenir une place dans les Faftes littéraires de notre fiècle, & peut-être dans l'Hiftoire de nos Mœurs.

INTRODUCTION.

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faut donc pas être furpris, fi dans tous os, & dans les fiècles mêmes les plus 5, on a conftamment recommandé les & fi leur éloge fe trouve dans prefque es bouches. Plus les Nations fe font ciplus les Peuples fe font éclairés, plus éts qui lient & qui divifent les hommes multipliés, & plus on en a fenti la néAuffi voit-on qu'aucune matière n'a été vent traitée, & n'a été maniée par audifférentes mains. Sans parler de ceux fait de la Morale proprement dite, l'oburs méditations & de leurs recherches, e que la fcience des Moeurs foit de tous rts & à toutes les portées; j'ai prefque us les goûts. Si d'un côté la Religion, Tophie, la Politique paroiffent fous leurs s rapports s'en occuper d'une manière d'un autre, on voit l'Hiftoire dépofer faveur, l'Eloquence plaider leur cause, e, la Peinture même s'empresser à leur hommage. Les Mours jouent le plus e fur nos théâtres, l'art dramatique veut es refpecte, & profcrit févèrement tout ourroit les bleffer. Nos Romans les plus ement goûtés, font ceux où elles font ménagées, & préfentées fous l'afpect le ayant. Enfin, diverfes Académies favanA 2

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