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ques & des Amphithéâtres; ce n'eft plus le tems où le besoin des spectacles alloit de pair avec celui du pain, mais c'est toujours celui, où l'homme fatigué par le travail, a besoin de délaffemens, où les efprits épuisés ont befoin de récréations, où les coeurs affligés cherchent des diftractions, où la mélancolie demande à être diffipée; c'eft celui où il faut des amusemens aux enfans, pour les garantir des dan- · gers d'une abfolue oifiveté, où il en faut aux vieillards & aux infirmes, pour les confoler de leur inutilité, aux défoeuvrés, pour leur tenir lieu d'occupation, & enfin aux méchans même, pour faire diverfion aux mauvaises fées que pourroit former leur perverfité.

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On fent bien que le Gouvernement ne fauroit entrer dans tous ces détails, qu'il n'eft pas obligé de pourvoir directement à tous ces befoins particuliers; mais il peut contribuer par bien des moyens indirects & généraux, à faire jouir de ces avantages ceux qui vivent fous fes Loix. Indépendamment du plaifir de faire des heureux, en multipliant les momens agréables de la vie, la faine politique invite les Conducteurs des Peuples à entretenir cet efprit de gaieté qui fait fupporter tous les différens petits malaifes attachés à l'obéiffance & oublier les fujets paffagers de méconten

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tement que donne quelquefois l'exercice de l'autorité. Un peuple gai eft prefque toujours de bonne volonté, il fe mettra au feu pour ce bon Prince qui pourvoit non feulement à fes befoins, mais encor à fes plaifirs; au lieu qu'il n'y a rien à attendre d'un Peuple ennuyé & mécontent. Quant aux Mœurs, elles n'ont pas de plus grands & de plus fûrs préfervatifs que les plaifirs innocens. Si, d'un côté, le tems qu'on y met eft autant de terrain gagné fur la corruption, d'un autre, on en prend le goût avec l'habitude, & il ne reste plus de place dans le coeur pour les inclinations vicieuses.

Favorisez-donc, multipliez les plaifirs honnêtes par tout où vous voulez que les Moeurs règnent; entretenez-y la bonne humeur qui se contente à peu de fraix, ne négligez aucune occafion de la faire naítre. Au lieu de fupprimer ces fêtes qui infpirent ou, qui rappelent la joie publique, augmentez-en plutôt le nombre dans les lieux où elles reviennent trop rarement, reformez-en les abus, prévenez-en les défordres, faites-y régner la décence, écartez-en les puérilités inventées par la fottife, ou les mommeries introduites par la fuperftition; qu'elles réveillent l'amour de la patrie en rappelant le fouvenir de quelqu'évenement

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heureux ou glorieux pour la Nation ou pour la ville, la communauté qui les célèbre ; qu'elles excitent le genre d'émulation le plus convenable au Peuple qui en eft l'objet, qu'elles lui inf pirent les vertus qui lui font le plus néceffaires, qu'elles raniment l'affection mutuelle des concitoyens, qu'elles refferrent les nœuds qui les attachent à leurs conducteurs en y ajoutant le lien de la reconnoiffance. Ne craignez pas même de rapprocher de tems en tems les états par d'honnêtes & innocentes Saturnales, qui rappelent aux ordres fupérieurs l'idée d'une commune origine & de l'égalité naturelle que l'homme élevé au-deffus des autres eft fi fujet à oublier.

Mais à côté de ces plaifirs bruyants & solemnels, qui ne peuvent ni ne doivent revenir tous les jours, il en eft d'autres plus doux & plus tranquilles, qui fe préfentant, pour ainfi dire, à tous les inftans, contribuent ́d'une manière plus permanente à la félicité générale, & par là même à la confervation des Moeurs; Tels font ceux que nous offrent tous les lieux deftinés à faciliter la communication des citoyens entr'eux, & qui leur fervent de rendez-vous dans leurs heures de délaffement & de loifir. Ici ce feront des promenades d'autant plus agréables que le faste n'en aura point

tracé le plan, mais qui, en nous mettant à portée de comtempler le fpectacle de la Natu re excitent notre admiration & follicitent notre reconnoiffance envers fon Auteur; là fe présenteront des places affez fpacieuses pour recevoir un grand concours de peuple dans les jours où il lui eft permis ou poffible de prendre un peu d'air & de repos, & qui pourront fervir encore de palestre pour la jeuneffe, de champ de bataille pour ses innocents combats, & de falles pour des danfes non moins innocentes; ailleurs vous en trouverez d'autres qui fembleront arrangées par les mains de l'amitié, & inviter à l'épanchement des cœurs ; plus loin enfin, des lieux plus folitaires & plus retirés, dans lefquels l'homme qui aime & qui fait être feul, peut venir goûter dans des entretiens avec lui-même, les charmes d'une dé licieuse férénité.

D'un autre côté, (car les tems & les faifons ne permettent pas toujours de jouir des plaifirs de la promenade, & de respirer le plein air) l'homme qui aime à s'inftruire, trouvera dans des lieux ouverts & confacrés aux fciences & aux beaux arts, des fecours contre l'ennui & des moyens de fatisfaire une louable curiofité, des bibliothèques moins recommandables par leur richeffe que par leur

utilité, des dépôts pour les chefs-d'œuvres en tout genre, des théâtres deftinés à des expériences utiles ou remarquables, & mieux que tout cela, des lieux de rendez-vous entre les personnes inftruites & celles qui cherchent à s'instruire, entre l'homme de génie & l'homme de goût, entre le favant & celui qui afpire à le devenir, entre le connoiffeur & l'amateur. Et qui empêcheroit que ces mêmes lieux, ou d'autres plus auguftes encore, n'offriffent quelquefois aux oreilles fenfibles, aux charmes de l'harmonie, les moyens de fatisfaire un goût auffi innocent? Qui empêcheroit..... mais je m'arrête pour ne pas effaroucher ceux qui difpofent des deniers publics, & qui regardent comme de l'argent perdu, celui que l'on employe aux plaifirs du peuple, qui regrettent tout ce que l'on fait pour lui, qui trouvent que c'est bien de la grace lorfqu'on ne lui fait pas payer l'eau qu'il boit, l'air qu'il refpire & la terre qui le porte. Et quoique je penfe, au contraire, qu'il y a quelque juftice à ce qu'une petite portion de cet argent, dont une grande partie est le fruit de fon travail & de fes fueurs, foit employé à lui procurer quelques délaffemens, quoique je fois perfuadé qu'il fe fait tous les jours bien. des dépenfes plus mal entendues, quoique je

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