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voit tout en noir, & qui, en groffiffant les maux, ôte le courage d'y remédier; la farouche aufterité qui s'effraye au feul nom d'amuse-, ment ou de plaifir, ne doivent point être admifes dans leur confeil.

Il n'y a perfonne qui n'ait fes momens d'hu meur, & quelquefois d'humeur noire; ce n'eft pas dans ces momens là qu'il faut écrire lorfque l'on veut perfuader, & furtout lorsque l'on traite des Moeurs de fon fiècle. On peut inf truire les hommes fans leur dire des injures. Si vous trempez votre plume dans le fiel; fi vous vous laiffez trop aller à l'indignation, tout ce que vous direz fera regardé comme de vaines déclamations, que l'on ne fauroit trop prendre au rabais. On attribuera vos cenfures amères, vos reflexions chagrines, à quelque mécontentement particulier, à quelque dégoût que le monde vous aura fait effuyer, & l'on vous trouvera fort injufte, de vouloir rendre tout le genre humain complice des torts que vous aurez pu éprouver de la part des individus.

C'eft fans doute dans un de ces acres & fombres moinens qu'écrivoit un Philofophe de nos jours, lorfque, confulté par une Nation refpectable, fur la manière de former fes Loix, il lui confeilloit de commencer par se féquestrer du refte de la Terre, pour ne pas courir le rif

que d'être corrompue par ses voisins. Ce projet étoit impraticable, mais il étoit peut-être encore plus inhumain, puifqu'en fuppofant cet Etat, parvenu à jouir du bonheur d'avoir de bonnes loix, c'étoit refufer cet avantage aux Nations qui auroient pu profiter de fon exemple; c'étoit interdire la communication du bien le plus précieux dont les hommes puiffent fe faire part les uns aux autres; c'étoit s'oppofer aux conquêtes de la vertu, ou du moins trop fe défier de fon pouvoir.

J'aime à penfer au contraire, qu'un pays gouverné par les meilleures loix, mais furtout par les meilleures Moeurs poffibles, deviendroit infenfiblement le modèle de toutes les Nation's de la Terre. On y verroit régner le bonheur, on viendroit l'y chercher, & s'en faire de juftes. idées, on y viendroit refpirer l'air de la vertu. Un tel Peuple feroit néceffairement communicatif, parce que fes principes de bienveillance envers les autres hommes, le conduiroient na→ turellement à fouhaiter de partager avec eux fa félicité. La réputation qu'il fe feroit acquife, le feroit refpecter & chérir des autres: Peuples, dès là on s'emprefferoit de l'imiter, on adop teroit fes principes, on prendroit fes goûts, on se conformeroit à fes ufages, on fe mouleroit fur fon caractère. Peut-être même viendroit-on

à le copier jufques dans fes travers; mais comme ils ne feroient ni effentiels, ni en grand nombre, le mal ne feroit pas grand.

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D'un autre côté, la contagion ne feroit point à craindre pour cette Nation fortunée. Fière de fes avantages, fentant son bonheur & fa dignité, elle fe feroit une gloire & une loi de conferver la pureté de fes Moeurs, au milieu même d'un fiècle ou d'un voifinage corrompu; on ne la verroit point, vile copiste des autres Peuples, adopter des ufages ou des maximes qui ne s'accorderoient pas avec les principes de fa constitution, ou qui repugneroient à fon caractère; on ne verroit point les vices étrangers s'introduire dans fon fein, fous le paffeport de la mode; en un mot, elle resteroit toujours ellemême.

Elle ne feroit pas même affervie à ces principes politiques qui gouvernent prefque tous les Etats de l'Univers. Ni la foif des conquêtes, ni l'ambition de tenir feule la balance, ni l'abfurde prétention de pofféder exclusivement les avantages que la Nature a accordé à tous les Peuples, ou de donner la loi fur aucun des élémens, ni une défiance ombrageuse, ni cet ef prit de fineffe qui la fait naître, n'entreroient point dans son systême de gouvernement. Elle -ne chercheroit point à en impofer par la terreur

de fes armes; l'eftime & l'amitié de fes voifins feroit fa fûreté; commerçante, fon pavillon feroit refpecté, ce feroit celui de la juftice & de la bonne foi; agricole, la violation de fon territoire feroit regardée comme un facrilège. Sa médiation feroit recherchée, parce qu'elle n'ý porteroit d'autre intérêt que celui de la paix & de l'équité. Elle n'exciteroit point la jaloufie des autres Puiffances, qui ne verroient point chez elle l'envie de s'aggrandir. Elle n'auroit pas besoin de se fortifier par des traités particuliers, prefque toujours faits aux dépens des Nations qui n'y font pas comprises; elle fe contenteroit de cette alliance qui exifte de toute éternité entre tous les Peuples du Monde, & que toute Nation, au moment qu'elle fe forme, contracte avec le refte du genre humain. Tel feroit le rôle que joueroit fur le théâtre de l'Univers, une Nation qui, par fes Mœurs, fe feroit attirée la jufte vénération des autres Peuples.

Il femble qué ce feroit là un affez beau point de vue, pour devoir trouver place dans le nombre des objets de rivalité qui remuent les grandes fociétés qui fe font partagées la Terre; d'autant plus, que fans efforts, fans facrifices onéreux, fans négliger les autres parties, fans nuire à aucun de leurs autres intérêts, fans déranger

aucun plan de gouvernement, il feroit peut-être très-facile d'y atteindre, fi on le vouloit bien férieufement. Mais quand verra-t-on les efprits généralement tournés vers ce genre de bonheur; quel fiècle eft deftiné à porter le nom glorieux du fiècle des Mours; quelle génération y contribuera la première, & en fera la première le témoin; quel coin du Monde en reffentira le premier les heureux effets? C'est ce que j'ignore. Cette époque fi intéreffante, eft peut-être encore bien éloignée, peut-être n'arrivera-t-elle jamais, peut être eft-elle plus prochaine qu'on ne le pense (2).

Quoiqu'il en foit, fuppofons toujours la poffibilité de l'événement, ne nous laiffons. point rebuter par la difficulté de l'ouvrage ; que le fage ne le perde jamais de vue, que le citoyen ne ceffe de s'en occuper, que l'homme de bien ne fe laffe point d'en faire le sujet de ses rêves, & qu'il ne défefpère jamais de les voir un jour accomplis.

(2) Un doux preffentiment me feroit pencher pour cette dernière opinion; je crois voir des acheminemens à cette heureufe révolution. On connoît actuellement plufieurs Souverains, qui, non-feulement donnent l'exemple, mais qui penfent très-fainement fur cette matière, & qui daignent s'en occuper. Je ne les nommé point, crainte d'offenfer ceux que je pafferois fous filence,

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