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Tu n'es plus que poussière ; et de cette grandeur
Il ne nous reste plus que la triste mémoire.
Sion jusques au ciel élevée autrefois,
Jusqu'aux enfers maintenant abaissée,
Puissé-je demeurer sans voix,

Si dans mes chants ta douleur retracée
Jusqu'au dernier soupir n'occupe ma pensée.

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O rives du Jourdain! ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts! fertiles vallées,

Par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées ?

Quand verrai-je, ô Sion, relever tes remparts
Et de tes tours les magnifiques faîtes?
Quand verrai-je de toutes parts

Tes peuples, en chantant, accourir à tes fêtes?

Ton dieu n'est plus irrité : Réjouis-toi, Sion, et sors de la poussière; Quitte les vêtemens de ta captivité,

Et reprends ta splendeur première. Les chemins de Sion sont à la fin ouverts :

Rompez vos fers,

Tribus captives ;

Troupes fugitives,

Repassez les monts et les mers;
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.

Au reste, il sera bon, dans toutes sortes de stances, d'entremêler les rimes, de manière que le premier et le dernier vers d'une stance soient d'espèce différente. Sans cette attention, l'oreille du lecteur serait un peu choquée de trouver, en passant d'une stance à l'autre, deux vers masculins, ou deux vers féminins qui

ne rimeraient pas ensemble, comme dans

celles-ci :

Rois, chassez la calomnie;

Ses criminels attentats
Des plus paisibles états

Troublent l'heureuse harmonie.

Sa fureur, de sang avide,
Poursuit partout l'innocent.
Rois, prenez soin de l'absent
Contre sa langue homicide.
De ce monstre si farouche
Craiguez la feinte douceur :
La vengeance est dans son cœur
Et la pitié dans sa bouche.

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Ajoutons néanmoins que cette manière de placer les rimes n'est pas absolument regardée comme une faute. Nos bons auteurs l'ont pratiquée, mais bien rarement. Elle n'est point du tout répréhensible dans les couplets d'une

chanson.

II. POÉSIE EN GÉNÉRAL.

On vient de voir les différentes formes du discours mesuré, les règles générales qui regardent le mécanisme des vers, et qu'il faut exactement observer pour être un bon et agréable versificateur. Mais, pour être vraiment poète, il faut inventer et peindre.

1. Invention.

L'invention consiste à trouyer les objets qui

existent et où ils sont, ceux qui peuvent exister et où ils peuvent être; à présenter des actions, des images, des sentimens réels, ou possibles et vraisemblables.

Molière, voulant tracer le vrai caractère de l'avare, n'en chercha point un parfait modèle dans la société; c'est-à-dire qu'il ne s'appliqua point à y découvrir un homme, qui eût fait tout ce que fait ou peut faire un avare. Mais il observa attentivement différens avares: il saisit les plus grands traits d'avarice qu'ils avaient fait; il y ajouta, d'après la connaissance profonde qu'il avait du cœur humain, d'autres traits qu'il imagina qu'un avare est capable de faire : il réunit tous ces traits, les attribua à son personnage, et par-là vint à bout d'en composer un caractère parfait dans son genre.

2. Peinture.

Mais l'invention ne suffit pas pour constituer le poète. Pour en mériter le beau titre, il faut rendre l'objet qu'on a trouvé, aussi sensible à l'esprit et au cœur, que l'est aux yeux du corps un objet présenté sur la toile. Ce que fait la peinture par les couleurs, la poésie doit le faire par l'expression. Aussi emploie-t-elle un langage extraordinaire, qu'on peut appeler le langage des dieux. Elle anime, elle personnifie, elle divinise même les différens êtres. L'aurore est une jeune déesse qui ouvre avec ses doigts

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de roses les portes de l'orient: ses pleurs sont la rosée qui humecte la terre, et qui redonne la vie aux fleurs. Le soleil est un dieu monté sur un char étincelant, que traînent des chevaux immortels, qui vomissent la flamme. Les vents ont des ailes; le tonnerre a des flèches. Les vices sont des monstres hideux; l'envie est dévorée de serpens; la vengeance est armée de poignards; la colère, agitée de mouvemens convulsifs, a sans cesse l'écume dans la bouche; la calomnie, se traînant dans l'ombre répand partout le fiel et le poison.

3. Pensées et expressions.

Il faut s'attacher au choix des pensées et des expressions. Elles doivent toujours être nobles, riches, naïves, douces, gracieuses, agréables, selon la diversité des sujets, et n'avoir jamais rien de commun ni de trivial. Il y a des mots qui sont en eux-mêmes ignobles et bas. Le génie du poète sait bien souvent les rendre dignes de la haute poésie. Ainsi Racine a eu l'art d'employer les mots chiens et pavé, sans que la délicatesse du lecteur en fût blessée.

Les chiens à qui son bras a livré Jésabel,
Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
Déjà sont à la porte et demandent leur proie.

Tu le vois, dit-il (en parlant de Louis XIV):

Baiser avec respect le pavé de tes temples.

Parmi ces mots ignobles et bas, il y en a qui ont quelque chose de dégoûtant. Cependant, employés dans le sens figuré, ils peuvent produire un très-bel effet en poésie. Tel est le mot fumier, qui fait la pointe de cette épigramme:

Je songeais cette nuit que de mal consumé,
Côte à côte d'un pauvre on m'avait inhumé,
Et que n'en pouvant pas souffrir le voisinage,
En mort de qualité je lui tins ce langage:
Retire-toi, coquin; va pourrir loin d'ici :
Il ne t'appartient pas de m'approcher ainsi.
Coquin ! ce me dit-il d'une arrogance extrême ;
Va chercher tes coquins ailleurs; coquin toi-même.
Ici tous sont egaux : je ne te dois plus rien;
Je suis sur mon fumier, comme toi sur le tien.

On voit aisément que, dans ce mot fumier, le figuré adoucit ce que le propre a de rude et de rebutant.

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D'un autre côté, il y a des mots qui paraissent uniquement consacrés à la poésie, sans pouvoir être reçus dans la prose. Tels sont humains pour hommes; forfaits pour crimes; coursier pour cheval; glaive pour épée ; ondes pour eaux; antique pour ancien ; jadis pour autrefois; soudain pour aussi-tôt, etc. Mais observons en passant que ces mots peuvent être employés dans la prose soutenue, dans le discours vraiment oratoire. On ne blâmera certainement pas Bossuet d'avoir dit, dans une oraison funèbre : « Glaive du Seigneur, quel coup venez-vous de frapper ? »

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