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Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter dans vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'état (1).
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages;

Qui méprise Cotin n'estime point son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi (2).
Mais quoi! répondrez-vous, Cotin nous peut-il nuire?
Et par ses cris enfin que pourrait-il produire?

(1) L'abbé Cotin, dans un de ses écrits, accusait Boileau d'êtré criminel de lèse-majesté divine et humaine. Un grand personnage de la cour voulait faire un crime d'état de ce que Boileau avait traité de siècle de fer le siècle de Louis XIV, dans la satire I. Enfin Pélisson voulait insinuer que dans cette satire IX, vers 224, Midas, le roi Midas, etc. notre satirique avait eu, à l'égard du roi, le même dessein que Perse avait eu contre Néron, dans ce vers que nous avons déjà cité: Auriculas asini Mida rex habet. Dessein extrêmement éloigné de Boileau, à ce que nous assure l'éditeur de l'édition de 1717.

(2) Ce sont les mêmes injures que Cotin avait publiées contre Boileau dans sa Critique désintéressée sur les Satires du temps. C'est dans cet écrit qu'il l'accusait d'être criminel de lèse majesté divine et humaine.

Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas,
L'entrée aux pensions où je ne prétends pas (1)?
Non, pour louer un roi que tout l'univers loue,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénoue;
Et, sans espérer rien de mes faibles écrits,
L'honneur de le louer m'est un trop digne prix :
On me verra toujours, sage dans mes caprices,
De ce même pinceau dont j'ai noirci les vices,
Et peint du nom d'auteur tant de sots revêtus,
Lui marquer mon respect, et tracer ses vertus.
Je vous crois; mais pourtant on crie, on vous menace.
Je crains
peu, direz-vous, les braves du Parnasse.
Eh, mon Dieu! craignez tout d'un auteur en courroux.
Qui perd... Quoi? Je m'entends. Mais encor? Taisez-vous.

(1) Le roi donnait des pensions aux gens de lettres Cotin était un des pensionnaires, et Boileau n'avait rien.

FIN DE LA SATIRE IX DE BOILEAU.

LE

DIX-HUITIÈME SIÈCLE."

A M. FRERON.

Ne prétends plus, Fréron, par tes savans écrits,

E

Détrôner le faux goût qui règne dans Paris.
Depuis que nous pleurons l'innocence exilée,
Sous tes mâles écrits vainement accablée,
On voit renaître encor l'hydre des sots rimeurs,
Et la chute des arts suit la perte des mœurs.
Un monstre dans Paris croît et se fortific,
Qui, paré du manteau de la philosophie,
Que dis-je? de son nom faussement revêtu,
Étouffe les talens et détruit la vertu :

Dangereux novateur, par son cruel systême
Il veut du ciel désert chasser l'Être-Suprême ;
Et, du corps expiré l'âme éprouvant le sort,
L'homme arrive au néant par une double mort.
Ce monstre toutefois n'a point un air farouche,
Et le nom des vertus est toujours dans sa bouche:

(1) Il existe une foule d'éditions de cette Satire. Plusieurs ont été revues et retouchées par Gilbert lui-même, d'autres ont été publiées et altérées par des hommes intéressés à en défigurer certains passages. Dans celle que nous publions, nous avons tâché de réunir les meilleures corrections de l'auteur, en laissant subsister les premières versions, autant que cela nous a été possible.

Satires.

D'abord, de l'univers réformateur discret,
Il semait ses écrits à l'ombre du secret;

Errant, proscrit partout, mais souple en sa disgrâce,
Bientôt, le sceptre en main, gouvernant le Parnasse,
Ce tyran des beaux-arts, nouveau dieu des mortels,
De leurs dieux diffamés usurpa les autels;
Et lorsqu'abandonnée à cette idolâtrie,
La France qu'il corrompt touche à la barbarie,
Fidèle à nous vanter son parti suborneur,

Nous a fermé les yeux sur notre déshonneur.

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Quoi! votre Muse en monstre érige la Sagesse! » Vous blâmez ses enfans, et leur crédit vous blesse! » Vous, jeune homme! au bon sens avez-vous dit adieu? » Je soupçonne, entre nous, que vous croyez en Dieu : » Gardez-vous de l'écrire, et respectez vos maîtres: » Croire en Dieu fut un tort permis à nos ancêtres; >> Mais dans notre âge! allons, il faut vous corriger; » Éclairez-vous, jeune homme, au lieu de nous juger; >> Pensez à votre Dieu, laissez venger sa cause: >> Si vous saviez penser, vous feriez quelque chose; » Surtout point de satire; oh! c'est un genre affreux! >> Eh! qui put vous apprendre, écolier ténébreux, » Que des mœurs parmi nous la perte était certaine, » Que les beaux-arts couraient vers leur chute prochaine? >> Partout, même en Russie, on vante nos auteurs. » Comme l'humanité règne dans tous les cœurs! » Vous ne lisez donc pas le Mercure de France? » Il cite au moins par mois un trait de bienfaisance. »

Ainsi le grand Pathos, ce poëte penseur,
De la philosophie obligeant défenseur,
Conseille par pitié mon aveugle ignorance,
De nos arts, de nos mœurs garantit l'excellence;
Et, de son plein savoir, si je réplique un mot,
Pour prouver que j'ai tort, il me déclare un sot.
Mais de ces sages vains confondons l'imposture,
De leur règne fameux retraçons la peinture;
Et que mes vers, enfans d'une noble candeur,
Éclairent les Français sur leur fausse grandeur.
Eh! quel temps fut jamais en vices plus fertile?
Quel siècle d'ignorance en beaux faits plus stérile,
Que cet âge nommé siècle de la raison?

Tout un monde sophiste, en style de sermon,
De longs écrits moraux nous ennuie avec zèle;
Et l'on prêche les mœurs jusque dans la Pucelle.
Je le sais; mais, ami, nos modestes aïeux

Parlaient moins de vertus, et les cultivaient mieux :
Quels demi-dieux enfin nos jours ont-ils vu naître!
Ces Français si vantés, peux-tu les reconnaître?
Jadis peuple-héros, peuple-femme en nos jours,
La vertu qu'ils avaient n'est plus qu'en leurs discours.
Suis les pas de nos grands : énervés de mollesse,
Ils se traînent à peine, en leur vieille jeunesse,
Courbés avant le temps, consumés de langueur,
Enfans efféminés de pères sans vigueur;
Et cependant, nourris des leçons de nos sages,
Vous les voyez encore, amoureux et volages,

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