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» ne nomme-t-il point dans ses satires? et Fa» bius le grand causeur, et Tigellius le fan» tasque, et Nasidiénus le ridicule, et Nomen» tanus le débauché, et tout ce qui vient au >> bout de sa plume. On me répondra que ce » sont des noms supposés. O la belle réponse! » comme si ceux qu'il attaque n'étaient pas » des gens connus d'ailleurs! comme si l'on » ne savait pas que Fabius était un chevalier » romain qui avait composé un livre de droit; » que Tigellius fut en son temps un musicien » chéri d'Auguste ; que Nasidiénus Rufus était » un ridicule célèbre dans Rome; que Cassius » Nomentanus était un des plus fameux dé» bauchés de l'Italie! Certainement il faut que » ceux qui parlent de la sorte n'aient pas fort » lu les anciens, et ne soient pas fort instruits » des affaires de la cour d'Auguste. Horace ne » se contente pas d'appeler les gens par leur » nom; il a si peur qu'on ne les méconnaisse, » qu'il a soin de rapporter jusqu'à leur sur» nom, jusqu'au métier qu'ils faisaient, jusqu'aux charges qu'ils avaient exercées.

כב

» Voyez, par exemple, comme il parle d'Au» fidius Luscus, préteur de Fondi :

Fundos, Aufidio Lusco prætore, libenter
Linquimus, insani ridentes præmia scribæ,
Prætextam, et latum clavum, etc.

SAT. V, lib. I, v. 34.

Nous abandonnâmes, dit-il, avec joie le bourg de Fondi, dont était préteur un certain Aufidius Luscus; mais ce ne fut pas sans avoir bien ri de la folie de ce préteur, auparavant commis, qui faisait le sénateur et l'homme de qualité.

« Peut-on désigner un homme plus préci» sément, et les circonstances seules ne suffi»saient-elles pas pour le faire reconnaître ? » On me dira peut-être qu'Aufidius était mort >> alors: mais Horace parle là d'un voyage fait depuis peu. Et puis, comment mes censeurs répondront-ils à cet autre passage:

ככ

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Turgidus Alpinus jugulat dum Memnona, dumque Diffingit Rheni luteum caput, hæc ego ludo.

SAT. X, lib. I, v. 36.

Pendant, dit Horace, que ce poëte, enflé d'Alpinus, égorge Memnon dans son poëme, et s'embourbe dans la description du Rhin, je me joue en ces satires.

cc

Alpinus vivait donc du temps qu'Horace » se jouait en ces satires; et si Alpinus en cet > endroit est un nom supposé, l'auteur du » poëme de Memnon pouvait-il s'y mécon> naître? Horace, dira-t-on, vivait sous le » règne du plus poli de tous les empereurs : » mais vivons-nous sòus un règne moins poli? » et veut-on qu'un prince qui a tant de qua» lités communes avec Auguste, soit moins » dégoûté que lui des méchants livres, et plus >> rigoureux que lui envers ceux qui les blâ

» ment!

>> Examinons pourtant Perse, qui écrivait » sous le règne de Néron. Il ne raille pas sim»plement les ouvrages des poëtes de son » temps: il attaque les vers de Néron même. >> Car enfin tout le monde sait, et toute la cour » de Néron le savait, que ces quatre vers, Tor» va Mimalloneis, etc., dont Perse fait une

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raillerie si amère dans sa première satire, » étaient des vers de Néron. Cependant on ne » remarque point que Néron, tout Néron qu'il » était, ait fait punir Perse; et ce tyran, en» nemi de la raison, et amoureux comme on »sait, de ses ouvrages, fut assez galant homme » pour entendre raillerie sur ses vers, et ne >crut pas que l'empereur, en cette occasion, » dût prendre les intérêts du poëte.

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» Pour Juvénal, qui florissait sous Trajan, » il est un peu plus respectueux envers les >> grands seigneurs de son siècle. Il se contente » de répandre l'amertume de ses satires sur » ceux du règne précédent : mais, à l'égard » des auteurs, il ne les va point chercher hors » de son siècle. A peine est-il entré en ma» tière, que le voilà en mauvaise humeur contre » tous les écrivains de son temps. Demandez » à Juvénal ce qui l'oblige à prendre la plume. » C'est qu'il est las d'entendre, et la Théséide » de Codrus, et l'Oreste de celui-ci, et le Télephe de cet autre, et tous les poëtes enR fin, comme il dit ailleurs, qui récitaient leurs

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» vers au mois d'août, et augusto recitantes » mense poëtas. Tant il est vrai que le droit » de blâmer les auteurs est un droit ancien, » passé en coutume parmi tous les satiriques, >> et souffert dans tous les siècles.

>> Que s'il faut venir des anciens aux mo» dernes, Regnier, qui est presque notre seul » poëte satirique, a été véritablement un peu >> plus discret que les autres. Cela n'empêche » pas néanmoins qu'il ne parle hardiment de » Gallet, ce célèbre joueur, qui assignait ses » créanciers sur sept et quatorze ; et du sieur » de Provins, qui avait changé son balan» dran (1) en manteau court; et du Cousin, » qui abandonnait sa maison de peur de la » réparer; et de Pierre du Puis, et de plu

>>sieurs autres.

» Que répondront à cela mes censeurs ? » Pour peu qu'on les presse, ils chasseront de la république des lettres tous les poëtes sa>> tiriques, comme autant de perturbateurs du

(1) Casaque de campagne.

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